Azincourt, la plus sotte des défaites !

C’est une bataille improbable, inutile, menée sous une pluie battante dans un champ de blé du nord de la France. Le romancier Jean Teulé nous fait revivre dans son nouvel ouvrage* ces trois journées dantesques où quelques milliers de soldats anglais, malades et épuisés, ont décimé la fine fleur de la noblesse de France.

Par François Billaut - 26 mars 2022, 09h00

 La bataille d'Azincourt, opposant les Français aux Anglais, se déroula le 25 octobre 1415.
La bataille d'Azincourt, opposant les Français aux Anglais, se déroula le 25 octobre 1415. © The Stapleton Collection / Bridgeman Images

Pourquoi vous passionner pour Azincourt, une défaite ?

Cette bataille n’aurait jamais dû avoir lieu. La noblesse française s’y est jetée tête baissée, et elle a été anéantie. C’est comme une fable où la prétention, la vanité ont été incroyables. Beaucoup de livres ont été écrits sur le sujet, que je trouvais toujours un peu ennuyeux, mal fichus avec deux cents pages pour expliquer le contexte politique, autant pour les conséquences, et finalement peu de chose sur la bataille elle-même. Mon livre débute donc la veille du combat, quand les troupes françaises s’installent, et se termine sur le champ pour donner l’impression au lecteur d’être là, de tout voir dans les deux camps.La présence de Charles d’Orléans, le poète, vous a-t-elle inspiré ?

Non, au contraire ! Après Crénom, Baudelaire !, je m’étais dit que je n’écrirais plus sur les poètes. Et là, c, le plus grand poète de son temps, s’est invité dans cette histoire. C’est le neveu de Charles VI, dont les fils mourraient les uns après les autres, et si le futur Charles VII n’avait pas survécu, il serait devenu roi. Ce qui est fou avec Charles d’Orléans, c’est qu’il n’a rien vu de la bataille d’Azincourt. Tombé très vite de cheval, il a été recouvert par d’autres corps, des carcasses de chevaux. Les Anglais l’ont tiré de là, pas étouffé ni même blessé, et l’ont emmené comme otage à Londres.

La Tour de Londres.
La Tour de Londres, où Charles d’Orléans, otage du roi Henri V, passera vingt-cinq ans de sa vie. © British Library Board. All Rights Reserved / Bridgeman Images

Et il y a passé sa vie…

Henri V a demandé une rançon impossible à réunir, 300 000 écus d’or. En fait, le roi d’Angleterre préférait garder ce potentiel roi de France sous la main, dans ses prisons. Charles d’Orléans avait 21 ans à Azincourt et il a quitté les geôles de Londres à 46 ans ! Il a abandonné la politique et ne s’est plus occupé que de poésie. Finalement, c’est une chance pour la littérature française, même si la langue n’est pratiquement pas lisible pour nous. Il y a de bonnes traductions, ou plutôt adaptations, mais on perd un peu de la musique…

Comment dialogue-t-on justement en français de l’époque ?

J’ai choisi de mettre des bouts de phrases en vieux français, pour le "son original". Mais le récit est dans un style tout à fait contemporain. 

Charles VI "le Fol", comme son surnom l’indique, est fou…

Complètement fou. Il souffre d’une maladie mentale, "l’illusion de verre", dont il est le premier cas connu. Persuadé que son corps est fragile comme un cristal, il se fait poser des attelles de bois le long des jambes, des bras, des cerceaux de fer autour de la poitrine et il interdit à quiconque de le toucher, de crainte d’être brisé. Mais c’est sa noblesse, et toute sa cour, qui vont voler en éclat à Azincourt.

En pleine crise de folie, Charles VI attaque ses propres hommes et en tue quatre.
Le roi Charles VI, en forêt du Mans, attaque sa propre escorte lors d’une crise de folie. © Photo Josse / Bridgeman Images

Quel est le fond de cette bataille ?

Henri V s’est dit : "Le roi de France est dingue, profitons-en pour l’attaquer !" Il a débarqué avec 24 000 hommes, en Normandie. Son objectif était de remonter la Seine jusqu’à Paris, et de se rendre maître du royaume. Il lui fallait d’abord prendre Harfleur, une petite ville fortifiée, aujourd’hui un quartier du Havre, qui commandait l’embouchure du fleuve. Mais Harfleur a résisté. Presque deux mois de siège, sous une pluie incessante, les vivres moisissaient. La moitié de l’armée anglaise a été tuée, et le 8 octobre 1415, Henri V a décidé de rentrer en Angleterre. Alors qu’il tentait de regagner Calais, alors place forte anglaise, avec les reliques de son armée, ses soldats affamés se sont jetés sur des moules de bouchot. Si elles se trouvaient là, abandonnées, en baie de Somme, c’est qu’elles avaient un problème de fraîcheur… Une épidémie foudroyante de dysenterie s’est déclarée, qui a fait 2 000 morts de plus dans les rangs anglais.

Le roi Henri V régna sur l'Angleterre de 1413 à 1422.
Henri V d’Angleterre revendique le trône de France au nom de son aïeule, Isabelle de France, fille de Philippe le Bel, et de son épouse Catherine, fille de Charles VI. © Look and Learn / Elgar Collection / Bridgeman Images

Et c’est alors que les Français ont décidé d’attaquer…

À 70 km au sud de Calais, entre les champs d’Azincourt et de Tramecourt. Le jour de la bataille, quand il a découvert en première ligne la fine fleur de la noblesse française, en armures rutilantes incrustées de pierreries, Henri V a envoyé son héraut d’armes, pour négocier. Le roi d’Angleterre a proposé de rendre Harfleur, et même Calais, pourvu qu’on le laisse traverser ce champ. Mais les Français, pleins d’assurance et d’arrogance face à cette troupe déguenillée, ont refusé net. La veille, alors que les Anglais épuisés et malades tentaient par tous les moyens de se protéger de la pluie incessante, les Français ont fait la fête, abusant des vins que chacun avait apportés. Et princes, ducs, comtes et barons se sont mis à parier pour savoir qui parviendrait à capturer Henri V pour le promener dans une cage dans les rues de Paris.

Comment expliquer la victoire des Anglais, la technique, la stratégie ?

Surtout, ils n’ont plus rien à perdre. Et Henri V est un très bon chef de guerre. Si les Français s’étaient organisés, ils auraient vaincu en un quart d’heure. Les Anglais ont placé leurs archers en première ligne. Dans l’autre camp, les arbalétriers et les canons ont dû céder le pas aux chevaliers français, qui refusaient d’abandonner cette victoire à la piétaille. Toute la noblesse de France s’est entassée dans un goulot de 500 mètres de large, sur une dizaine de lignes, au point de ne plus pouvoir tirer l’épée du fourreau. Ni de manier les lances, qu’ils ont fait couper de moitié ! Coincés dans la boue à mi-jambe, avec leurs armures de 40 kg, ils étaient incapables d’avancer. Trois heures immobiles à trépigner… Et quand les archers anglais ont commencé à tirer, les chevaliers français du premier rang, décimés mais figés dans la boue, comme des statues de l’île de Pâques, ont bloqué le passage aux suivants.

Les soldats anglais déciment les rangs français lors de la bataille d'Azincourt, en 1415.
Sur la miniature tirée des Vigiles de Charles VII de Martial d’Auvergne, les soldats anglais déciment les rangs français. © Tallandier / Bridgeman Images

Est-ce l’absence de stratège, côté français, qui conduit à cette catastrophe ?

Le connétable, Charles d’Albret, nommé uniquement car il était un cousin germain du roi, n’avait aucune compétence à ce poste. Au point de se positionner, lui aussi, en première ligne ! Henri V était resté à l’arrière, pour commander… Et il se moquait bien de L’Arbre des batailles, un traité de guerre chevaleresque obsolète, que les Français suivaient à la lettre. Quand Charles d’Albret a relevé la visière de son heaume, pour donner l’ordre d’avancer, il a pris une flèche dans la bouche qui l’a transpercé jusqu’à la nuque, sans avoir terminé sa phrase. Avant même les premiers affrontements, il n’y avait plus de chef côté français. Notre chevalerie a été anéantie, 1 600 nobles prisonniers, et morts pour la plupart dans les geôles anglaises.

La bataille d’Azincourt, dans les Grandes chroniques de France de Jean Fouquet.
La bataille d’Azincourt, dans les Grandes chroniques de France de Jean Fouquet, conservées à la Victoria & Albert Library à Londres. © The Stapleton Collection / Bridgeman Images

Pour la France, c’est une défaite terrible…

La noblesse française décimée, il n’y a plus un conseiller de valeur, un ministre à la cour de Charles VI....

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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