Tarik Bougherira et Quentin Bonnefoy parcourent fiévreusement leur chantier, enjambant les derniers gravats, bousculant presque les ouvriers qui s’activent. "Ici, ce sera le salon Murat, et là, le cabinet de curiosités, un écrin pour les plus belles pièces qui sera tapissé de bleu. La semaine prochaine, nous commençons la dorure à la feuille d’or des boiseries."
Au cœur du XVIIe arrondissement de Paris, les deux jeunes galeristes –respectivement 30 et 27 ans– comptent les jours. Dès que les mesures sanitaires le permettront, ils inaugureront leur nouveau lieu d’exposition, l’hôtel Viaudey, 300 m2 entièrement consacrés à Napoléon Ier. L’accomplissement d’un rêve après l’ouverture, en 2016, d’Imperial Art, une galerie spécialisée dans le premier Empire qui propose à la vente près de 200 objets et œuvres d’art, du buste de l’Empereur à la cuillère en vermeil... Et jusqu’à la mèche de cheveux! "Ce bicentenaire va être porteur d’affaires", concède Quentin Bonnefoy. "C’est un moment que l’on veut vivre pleinement. En tant que marchands, mais aussi en tant que passionnés."

Dans le monde très select des ventes napoléoniennes, maître Jean-Pierre Osenat est une figure incontournable. Sous son marteau, dans l’hôtel des ventes qui porte son nom à Fontainebleau, s’adjugent certaines des plus belles pièces au monde. "Personne ne lui arrive à la cheville, décrypte un spécialiste. La force de frappe d’Osenat est colossale. Un objet qui va se vendre 3.000 euros chez Drouot pourra se vendre 10.000 euros chez eux."
Parmi les faits d’armes de la maison, la vente, en 2014, du bicorne de l’Empereur, remporté par un collectionneur coréen pour la somme de 1,9 million d’euros; ou celle, en 2017, d’une feuille de laurier en or qui ornait la couronne du sacre, adjugée 800.000 euros. Dix fois plus que l’estimation initiale! Et le business ne connaît pas la crise... "Dans un monde d’incertitudes, l’objet d’art est rassurant", analyse le directeur associé, Jean-Christophe Chataignier. "Nous sommes dans un marché de niche. Quand un objet passe, c’est un objet unique. C’est maintenant ou jamais."
Qui sont les fous de l'Empereur?
Combien sont-ils, ces acheteurs prêts à se ruiner pour assouvir leur "Napoléomania"? Au moins des dizaines de milliers en France. Sans compter les étrangers, Américains, Chinois, Russes, Coréens... "Dans mes clients, j’ai des politiques, des fortunes du CAC 40 mais aussi un infirmier, un manutentionnaire et même un moniteur de jet ski", s’amuse Tarek Bougherira. Les acheteurs sont de tous âges. Autour des figures médiatiques, tels Pierre-Jean Chalençon et Bruno Ledoux, gravite la foule les anonymes, fortunés ou pas. Un monde où les femmes ont toute leur place, contrairement aux idées reçues.

Françoise Deville fait partie de ces "amoureuses", passionnée de Joséphine depuis l’enfance. "Je suis tombée sous son charme en 1979, en regardant la série télévisée Joséphine ou la Comédie des ambitions, avec Danièle Lebrun", s’amuse celle qui a commencé à collectionner les objets intimes en 2013 et en possède aujourd’hui près de 800. Parmi les pièces dont elle est la plus fière: une robe, des chaussures, un bracelet, mais surtout une lettre d’amour écrite par Bonaparte à son épouse pendant la campagne d’Italie: "Je n’ai pas passé un jour sans t’aimer, je n’ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras, je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie."
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Pour Viviane de Witt, l’Empereur est avant tout une histoire de famille. "Mon mari est un descendant de Jérôme Napoléon, roi de Westphalie. Mais comme je suis en partie corse, par mon père, j’ai aussi été élevée dans cet amour de la saga napoléonienne." Chez les Witt, les souvenirs de l’Empereur sont partout. Car la comtesse Marie-Clotilde, belle-mère de Viviane de Witt, est née princesse Bonaparte. Et a hérité de son père et de son frère une fabuleuse collection. Parmi les objets qui font la fierté du clan: le sabre que portait Napoléon, alors Premier consul, lors de la bataille de Marengo, le 14 juin 1800. Quand Marie-Clotilde de Witt disparaît, cinq de ses enfants décident de vendre leur part de la collection, dont le précieux sabre.

Pour Viviane de Witt, il est hors de question qu’un tel trésor change de mains, ou pire encore, quitte le sol français. En 2007, au cours d’une vente historique –toujours chez Osenat–, elle s’en rend propriétaire pour la somme folle de 4,8 millions d’euros. Un record pour une arme.
La Napoléomania s'empare aussi des librairies
Mais avec le bicentenaire, le raz-de-marée est surtout attendu en librairies. Car Napoléon est connu pour doper les ventes. Or le monde de l’édition a vu grand: plus de 200 ouvrages devraient se bousculer sur les rayonnages! Biographies, dictionnaires, atlas, correspondances... Dans ce flot, dès lors, il sera difficile de tirer son épingle du jeu. "Chez Perrin, on joue la carte de l’inédit et de l’exceptionnel", raconte Benoît Yvert, son directeur. "L’année va être chargée, c’est vrai", confirme l’historien Charles-Éloi Vial, qui signe deux livres en l’espace de trois mois. Son Napoléon, la certitude et l’ambition, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, est à peine paru, qu’un second, sur les Cent-Jours, est annoncé pour février prochain. "Vous savez, 2021, on s’y prépare depuis quatre ans. Il faut avoir du neuf à proposer au public. Et grâce aux archives inédites que l’on découvre sans cesse, il y a toujours du neuf sur Napoléon."
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