"C’est comme une météorite tombée sur la ville. Les Arlésiens sont imprégnés de romanité. Ils doivent s’approprier ce nouveau lieu pour y écrire leur propre histoire", analyse la galeriste Anne Clergue qui parle en connaissance de cause. Son père Lucien Clergue fut aussi la cible des critiques lorsqu’il cofonda les Rencontres de la photographie en 1968. "On l’a accusé de vouloir se mettre en valeur, tout comme Maja. Bien sûr, il y a de l’ego en jeu mais il y a avant tout, comme chez mon père, un grand désir de partage."
Les deux femmes se connaissent bien, liées par une complicité qu’Anne Clergue qualifie de "camarguaise", toutes deux étant nées – ça ne s’invente pas – sous le signe du Taureau. Maja Hoffmann, dont l’arrière-grand-père a lancé les laboratoires Roche, porte le prénom de sa grand-mère Maja Sacher, grande collectionneuse d’art qui finança, en 1980, la construction du Museum für Gegenwartskunst en Allemagne, l’un des premiers musées d’art contemporain au monde.

La philanthropie fait partie de l’ADN de la famille. Luc Hoffmann, père de Maja dernière du nom, a quant à lui créé en 1954 la Tour du Valat au cœur de la Camargue, institut précurseur dans l’étude des zones humides, puis la Fondation Van Gogh à Arles avec l’aide de Yolande Clergue.
La Fondation Luma, structure pluridisciplinaire pour soutenir les artistes
C’est en partie pour lui et son œuvre à l’égard de la nature que l’héritière a conçu la Fondation Luma, premières syllabes des prénoms de ses enfants Lucas et Marina. Elle l’a pensée comme un écosystème se nourrissant de projets artistiques et scientifiques, fantastique laboratoire pour certains, obscure nébuleuse pour d’autres.

Treize ans ont été nécessaires pour passer de l’utopie à la réalité, depuis 2008 et le premier protocole passé avec les collectivités locales. Choisir Frank Gehry pour la construction de ce lieu d’avant-garde fut pour Maja Hoffmann une évidence.
"Je travaillais sur la production d’un film lui étant dédié et j’avais l’impression de le connaître. J’aime la manière dont il joue avec les formes, sa façon de se laisser inspirer au fil du temps", confie la mécène. Avec cette dernière, "qui ne fut pas juste une cliente mais s’est révélée artiste elle-même", l’architecte du musée Guggenheim à Bilbao, 92 ans aujourd’hui, propose un premier projet retoqué car jugé trop proche de la nécropole gallo-romaine des Alyscamps.

La hauteur de la tour revue à la baisse, Gehry, qui rêvait de peindre avec l’architecture, l’habille d’un métal à même de réfléchir la lumière d’Arles qui fascinait Van Gogh en son temps. Selon le ciel et les heures du jour, la tour aux reflets changeants devient un paysage mouvant. "J’ai voulu créer un bâtiment accueillant, donnant sur la rue, où chacun peut se sentir chez lui", raconte l’architecte.
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Dans l’entrée, Isometric Slides, un gigantesque toboggan de l’artiste Carsten Höller, laisse apparaître cette volonté d’ouverture. "Sur la terrasse, nous avons aussi installé le premier skatepark d’Arles, raconte Mustapha Bouhayati, directeur de Luma Arles. Ceux qui viendront en profiter n’auront peut-être pas conscience que c’est une œuvre d’art de Koo Jeong A. Nous espérons alors que nos médiateurs, en leur expliquant, leur donneront envie de pousser la porte des expositions."

Inclure tous les publics fait entièrement partie du projet Luma enraciné dans le Parc des Ateliers, l’ancien site des ateliers SNCF resté presque en friche durant quarante ans. "La Grande Halle avait été restaurée par la région, raconte une ancienne adjointe de Hervé Schiavetti, maire communiste d’Arles de 2001 à 2020, mais elle était restée une coquille vide. Il manquait des moyens."
Avec ses lieux dédiés à l’Atelier Luma et sa recherche de nouveaux matériaux issus de la nature, à des répétitions pour le spectacle vivant ou à des expositions et productions inédites, le parc se dote aussi d’un jardin pensé par l’artiste Bas Smets, ouvert à tous. Une oasis dans cette ville qui compte très peu d’espaces verts.

"C’est sans doute par ce nouveau parc que les Arlésiens les moins familiers à l’art rentreront dans la Fondation, estime Claire de Causans, adjointe à la Culture du maire actuel Patrick de Carolis. Arles est la plus grande commune de France en termes de superficie. Elle compte 52.000 habitants – 36.000 dans le cœur de ville –, dont 23% de taux de pauvreté. Maja a toujours ouvert le chantier aux Arlésiens et entreprend de nombreuses actions en faveur des villages et quartiers, pas seulement dans le domaine de l’art."
Maja Hoffmann, une fille de la Camargue
À l’échelle de la ville, Maja Hoffmann a également acheté des hôtels dont L’Arlatan entièrement conçu par l’artiste Jorge Pardo, pourvoyant ainsi aux alentours de 400 emplois. "On pourrait dire que c’est un zeste 'impérialiste', commente le couturier Christian Lacroix. Je le vois pour ma part comme une générosité héritée de sa famille. Les lieux investis ou créés sont exempts de toute vulgarité ou concession aux modes banales, avec des partis pris dont on peut discuter, mais qui ne sont jamais ordinaires."
Ces investissements apportent un indéniable dynamisme comme en témoigne un restaurateur dont l’affaire tourne mieux que jamais. Christoph Wiesner, le nouveau directeur des Rencontres de la photographie, se réjouit aussi de l’ouverture de la Fondation. "Nous avons une belle carte à jouer en créant des passerelles entre nous, raconte-t-il. Maja, avec qui j’ai souvent parlé de projets artistiques complexes qu’elle soutenait, propose toujours une nouvelle vision."
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