Pauline Chagne, ambassadrice pop de la harpe électrique

Sur la scène du Studio Hébertot, jusqu’au 2 avril, elle interprète, en paroles et chansons dans Moi aussi je suis Barbara, une jeune fille en mal d’ailleurs qui se prend pour "la dame en noir". Chanteuse à la pop soyeuse et féministe, Pauline Chagne est également l’ambassadrice en France d’un drôle d’instrument : la harpe électrique Delta !

Par Raphaël Morata - 19 janvier 2023, 13h00

 Pauline Chagne arrive en finale de l’émission Eurovision France, c’est vous qui décidez !
Pauline Chagne arrive en finale de l’émission Eurovision France, c’est vous qui décidez ! © CYRIL MOREAU / BESTIMAGE

Geneviève. Une jeune fille mal dans sa peau, dans son corps, incomprise par une mère qu’elle passerait bien au hachoir à poulet. Pour s’évader d’un quotidien familial aussi triste qu’une table en Formica, elle décide de se couper les cheveux, redessine ses yeux à l’eye-liner, surgit avec des lunettes de star qui lui dévorent le visage. Elle "s’invente un pays où vivent des soleils…" Geneviève est devenue la chanteuse Barbara, "louve et reine", excessive et drôle, chantant près d’un rocking-chair. Pauline Chagne s’est glissée dans ce "personnage double en quête d’émancipation". 

Avec l'accord du neveu de Barbara

Ce projet théâtral, né en 2017, est l’aboutissement d’un travail de fin d’études au Cours Florent. "Je voulais parler de Barbara sans faire un biopic ni une comédie musicale. Je ne me voyais pas imaginer une chorégraphie sur L’Aigle noir. Cela aurait été indélicat, presque indécent. J’aurais eu l’impression de la poignarder." La solution lui apparaît avec la pièce de Pierre Notte, Moi aussi je suis Catherine Deneuve. Pauline Chagne reprend la trame narrative, les personnages, Deneuve s’efface devant Barbara et les chansons à la "Demy-Legrand" créées par le dramaturge disparaissent pour celles de "la dame en noir". 

Au Théâtre Hébertot, Pauline Chagne incarne une Barbara rêvée, libre, drôle, symbole d’émancipation féminine.
"Barbara est devenue mon héroïne", explique la chanteuse et comédienne Pauline Chagne. © Thibaut DARNAT

Mais cette "pièce jumelle" devait encore recevoir l’imprimatur de Pierre Notte et des proches de la chanteuse disparue il y a vingt-cinq ans. Le neveu de Barbara, Bernard Serf, est le premier à s’enthousiasmer. "Il a compris que je ne voulais pas m’approprier l’œuvre, ni singer Barbara, et encore moins apporter des réponses sur les nombreuses zones d’ombre de sa vie." L’accordéoniste Roland Romanelli, l’un des collaborateurs de la chanteuse, apprécie également la démarche de la jeune comédienne, lui confiant des anecdotes personnelles sur une "femme pleine d’humour" loin de son image fantasque et inaccessible.

Au Théâtre Hébertot, Pauline Chagne incarne une Barbara rêvée, libre, drôle, symbole d’émancipation féminine.
Au Théâtre Hébertot, elle incarne une Barbara rêvée, libre, drôle, symbole d’émancipation féminine. © Thibaut DARNAT

Fasciné depuis toujours par l’artiste – il écrira plus tard un roman autobiographique intitulé J’ai tué Barbara–, Pierre Notte accepte de réécrire sa propre pièce. "Pour nous deux, Deneuve et Barbara, mais pourquoi pas aussi une Delphine Seyrig que j’adore pour ses engagements sincères, sont avant tout des icônes, des modèles à suivre pour une femme en quête de repères, de lumière…"

C’est à l’adolescence que "la grande dame brune" a surgi dans la vie de Pauline Chagne. Un jour, elle tombe sur la chanson À peine, qui devient "la BO de sa vie de musicienne solitaire, enchaînant avec succès auditions et concours". Élevée dans une ambiance musicale "où l’on écoute plus Coltrane que Barbara" – son père est saxophoniste et sa mère chanteuse de jazz –, elle a commencé dès l’âge de 4 ans des études poussées de harpe, "instrument sensuel qui vibre et résonne à travers tout le corps". 

Lors de l’émission Eurovision France, c’est vous qui décidez !, le 5 mars 2022, Pauline Chagne est apparue avec sa harpe électrique Delta.
Lors de l’émission Eurovision France, c’est vous qui décidez !, Pauline Chagne est apparue avec sa harpe électrique Delta. © CYRIL MOREAU / BESTIMAGE

"Barbara est devenue mon héroïne. Une femme libre et amoureuse, une artiste sans concession, dans laquelle je pouvais me projeter. J’aimais son autorité, ses engagements contre le sida, son amour pour la scène. Elle me donnait la force d’écrire ma propre histoire. Je comprenais, intimement, ce qu’elle voulait dire en déclarant : 'Le public m’a accouchée'." 

Une carrière de harpiste brisée et le théâtre pour se reconstruire

Si elle prend encore du plaisir à étudier des compositions de harpistes comme Marcel Tournier et Bernard Andrès, ou à se plonger dans les harmonies de l’air "O mio babbino caro" de l’opéra Gianni Schicchi de Puccini, un sentiment de solitude commence à l’envahir. "Ne pas avoir de vie amoureuse, passer des heures avec pour seule compagnie sa harpe - même si je sais que l’on ne peut pas faire l’économie de la souffrance dans l’étude à haut niveau d’un instrument -, à un moment je me suis rendu compte que j’étais infiniment malheureuse." D’autant plus qu’elle se sent maltraitée psychologiquement par sa professeure. "Un peu à l’image du film Whiplash de Damien Chazelle", ajoute-t-elle sobrement. Quelque chose se casse en elle. Du jour au lendemain, elle délaisse la harpe, s’éloigne de cet univers musical où l’attend pourtant une belle carrière de concertiste internationale.

Barbara sur la scène de l'Olympia le 4 février 1969.
Barbara sur la scène de l'Olympia le 4 février 1969. © AGIP / Bridgeman Images

Le théâtre vient alors cicatriser cette blessure, la sort de son isolement, lui donne l’opportunité de porter des combats féministes comme lorsqu’elle joue Je te pardonne (Harvey Weinstein), pièce en forme de "procès-farce cruelle" de Pierre Notte. "Je suis pour un militantisme festif, libératoire, sans dérives moralisatrices. Sans doute parce que je n’ai eu que des modèles masculins – mon père et mon grand-père – très féministes." Son premier single, Orange sanguine, évoque alors avec malice les problèmes menstruels. Dans son clip, sans vulgarité ni volonté d’être trash, elle apparaît avec une robe-vulve ! Elle organise un concert caritatif Le Noël menstruel sur une péniche pour l’association Règles élémentaires qui s’occupe de femmes dans la précarité menstruelle. "À la fin de la soirée, on a fait un karaoké dans lequel on reprenait des tubes en les détournant, de J’irai au bout de mes règles de Jean-Jacques Goldman à Ragnagna split de Lio."

Son premier EP, Nuit Pauline, sorti en 2021 et écrit avec Antonin Tardy, rend hommage à toutes ses idoles de la chanson française, de Julien Clerc à Adjani en passant par William Sheller. Son instrument fétiche revient même dans sa vie d’artiste avec la découverte récente de la harpe Delta. "Je suis devenue l’ambassadrice en France de la maison turinoise, Salvi, qui fabrique cette harpe électrique en fibre de carbone. Inventé par le Néo-Zélandais Joris Beets, cet instrument à 29 cordes est porté en bandoulière tel un guitar hero. Je l’ai expérimenté pour le concours de l’Eurovision France où je suis arrivée en finale. Cela me donnait un côté terriblement glam, très diva pop." À quand un spectacle intitulé Moi aussi je suis Mylène Farmer ?

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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