Après quinze romans, pourquoi avez-vous décidé de plonger dans l’Histoire ?
L’époque contemporaine n’est pas très romanesque pour les enquêtes policières. Il y a la police scientifique d’un côté, les ordinateurs de l’autre. L’essence d’un polar, c’est l’humain. Quelqu’un qui frappe aux portes, rencontre des gens, découvre des milieux différents. Je voulais écrire des scènes où passer un coup de fil devient une aventure.
Les Promises se déroule dans le Berlin de 1939. Pourquoi ce choix ?
Dans mes livres, les enquêteurs poursuivent un criminel dans un décor infernal. Et à cette époque, Berlin est le berceau du mal. Il y règne une grande misère comme une folie artistique. Je trouvais intéressant qu’à travers l’enquête policière le lecteur ressente un glissement du grand théâtre de la guerre et des crimes de masses au petit théâtre du meurtre, celui de trois personnages poursuivant l’assassin de quatre victimes.
Votre première scène relate une séance de psychanalyse au cours de laquelle une patiente raconte son rêve à un drôle de praticien. Qui est Simon Kraus exactement ?
La psychanalyse me passionne. Freud, c’est Sherlock Holmes. Son analyse du détail et de l’apparence des choses l’emmène vers la vérité. Mon thème de départ, ce sont les rêves. Le livre d’une Juive berlinoise de l’époque m’a intéressé. En collectant les rêves de ses connaissances, elle a remarqué qu’ils étaient empreints d’angoisse et de menace. Et pour Simon, je voulais un personnage petit avec une revanche à prendre. Tout en étant beau et séduisant. C’est un gigolo de poche et un psychanalyste limite qui enregistre en cachette les confidences de ses patientes.
Vous utilisez Franz Beewen, grande brute issue des SA pour illustrer l’état d’esprit d’une partie de l’Allemagne ?
Derrière leurs individualités, mes enquêteurs sont des grandes figures symboliques de l’époque. Beewen représente l’Allemagne revancharde. Le terreau de Hitler, c’est l’humiliation de la guerre de 1914-1918. Il faut prendre sa revanche, devenir un pays prospère et attaquer ensuite ses anciens vainqueurs.
Au travers de votre troisième protagoniste, la baronne Mina van Hassel, vous mettez la lumière sur les rapports de l’aristocratie allemande avec le nazisme…
Contrairement à ce que l’on pense, l’aristocratie n’était pas pronazie. Pour les aristocrates, Hitler était un clochard. Ils le méprisaient. Mais ils ont fait comme tout le monde, ils se sont adaptés.
"Un peintre raté, un boiteux, un drogué et un éleveur de poule." En définissant Hitler et ses proches, vous expliquez le chaos qui régnait derrière l’ordre prôné par les nazis…
Je l’ai découvert lors de mes recherches. J’avais ce stéréotype d’une discipline de fer. En fait, les leaders du nazisme sont des repris de justice. Déjà les SA, qui ont été éliminés par les SS, étaient une bande de pillards et de barbares. Le pays est aux mains de gangsters. Pour le reste, quand vous supprimez les élites, il ne reste plus que les analphabètes. C’est un moment de folie de l’histoire.
Quelle est la place des femmes dans cette Allemagne gangrenée ?
Je suis fasciné par le pouvoir que Hitler a exercé sur elles. C’était une rock star. Il leur plaisait de manière irrationnelle. Lorsqu’elles l’écoutent ou lorsqu’elles font le salut hitlérien, sur leurs visages apparaît une sorte de transe hypnotique. Mes dames de l’Hôtel Adlon, futiles et légères, ont un fanatisme politique que l’on prête plus souvent aux hommes. Lorsque la prospérité revient, en 1939, le pays est en ordre, avec des uniformes à tous les coins de rue. C’était rassurant pour certaines femmes
Parmi les nombreuses pistes suivies par les enquêteurs, il y a le milieu du cinéma. Là aussi, à contre-courant de l’imaginaire collectif, il y avait plus de films romantiques que de propagandes…
Les dirigeants nazis étaient malins. Ils avaient des coups d’instincts. Au lieu d’ennuyer tout le monde avec des films inquiétants, ils ont mis l’accent sur les comédies légères, des petites opérettes pour distraire les gens.
Dans la troisième partie du livre, vous citez des divinités grecques. Le nazisme est-il une religion, une croyance mystique de supériorité ?
Comme le communisme, le nazisme est un système politique si idéologique, si puissant que, pour moi, il prétend à devenir une religion. Ces dictatures ont un tel culte de la personnalité que leurs chefs deviennent des dieux. J’ai remarqué que la pyramide nazie était organisée comme l’Olympe avec en haut un groupe de divinités principales. Ces hommes, et c’est ce qui est fascinant, ne voulaient pas seulement le pouvoir, ils avaient un projet, une folie coriace et obsessionnelle : changer la race humaine.
Les Promises, de Jean-Christophe Grangé, Albin Michel, 652 pages, 23,90 euros.

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