Dominique Tapie, la femme de l’ombre

Elle fut pendant cinquante et un ans l’épouse d’un personnage public au tempérament complexe, dont la fureur de vivre n’avait d’égale que sa force tranquille. Il aimait l’exposition. Elle préfère la discrétion. Un an et demi après sa mort, elle publie pourtant un témoignage fin et juste, hommage tendre et amoureux à l’homme qu’elle a tant aimé.

Par Anne-Cécile Huprelle - 24 mars 2023, 08h30

 Dominique Tapie publie Bernard, la fureur de vivre, aux éditions de l’Observatoire, en hommage à son mari disparu le 3 octobre 2021.
Dominique Tapie publie Bernard, la fureur de vivre, aux éditions de l’Observatoire, en hommage à son mari disparu le 3 octobre 2021. © Hannah Assouline

Pourquoi avoir décidé de raconter votre histoire ?

Dominique Tapie : Je n’aime pas prendre la parole, je suis plutôt une écouteuse qu’un tribun. Quand Jean-Louis Borloo m’a suggéré d’écrire un livre sur mon histoire avec Bernard, cela m’a permis de mettre "des mots sur des maux", cela m’a aidée à comprendre des choses. Vous savez, je ne réalise encore pas tout ce que j’ai vécu aux côtés de mon mari. Ce livre m’a poussée à analyser la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui, car, au début, je lui en voulais. Et peu à peu, j’ai fait la paix avec lui, avec notre passé.

Votre livre débute en 1969. Vous vous rencontrez au "Club Bleu", une centrale d’achat pour les comités d’entreprise. Il est séducteur, vous lui résistez. Ce qui aiguise davantage son inclinaison...

Il ne m’attirait pas spécialement ! J’étais très classique, très "bourgeoise" comme il aimait le dire, je représentais donc un challenge pour lui. Il était et restera un homme de défis toute sa vie. Nous nous sommes fréquentés, puis aimés. Mais j’ai posé des conditions : "Un pas de travers, et c’est terminé." Il l’a su et l’a compris. Je n’aurais toléré aucune entaille dans la passion qui nous liait. Cette attitude fut mon salut !

Une fois pourtant, vous avez eu vent d’une rumeur. Votre réaction fut épique !

Il tournait Hommes, femmes : mode d’emploi avec Claude Lelouch. Un magazine à scandale titrait sur une liaison naissante entre mon mari et une actrice du film. Quand il est rentré à la maison, il a trouvé la couverture de la revue plantée sur la porte avec un couteau de cuisine. Bernard a compris, je n’ai pas eu besoin de le faire deux fois. Il fallait avoir de la trempe face à lui. Cela n’aurait pas duré toute une vie. Nous avons vécu cinquante et une années de passions, d’aventures, de tourbillons, de gloires et de chutes. Une vie comme un roman.

Dominique et Bernard Tapie assistent à la soirée des 7 d'Or en octobre 1985.
Dominique et Bernard Tapie assistent à la soirée des 7 d'Or en octobre 1985. © RINDOFF-PATERSON / BESTIMAGE

La dernière page de votre livre est extrêmement émouvante. Vous dites qu’au-delà de tout ce qu’il vous a donné, votre mari vous a offert une "sécurité affective"...

Moi qui, enfant, avais été ballottée entre ma mère et ma grand-mère paternelle, je ne rêvais que de cela. Bernard était tendre dans ses mots et ses gestes. Parfois, il me reprochait de ne pas être démonstrative, d’être sur la retenue, tandis que lui me couvrait d’amour. C’était un homme excessif, mais vrai et sincère. En public et dans l’intimité. Cela n’a pas de prix. Son absence n’en est que plus cruelle.

Vous aimiez follement Bernard Tapie. Vous l’admiriez également ?

Il était brillant. Il avait toujours un temps d’avance. Dans les années 1970, il a contribué à populariser la phytothérapie française, à travers Maurice Mességué, pionnier de la santé par les plantes. En 1990, quand il rachète Adidas, il avait prédit : "Tout le monde finira en baskets." Aujourd’hui, quand je vois la première dame, Brigitte Macron, en porter de manière très élégante, j’ai une pensée émue pour mon époux. Il aimait imaginer l’avenir, il aimait le business et il aimait les gens. Un cocktail magnifique pour savoir "sentir les affaires". Ses idées foisonnaient en permanence. Il y a des décennies de cela, il avait eu l’idée d’ouvrir un fast-food avec des burgers végétariens sur les Champs-Élysées. Il était trop en avance...

Dominique et Bernard Tapie à l'inauguration de la Boutique "Bleu comme bleu" à Paris en 2000. :
Bernard et Dominique Tapie auront vécu plus d’un demi-siècle côte à côte... Pour le meilleur et pour le pire. Ici, en 2000 à Paris. © JLPPA / Bestimage

S’était-il trompé de pays ?

Lui qui aimait la France était sans doute trop américain. Il montrait son succès. Mais sans condescendance aucune. Lorsque nous sommes allés sur le Tour de France, le cycliste Jean-François Bernard admirait sa voiture. Bernard lui a dit : "Elle te plaît ? Si tu gagnes, je t’en achète une." Et ce fut fait... À une époque, Bernard s’est pris de passion pour le mobilier des XVIIe et XVIIIe siècles. Son plaisir était de voir sa maman s’installer dans un fauteuil Régence. Bernard disait toujours : "Je suis né dans le tiroir du bas." Arrivé en haut de la commode, il avait envie de le montrer. Il n’a jamais fait sien le fameux adage "pour vivre heureux, vivons caché". C’est ce qui nous a perdus.

Vous l’aviez prévenu pourtant...

Oui, en 1992, Bernard avait tout : il était député, président de l’OM, il avait redressé des entreprises comme Adidas, Testut, Terraillon, La Vie Claire, Look, il possédait 2 % de TF1. Son groupe était coté en Bourse. Il avait tout... sauf la lucidité, l’humilité et la modération. Et même si je flairais le danger, il ne m’écoutait pas. Moi qui ne me suis jamais exposée de plein gré dans les médias, je l’ai fait, en 1990, quand Michel Drucker m’a proposé une interview. Je l’ai acceptée et je n’ai pu cacher mon inquiétude. Je lui ai dit : "Si mon mari met un pied à terre, ce sera la curée." Déclaration prémonitoire. Bernard a trop donné de sa personne, il s’est trop dévoilé. Hélas, à ce jeu, il y a toujours un retour de bâton. À tous les points de vue, je n’étais pas "la femme de l’ombre", mais "la femme qui guettait dans l’ombre".

L’une des plus belles journées de la vie de Bernard Tapie, au milieu des joueurs, le soir de la victoire de l’Olympique de Marseille sur l’AC Milan lors de la finale de la Coupe d’Europe, le 26 mai 1993.
L’une des plus belles journées de la vie de Bernard Tapie, au milieu des joueurs, le soir de la victoire de l’Olympique de Marseille sur l’AC Milan lors de la finale de la Coupe d’Europe, le 26 mai 1993. © FEP/Panoramic/Bestimage

En 1993, encore une fois, vous sentez le danger. Avant le match OM-Valenciennes, vous l’entendez parler au téléphone...

Il la voulait tellement cette Coupe d’Europe, il voulait tellement protéger ses joueurs... Avec mon fils Laurent, nous l’entendons dire : "Surtout, qu’ils ne cassent pas nos joueurs, pas de blessés." Laurent l’a supplié de rappeler son interlocuteur pour éviter toute mauvaise interprétation. Il nous a rabroués. Vous connaissez la suite...

Tentez-vous d’excuser votre mari dans le livre ?

Non, je l’explique. Je n’étais pas au courant de ses affaires. J’essayais de rester en arrière, car le plus important était de garantir la stabilité du clan, nos enfants, la santé. Le reste ne concernait que des biens matériels. J’étais et suis restée dans une forme de résilience. Et Bernard me disait : "On s’en sortira toujours."

Dominique et Bernard Tapie arrivent au tribunal de Valenciennes. L'homme d'affaire, alors dirigeant de l’OM, est jugé pour corruption lors du procès de l’affaire OM-Valenciennes en mars 1995.
Dominique et Bernard Tapie arrivent au tribunal de Valenciennes. L'homme d'affaire, alors dirigeant de l’OM, est jugé pour corruption lors du procès de l’affaire OM-Valenciennes en mars 1995. © AGENCE / BESTIMAGE

Jusqu’en 1997, où le colosse a été "démoli"...

Je n’ai pas d’autres mots pour évoquer la prison qui fut l’un des pires moments de la vie de Bernard et de notre famille, dont le nom a été sali. Ma fille, Sophie, était née en 1988, avec un papa ministre, flamboyant, et sept ans plus tard, il était détenu comme un vulgaire criminel, à la Santé, puis à Luynes, en passant par les Baumettes. Tout cela pour un match de football... Isolé, à terre, il suffoquait entre les murs de sa cellule, reniflant l’air sous la porte, comme un animal. A-t-on le droit d’imposer cela à un homme ? De retour à la maison, il était si...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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