Napoléon III, 1867 ou le début d’une fin de règne

À l’occasion du 150e anniversaire de la mort de Napoléon III, l’historien Édouard Vasseur publie L’Exposition universelle de 1867 - L’apogée du Second Empire. Si l’Exposition rencontre un immense succès, Napoléon III essuie cette année-là ses premiers échecs. Chronique d’une fin de règne annoncée.

Par Guillaume Picon - 26 mars 2023, 08h00

 Vue d’ensemble de l’Exposition universelle de 1867 à laquelle participent 52.200 exposants venus de 32 pays.
Vue d’ensemble de l’Exposition universelle de 1867 à laquelle participent 52.200 exposants venus de 32 pays. © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images

Le 1er avril 1867 en début d’après-midi, Napoléon et Eugénie se rendent au Champ-de-Mars pour inaugurer la deuxième Exposition universelle organisée par la France. Le carrosse débouche du pont d’Iéna puis se dirige vers l’entrée principale, décorée d’aigles impériales surmontées de drapeaux tricolores. Le palais construit pour l’événement en impose par ses dimensions, 482 mètres de long pour 390 mètres de large. Il se compose de sept cercles concentriques abritant des galeries destinées aux exposants. Les cercles communiquent entre eux par seize "allées rayonnantes" ouvrant sur un immense parc.

Frédéric Le Play, commissaire général de l’Exposition, guide le couple impérial en prenant soin d’éviter les zones où les travaux ne sont pas encore terminés. De loin, les ouvriers se demandent qui est cet homme de petite taille, à la silhouette épaisse et à la démarche pesante. Il s’agit de l’empereur qui, une fois passé le cap de la cinquantaine, a prématurément vieilli. Il est vrai que 1864 a marqué ses premières crises dues à la maladie de la pierre, des calculs rénaux. Pour soulager les terribles douleurs, les médecins soignent leur impérial patient avec du chloral, ce qui le plonge dans un état proche de l’hébétude et le rend incapable de gouverner. Quand il doit apparaître en public dans ces circonstances, il n’est pas rare que Napoléon III se maquille pour tenter de dissimuler sa mine cadavérique.

Les membres de délégations étrangères saluent la famille impériale. Au total, plus de 8 millions de personnes ont visité l’Exposition. Un immense succès !
Les membres de délégations étrangères saluent la famille impériale. Au total, plus de 8 millions de personnes ont visité l’Exposition. Un immense succès ! © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Avec une surface de 67.000 m2, la France, suivie par l’Angleterre et ses 23.600 m2, s’est taillé la part du lion parmi les exposants. Les 250 pavillons bâtis dans le parc forment un décor inattendu et une nouveauté promise à un grand avenir ! Qu’elles représentent un pays, une province, une marque... ces constructions compteront parmi les attractions des expositions suivantes. Des objets suscitent la curiosité des visiteurs. C’est le cas de la pomme de terre belge de 7,5kg, du bloc de malachite russe de 2 tonnes, du tonneau français d’une capacité de 210.000 litres, de la fontaine en cristal de 7 mètres de haut, avec une vasque de 3 mètres de diamètre réalisée par Baccarat !

"Des points noirs sont venus assombrir notre horizon" 

Tout autant que le Champ-de-Mars, la ville de Paris est, elle aussi, une fête. Le 12 avril 1867, c’est donc au Théâtre des Variétés que triomphe Hortense Schneider dans La Grande-Duchesse de Gérolstein, sur une musique de Jacques Offenbach et un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Les souverains visitant l’Exposition se rendent dans la loge de "la Malibran de l’opéra-bouffe", ce qui lui vaut le nouveau surnom de... "passage des princes" – bien que la dame ne soit pas une courtisane !

Le Pavillon impérial au Champ-de-Mars lors de l'Exposition universelle de 1867.
Le Pavillon impérial au Champ-de-Mars lors de l'Exposition universelle de 1867. © akg-images

La capitale n’a jamais compté autant de têtes couronnées, ce qui fait dire à l’écrivain Prosper Mérimée, dans une lettre à son ami Ivan Tourgueniev : "Quant aux princes, il en viendra tant qu’on sera obligé de les mettre coucher deux dans le même lit." Pour immortaliser cette valse du gotha, Napoléon III commande à Charles Porion un tableau le représentant devant l’arc de triomphe du Carrousel entouré de tous les souverains ayant visité l’Exposition universelle. Le nombre impose au peintre un format panoramique (1,65 mètre de haut pour 3,92 mètres de large). Une image en CinémaScope avant l’heure !

La scène est imaginaire. Encadrant Napoléon III, Charles XV, roi de Suède, Guillaume Ier, roi de Prusse, François-Joseph Ier, empereur d’Autriche et roi de Hongrie, Alexandre II, empereur de Russie, Abdul Aziz, sultan de l’Empire ottoman, et Léopold II, roi des Belges, ne se sont pas trouvés à Paris au même moment. Surtout, l’unanimité qui se dégage, soulignée par le cordon rouge de grand-croix de la Légion d’honneur qui barre la poitrine de chacun des cavaliers, est factice.

Napoléon III et les souverains étrangers invités à l’Exposition universelle de 1867, tableau de Charles Porion conservé au château de Compiègne.
Napoléon III et les souverains étrangers invités à l’Exposition universelle de 1867, tableau de Charles Porion conservé au château de Compiègne. © Roger-Viollet

La Prusse, déjà, a entrepris de réaliser l’unité allemande à son profit. Vaincue à Sadowa en 1866, l’Autriche est la première à en faire les frais. Attaché au principe des nationalités, Napoléon III s’était montré conciliant vis-à-vis de son voisin d’outre-Rhin dont il attend des compensations territoriales. Or, une conférence réunie à Londres du 7 au 11 mai 1867 garantit l’indépendance du Luxembourg que la France envisageait d’annexer. C’est un camouflet pour l’empereur qui comprend qu’il a été dupé par Bismarck, le ministre-président de Prusse.

Le 30 juin, veille de la cérémonie de remise des récompenses, l’annonce de l’exécution de l’empereur du Mexique, Maximilien, frère de François-Joseph Ier, jette un froid. La nouvelle sonne comme l’échec de l’aventure mexicaine dans laquelle Napoléon III s’était inconsidérément lancé en 1862. Le fait que les derniers soldats français aient été rapatriés quatre mois plus tôt n’y change rien.

Le 1er juillet 1867, la distribution des récompenses est organisée au palais de l’Industrie construit sur les Champs-Élysées pour l’Exposition de 1855.
Le 1er juillet 1867, la distribution des récompenses est organisée au palais de l’Industrie construit sur les Champs-Élysées pour l’Exposition de 1855. © akg-images

Le pessimisme règne et l’opinion publique critique l’empereur et son gouvernement. L’impératrice Eugénie confesse à l’abbé Bernard Bauer : "Nous sommes comme dans une place assiégée : nous avons à peine fini une affaire qu’une autre commence. Si le prince impérial avait 18 ans, nous abdiquerions." Dans le discours qu’il prononce à Lille, le 27 août 1867, Napoléon III reconnaît : "Des points noirs sont venus assombrir notre horizon." Bel euphémisme !

L'Empire cède sa place à la République 

Le 20 septembre, Halévy, librettiste d’Offenbach, symbole de la "fête impériale", note dans ses carnets : "Quel gâchis, mon Dieu, quel gâchis et comme ça vous a tout l’air du commencement de la fin ! [...] Ce lamentable dénouement de l’expédition du Mexique ; [...] l’unité allemande sous la domination prussienne, fait accompli ; une guerre certaine de ce côté. [...] Quel amas d’inconséquences et de folies ! Je ne vous parle pas de la situation intérieure : le pain à un prix excessif, le commerce et l’industrie agonisant, l’opposition gagnant chaque jour du terrain grâce à la pitoyable politique du gouvernement." Le 3 novembre, l’Exposition ferme ses portes.

Napoléon III se retrouve seul face aux projets de réformes qu’il avait présentées, à commencer par une loi sur le service militaire que la menace prussienne rend nécessaire et dont ni la majorité ni l’opposition ne veulent. Les élections de 1869 sont marquées par la victoire des Républicains dans les villes. L’empereur choisit de libéraliser le régime et, le 2 janvier 1870, appelle à la tête du gouvernement Émile Ollivier, un républicain rallié. Le 8 mai, le résultat d’un plébiscite valide l’évolution du régime par 7.359.000 "oui" contre 1.572.000 "non" et 1.895.000 abstentions.

Napoléon III s’écrie : "J’ai retrouvé mon chiffre !", celui du plébiscite de 1852 qui avait instauré l’Empire. Il pense avoir trouvé un second souffle et préparé le règne de son fils, alors âgé de 14 ans. Le 13 juillet, une dépêche rédigée par Bismarck et à dessein provocatrice tonne dans le ciel. Le 19 juillet, comme prise de fièvre patriotique, la France déclare la guerre à la Prusse. Piètre stratège, malade et incapable de décider, Napoléon III prend la tête de l’armée. En dépit d’actions d’éclat, les troupes françaises enchaînent les défaites jusqu’à celle de Sedan, le 1er septembre. Le lendemain, après...

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement