Il est nerveux, parle pour lui-même, "je vais lui envoyer le catalogue de mon exposition pour son anniversaire…" Lui, c’est Charles III, souverain de Grande-Bretagne et de quinze autres royaumes, dont Victor Koulbak a fait la connaissance voici vingt ans. Une histoire aussi romanesque que l’est sa vie. "Je suis né à Moscou, en 1946. Mon père, Alexis, était pilote de chasse dans l’Armée de l’air soviétique. Il avait combattu durant la guerre d’Espagne, puis contre l’Allemagne, le Japon. J’ai commencé à dessiner avant de savoir marcher, ce qui a obligé ma mère, Vera, à éloigner mon berceau du mur où j’étalais mes tentatives."
À 6 ans, Victor commence à faire de petites sculptures en pâte à modeler. À 10, sa mère apporte une de ses œuvres à l’École de beaux-arts située à côté du musée Pouchkine. Il est accepté et va y apprendre son métier d’artiste tous les après-midi après le collège, puis le lycée. "Cela a duré six années, plus une parce que c’était l’époque où Khrouchtchev avait décidé que les enfants embourgeoisés devaient tâter de l’usine. Je me souviens, l’hiver, de la foule silencieuse et noire qui faisait crisser la neige sous ses pas. J’ai aimé cette expérience et obtenir mon certificat de tourneur de 1ère classe."
Artiste dissident dans l'URSS
Victor, ensuite, travaille comme illustrateur dans un journal avant-gardiste, Znanie-Sila (La Connaissance et La Force), refuge pour le très jeune dissident Koulbak dont les révoltes adolescentes tournent mal, le voilà arrêté, mené dans un hôpital psychiatrique, diagnostiqué schizophrène par un médecin qui ne daigne pas l’examiner, privé de ses droits civiques ou de la possibilité d’entrer à l’université. "En URSS, les galeries d’art appartenaient à l’État. Il fallait passer devant trois commissions pour exposer. Une seule fois j’ai eu un petit dessin accepté, une jeune fille très belle, de face. Mais un représentant du parti a coupé mon dessin et cela a été fini."
Beaucoup d’artistes sont dans la situation de Victor et décident avec lui d’exposer dans la rue. Scandale, la police repousse la foule, les œuvres sont brûlées. Nouvelle exposition dissidente, dans une forêt de la banlieue de Moscou. Le KGB veut se débarrasser de ces fauteurs de troubles et leur donne un visa pour quitter l’URSS. "Nous avons été envoyés à Vienne, nous avons dû abandonner notre passeport, notre nationalité et avons eu un visa pour Israël parce que le KGB voulait montrer que les dissidents étaient des Juifs. Ce qui était faux."

À Vienne, Victor Koulbak trouve une porte de sortie. Invité en Suède, il y passe un an, expose avec succès ses dessins avant de gagner Paris où il s’installe en 1976 avant d’obtenir l’asile politique. "À l’époque, mon travail était très surréaliste. Encre de Chine et plume. Un jour, au début des années 1980, ça a été fini, impossible de faire le moindre dessin. Jusqu’à ce qu’un livre me tombe littéralement sur la tête, chez un libraire. Il était consacré à la technique des maîtres anciens. J’ai vécu un vrai bouleversement. Les dessins à la pointe d’argent sont si mystérieux, si peu concrets, tangibles, l’objet est en train de se former… Ce sont les petites pellicules d’argent qui se déposent sur le papier. Elles sont comme des miroirs qui reflètent la lumière. Tout flotte dans l’espace." Victor étudie, passe des heures infinies au cabinet des dessins du Louvre pour maîtriser peu à peu les arcanes de cette technique, droit issue des maîtres de la Renaissance, qui nécessite un papier renforcé et exclut tout repentir.
Avec Charles III, une amitié de 20 ans
Le résultat est stupéfiant, comme l’est la vie même, avec cette aura dont sont nimbés les dessins intemporels de l’artiste. "Humains, animaux, fleurs, paysages, au fond, je ne fais que des portraits, je cherche partout l’âme." C’est ce qui frappe le prince Charles, fin 2001, lorsqu’il tombe sur un catalogue d’exposition de Victor Koulak chez la duchesse de Devonshire. "Il a voulu savoir qui j’étais et m’a proposé de le suivre à l’occasion d’un voyage en Italie, début 2002 pour “essayer de travailler ensemble”. J’ai pressenti que ce serait impossible, trop de monde autour de lui et un emploi du temps insensé. Une seule fois, nous avons failli réussir, c’était à Rome, sur le toit de l’hôtel qui donnait Piazza di Spagna. Il a commencé à sortir son merveilleux matériel d’aquarelliste et moi mon nécessaire quand un membre de son personnel est arrivé pour lui dire que le président de la République italienne souhaitait l’inviter à déjeuner. C’était fini."

N’empêche, l’expérience passionne Victor. Il fait de nombreuses photos des gens qui approchent le prince de Galles. "Ils étaient charmés en deux secondes. Lui se montrait très naturel et tourné vers les autres. Jusqu’au portier, à Rome, auquel il conseillait de fermer la porte pour ne pas prendre froid car la délégation n’était pas prête à sortir. Je me souviens d’une réception en Toscane, le prince n’a pas posé deux fois la même question. Cela a duré une semaine, j’étais à plat." En remerciement de ce voyage en Italie, Victor réalise le portrait à la pointe d’argent du prince et le lui offre. Ainsi, quelques mois plus tard, que celui de la reine mère qui vient de s’éteindre. "Il m’a écrit en retour de ce second portrait une lettre merveilleuse, m’assurant que c’était là le plus beau cadeau qu’on pouvait lui faire."
Depuis, Charles a fait l’acquisition de deux paysages et une nature morte et n’a pas manqué une exposition de Victor Koulbak à Londres. "La dernière, c’était il y a trois ou quatre ans, j’ai été invité à prendre le thé à Clarence House. Je crois que j’ai été horrible, trop passionné, je l’ai interrompu avant la fin de sa phrase. Heureusement, j’ai l’impression que ça l’amuse."

Victor, en tout cas, compte parmi les invités au mariage du prince de Galles avec Camilla Parker-Bowles, en 2005. "J’ai un petit-fils, Jean Rondeau, aujourd’hui claveciniste international, qui a composé une fugue pour l’occasion, et le prince Charles m’a dit que c’était formidable et combien ce garçon avait du génie." À la demande de Charles, Victor Koulbak donne des master class à l’École des beaux-arts fondée par le prince à Londres. "Juste pour les meilleurs élèves mais je ne suis pas un bon professeur, je m’énerve très vite si on ne comprend pas." Le dernier échange épistolaire entre Charles et Victor était aussi le premier s’adressant au nouveau roi pour lui dire toute sa sympathie au moment du décès d’Élisabeth II. "Il m’a répondu avec une infinie sensibilité. Bien sûr, avec ce rôle écrasant, nos relations vont changer complètement ".
Quoi qu’il en soit, Charles III a reçu maintenant le catalogue de la nouvelle exposition parisienne de Victor Koulbak, après deux décennies où l’artiste a vécu à Malte et travaillé beaucoup à New York et Londres, avec les galeries de Didier Aaron. Le roi va y découvrir de nouveaux dessins à la pointe d’argent et ces huiles grand format d’une inspiration toute différente, réalisées selon la technique du glacis qui donne...
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