Fourches, bâtons, faucilles ou lourds fusils à la main, ils ont envahi la cour de son manoir de Fonteclose à La Garnache, en Vendée. Hommes, femmes, enfants... : la petite armée déguenillée de paysans en colère est venue exhorter le jeune maître des lieux à rejoindre, auprès d’eux, la rébellion qui gagne les campagnes de l’Ouest de la France et de prendre leur tête. Réticent à embrasser une cause quasi perdue d’avance, François Athanase Charette de la Contrie tente d’abord de les fuir. Mais cet homme de devoir sait que l’on n’échappe pas à son destin. Quand, débusqué, le précoce retraité de la Royale consent à s’adresser à eux, c’est pour prêter un serment solennel qu’il ne dénoncera jamais : "Je ne reviendrai, leur lance-t-il, que mort ou victorieux !"
Charette s'illustre lors de la guerre d'indépendance aux États-Unis
C’est l’extraordinaire épopée de cet épicurien, soudainement transfiguré en héros charismatique par les événements, que retrace aujourd’hui au cinéma une ample fresque historique dûment documentée. Réalisé par Vincent Mottez et Paul Mignot, Vaincre ou mourir, coproduit par Canal+ et Puy du Fou Films, s’inspire du spectacle Le Dernier Panache, qui a réuni 12 millions de spectateurs depuis sa création en 2016. Incarné, avec la fougue requise, par l’acteur Hugo Becker, Charette s’y révèle, entre énergie, gloire, valeurs et doutes, dans toute sa complexité, sur fond de Terreur et de batailles d’une violence inouïe.
Pourtant, ces territoires — Bretagne, Anjou, Poitou et nord de la Vendée —, réputés conservateurs, ne se sont pas d’emblée dressés contre la Révolution. Comme en attestent les cahiers de doléances, les villes de l’Ouest ont même cru à ses idéaux, avant l’amer désenchantement des espérances déçues. Observateur distancié autant que fataliste, Charette, lui, est d’abord convaincu qu’on ne peut inverser le cours de l’Histoire. Né le 2 mai 1763 à Couffé, en Loire-Atlantique, ce fils de hobereaux bretons désargentés, par son père, et d’une vieille famille du Gévaudan, par sa mère, a surtout l’âme d’un aventurier à l’audace chevillée au corps.

Entré, à 16 ans, à l’École des gardes de la marine à Brest, l’intrépide a navigué durant une dizaine d’années sur les vaisseaux du roi, de l’Atlantique à la Baltique et des Caraïbes à la Sublime-Porte, barrant, entre autres, la route aux redoutés corsaires grecs. Promu au mérite lieutenant de vaisseau à seulement 24 ans, le jeune marin s’est illustré pendant la guerre d’indépendance des États-Unis. Au cours de sa brève carrière, le fin stratège qu’il est a ainsi côtoyé d’éminents navigateurs dont Lapérouse, Bougainville et La Motte-Picquet, apprenant, dans le sillage du vice-amiral Suffren, des techniques d’embuscade dont il se souviendra devenu chef de guerre.
De retour sur ses terres de l’Ouest après avoir été, diront certains, lassé de l’indiscipline en mer, Charette y cultive, non sans élégance, l’art de l’oisiveté de la petite noblesse à laquelle il appartient, entre galanterie, danse, musique — c’est un admirateur de Vivaldi — et parties de chasse. Par défaut ou dépit, il a épousé Marie-Angélique Josnet de la Doussetière, de quatorze ans son aînée, veuve nantie propriétaire d’une vingtaine de métairies, ainsi que de l’hôtel particulier Paulus, à Nantes, et de Fonteclose. Le couple partage son temps entre les deux résidences. Mais les troubles révolutionnaires en ville l’incitent à élire domicile dans le manoir où les insurgés, en quête de figures pour les encadrer, viennent chercher cet aristocrate, ancien officier, qu’ils connaissent à peine. Comme eux, ce dernier a été profondément choqué par la décapitation de Louis XVI le 21 janvier 1793, qui intensifie le conflit déjà engagé entre la jeune république française et la coalition des monarchies européennes.

Près de deux mois plus tard, l’annonce de la levée en masse de 300.000 conscrits pour combattre aux frontières du pays attise le vent de la révolte, quand le tirage au sort des infortunés épargne souvent les édiles locaux. La nature de la guerre civile entre Bleus et Blancs, les "brigands", comme les appellent les républicains, s’avère toutefois d’abord d’ordre spirituel, tant la nationalisation des biens de l’Église et la constitution civile du clergé radicalisent une population attachée à la foi catholique, héritage de ses pères, et qui se tient résolument aux côtés des réfractaires, ces prêtresentrés en clandestinité.
"C’est un de ces hommes dont tous les Français ont le droit d’être fiers"
En mars 1793, la victoire remportée par les paysans à Pont-Charrault vaut à l’insurrection d’être désignée "guerre de Vendée", avant la formation de l’Armée catholique et royale, dont le premier généralissime, Jacques Cathelineau, s’emploie à fédérer les troupes. Après avoir pris part à la bataille de Pornic, Charette, lui, revient à Machecoul, en Loire-Atlantique, peu après les massacres de républicains. Si on l’accuse de les avoir orchestrés, il semble qu’il n’ait plutôt rien fait pour les empêcher. Arborant un panache de soie blanc à son chapeau — tradition de la marine — et un plastron rouge brodé d’or et d’argent, le jeune commandant aux faux airs de dandy se distingue par sa lucidité, son courage et son indépendance vis-à-vis des autres chefs.

Entouré d’amazones dévouées qui, après la fureur des combats, dansent avec lui à la nuit tombée, il préfère mener ses opérations en marge des grandes batailles de l’automne, lesquelles se soldent, le 15 octobre 1793, par la chute de Cholet aux mains des Bleus. Il se garde aussi de s’engager dans la virée de Galerne, au nord de la Loire, qu’il juge hasardeuse et qui précipite, dans les marais de Savenay, l’anéantissement de l’Armée catholique et royale, le 27 décembre. L’horreur reste à venir.

Dès janvier 1794, les tristement célèbres "colonnes infernales" du général Turreau, le "bourreau de la Vendée", déferlent sur le territoire et le mettent à feu et à sang afin d’exterminer les rebelles. Un déchaînement de cruauté et d’exactions qui renforce la détermination de l’insaisissable Charette et lui fournit de nouvelles recrues. Promu général, ce tacticien hors pair fait preuve de remarquables capacités d’improvisation, quand son ardeur, fidèle à sa devise — "Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais" —, lui vaut la reconnaissance des paysans. Palliant la supériorité numérique des Bleus, il invente une forme de guérilla, les harcelant dans le bocage. Napoléon, d’ailleurs, admire sa hardiesse et son génie militaire.

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