David Foenkinos dans l’ombre de Harry Potter

Comment l’idée du livre est-elle née ?

Il y a deux ans, j’ai regardé les adaptations de Harry Potter à l’occasion de leur rediffusion à la télévision. Lorsque je vois un film, j’aime aller sur Internet chercher des informations sur les circonstances de sa création et les détails techniques du tournage. De fil en aiguille, je suis tombé sur une interview de la directrice de casting de la saga. Elle raconte que des centaines d’acteurs ont été auditionnés pour le rôle principal, et, qu’à la fin, il n’en restait que deux. L’enjeu était énorme : un budget de cent millions de dollars, un engagement pour sept volets, soit au moins dix ans de tournage. Après des mois d’auditions, Daniel Radcliffe a finalement été préféré à un autre jeune garçon, auquel, dit-elle, il manquait "un petit quelque chose en plus". J’ai tout de suite pensé à ce malheureux : comment avait-il vécu le fait d’être passé si près d’un destin exceptionnel ? Il m’a semblé que sa vie avait dû être frappée du sceau de son propre échec, et de celui du succès de Radcliffe, auquel il n’a cessé d’être confronté. Il y avait là quelque chose de tragique, une sorte de condamnation à perpétuité que j’ai voulu explorer. Et puis, j’avais déjà une propension à m’intéresser à ceux qui échouent. J’ai toujours eu de la sympathie pour les perdants.

À l’occasion de vos recherches, vous découvrez la multitude d’histoires qui ont abouti à la naissance du phénomène Harry Potter à partir de 1997. Pourquoi avoir voulu les raconter ?

Parce qu’elles m’ont passionné ! La genèse de la saga regorge d’anecdotes incroyables. À commencer par l’histoire de son autrice, J. K. Rowling, dont on oublie qu’elle est une miraculée ! Il faut imaginer cette femme, seule en Écosse, mère célibataire au chômage, logée par sa sœur, orpheline vivant d’aides sociales après avoir été victime d’un mari violent. En quelques mois, alors que son manuscrit avait été refusé par tous les éditeurs, elle est propulsée parmi les femmes les plus riches d’Angleterre, puis de la planète. Si elle a sa part d’ombre, sa vie reste un hallucinant conte de fées qui participe de la magie du livre.

Ce conte est aussi devenu possible par une succession d’autres petits miracles...

Le manuscrit a d’abord été lu par la petite-fille du directeur financier de la maison d’édition, qui a voulu savoir la suite. Puis, un peu par hasard, par l’assistante du producteur, David Heyman, qui l’a dévoré en une nuit. L’itinéraire de cet homme m’a aussi beaucoup intéressé : enfant de la balle, jamais pris au sérieux car renvoyé à son statut de "fils de" — sa mère a produit Les Liaisons dangereuses et son père a travaillé sur Marathon Man —, il va prendre sa revanche en achetant Harry Potter avant tout le monde et en devenant le producteur le plus en vue du cinéma. Cerise sur le gâteau, j’ai compris plus tard que mon propre frère, Stéphane, a travaillé sur le casting de l’adaptation de Harry Potter et la Coupe de feu, le quatrième opus de la série.

Au cœur du livre, il y a une question que tout le monde est amené à se poser un jour: et si je n’avais pas rencontré telle personne, vécu tel événement, fais telle chose ou telle autre, quelle aurait été ma vie ?

C’est en effet pour moi une question vertigineuse et obsédante, tant d’un point de vue intime que romanesque. L’expression dit que le hasard fait bien les choses. Mais il arrive aussi qu’il les fasse mal. C’est le cas, et pire encore, pour mon personnage Martin Hill. Il n’a jamais cherché à être acteur et passe un casting par un concours de circonstances. Dans mon cas personnel, l’événement le plus déterminant de ma vie a sans aucun doute été la maladie dont j’ai souffert à l’adolescence. J’ai failli mourir. Puis j’ai passé de longs mois à l’hôpital, à lire. Bien que très traumatisante, cette expérience a déverrouillé mon rapport à la sensibilité. Tout d’un coup, j’ai pu me connecter à la littérature, à l’art et à tout un univers culturel auquel mon éducation ne m’avait pas donné accès. Quelqu’un m’a dit un jour que mon opération du cœur m’avait relié à mon destin, comme si je faisais fausse route jusque-là. Certaines personnes pensent que tout est écrit et que les accidents nous mènent là où nous étions attendus. Il est certain qu’il y a là quelque chose de troublant.

Vous avez connu un succès phénoménal avec La Délicatesse, publié en 2009. Vendu à plus d’un million d’exemplaires et adapté au cinéma, ce livre vous a rendu célèbre. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Bizarrement ! En fait, je n’ai jamais cherché à obtenir ce que j’ai accompli. La réussite m’est tombée dessus. Longtemps, j’ai écrit sans jamais penser qu’un jour je serais publié. Il y a eu toute une époque, où je n’envoyais même pas mes manuscrits. L’écriture était une passion, une nécessité parallèle. Puis j’ai été publié, et, pendant des années, j’avais assez peu de lecteurs. Cela me paraissait normal et m’allait très bien aussi. Je n’envisageais pas du tout de pouvoir vivre de cette activité. Je n’attendais rien, les choses se sont juste agencées ainsi. Peut-être qu’après tout ce n’est totalement que du hasard... Comme pour l’amour : on dit qu’il ne faut pas le chercher pour, enfin, le trouver !

Rejeté pour le rôle de Harry Potter, Martin Hill entretiendra ensuite avec l’apprenti magicien une sorte de connivence mystique...

Cela m’amusait d’imaginer Martin Hill en quelque sorte rattrapé par le destin du personnage à côté duquel il est passé. Sans trop dévoiler le contenu du livre, disons que sa vie sera parsemée d’éléments de la vie de Harry Potter. Plus largement, tout au long du roman, il cherchera le chemin vers l’apaisement et la consolation pour surmonter sa peine. On connaît les difficultés traversées par Daniel Radcliffe et, plus largement, par beaucoup d’enfants stars... Au sommet de la gloire, lui aussi a rêvé, comme nous tous, à d’autres autres vies possibles. Ces existences, seule la fiction nous permet de les vivre.

*Numéro deux, de David Foenkinos, Gallimard, 240 p., 19,50 euros.