Nicolas Le Riche fête les 250 ans de l’Opéra de Stockholm

À la tête du Ballet royal suédois depuis 2017, Nicolas Le Riche vient de participer à l’anniversaire de l’institution scandinave. Portrait d’un danseur français heureux de faire briller la danse au bord de la Baltique.

Par Ariane Dollfus - 03 février 2023, 09h16

 Depuis son bureau, Nicolas Le Riche a vue sur le palais royal (à gauche).
Depuis son bureau, Nicolas Le Riche a vue sur le palais royal (à gauche). © Tobias Regell

Depuis son bureau, au 9e étage de l’Opéra royal, Nicolas Le Riche ne cache pas son soulagement. Le 18 janvier, le gala anniversaire des 250 ans de la maison s’est déroulé sans encombre, réjouissant le public comme la famille royale venue y assister. Au programme, des airs d’opéras chantés en suédois, mais aussi deux ballets toniques signés de George Balanchine et du chorégraphe Alexander Ekman, jeune star de la danse en Suède. Au pays de Gustave III, roi mélomane auquel on doit la fondation de l’Opéra de Stockholm le 18 janvier 1773 – et dont la fin tragique a inspiré le livret de l’un des plus célèbres opéras de Verdi, Le Bal Masqué –, personne ne s’étonne qu’un danseur étoile français, qui fit le bonheur de l’Opéra de Paris de 1993 à 2014, soit en charge de la direction de la danse. Le premier maître de ballet engagé par Gustave III n’était-il pas, déjà, un Français nommé Louis Gallodier ? 

"La danse est cosmopolite par nature"

Par la suite, de nombreux responsables du Ballet royal arriveront de l’Hexagone. Nicolas Le Riche est ainsi l’héritier d’une longue tradition de danseurs partis de France défendre l’art de la danse dans les grandes capitales européennes. "Il ne faut pas oublier, rappelle-t-il, que tous les mots du vocabulaire de la danse sont en français, puisqu’ils ont commencé à être codifiés sous Louis XIV. C’est intéressant pour moi de noter combien il est utile de réexpliquer le sens d’un pas en le traduisant du français à l’anglais. Une 'glissade' est un terme très clair pour un danseur français. Mais là, je dois leur rappeler que cela signifie sliding on the floor, afin qu’ils comprennent à quel point ce vocabulaire est imagé. Un 'pas de bourrée' vient de la danse paysanne du même nom, ce qu’ils ne savent pas toujours. Cela ne se pratique donc pas comme une danse noble."

Le danseur étoile français, Nicolas Le Riche, dirige le Ballet de l'Opéra royal de Stockholm.
Le danseur étoile français, Nicolas Le Riche, dirige le Ballet de l'Opéra royal de Stockholm. © Tobias Regell

Mis à part ces précisions étymologiques, Nicolas Le Riche parle anglais avec ses danseurs, comme avec tous ses collègues de l’Opéra. Une obligation pour une troupe composée de 23 nationalités. "Ils sont 70 artistes – soit deux fois moins qu’à l’Opéra de Paris – et nous avons 16 Suédois seulement dans la compagnie, souligne son directeur. C’est assez normal, car la danse est cosmopolite par nature." De fait, les chorégraphes le sont aussi.

Nicolas Le Riche a fait venir des œuvres françaises signées Béjart, Preljocaj, Lifar, Roland Petit, Jean-Guillaume Bart ou même du nouveau directeur de la danse de l’Opéra de Paris, son ancien confrère José Martínez, mais aussi des chefs-d’œuvre des Américains Forsythe, Balanchine ou Robbins, sans oublier le Tchèque Kylián et le Suédois Mats Ek. Et, bien sûr, le Russe Rudolf Noureev, celui-là même qui avait repéré le tout jeune Nicolas à Paris, et lui avait fait danser son Roméo et Juliette. On retrouve d’ailleurs dans la programmation du Ballet suédois des filiations assumées avec les productions que l’ancien danseur étoile a eu l’occasion d’interpréter lors de ses années parisiennes.

Nicolas Le Riche donne les ultimes indications à l’interprète de Cendrillon (Sarah Erin Keaveney) dans un studio dont la pente rappelle celle de la scène.
Nicolas Le Riche donne les ultimes indications à l’interprète de Cendrillon (Sarah Erin Keaveney) dans un studio dont la pente rappelle celle de la scène. © Tobias Regell

Sa petite dernière s’appelle Cendrillon. Créé en mai dernier sur la musique de Prokofiev par l’Espagnole Tamara Rojo, le ballet raccourci pour être vu par un public de tous âges fourmille d’idées cocasses, de virtuosité et de beauté, servies aussi par les costumes colorés et osés signés Christian Lacroix. Nicolas Le Riche connaît bien le couturier français qui avait déjà œuvré à l’Opéra de Paris. "Christian sait ce que sont les besoins des danseurs dans les coupes d’un vêtement et anticipe parfaitement comment le mouvement fera virevolter son costume."

Des méthodes de travail appréciées par Nicolas Le Riche

Christian Lacroix habille-t-il aussi la famille royale suédoise ? Celle-ci vient en tout cas régulièrement à l’Opéra. À l’instar des Windsor, où la princesse Margaret était très balletomane, "la princesse Christina, la sœur du roi, est une grande amatrice de danse", souligne Nicolas Le Riche avant d’ajouter : "La grande loge royale qui est côté cour (à droite lorsque l’on regarde la scène) n’est accessible qu’à la famille. Par mesure de sécurité, elle n’est jamais louée au public. Ce n’est d’ailleurs pas le meilleur endroit pour voir le spectacle, car on est vraiment de côté. J’ai suggéré à la famille royale de se placer parfois de face, mais le protocole le permet peu." Les rois et les reines n’ont pas que des privilèges...

Nicolas Le Riche vérifie avec la responsable des costumes l’état du tutu signé Christian Lacroix, composé de raphia et de pompons en papier.
Nicolas Le Riche vérifie avec la responsable des costumes l’état du tutu signé Christian Lacroix, composé de raphia et de pompons en papier. © Tobias Regell

De la Suède, Nicolas Le Riche a rapidement apprécié le mode de vie (malgré la nuit qui tombe à 15 heures en hiver et... n’arrive pas en été !) et les méthodes de travail. "Ici, tout est plus horizontal que vertical. Les danseurs ont une marge de manœuvre. Leurs syndicats – qui ne sont pas des contre-pouvoirs – sont coopératifs, mais puissants. Un danseur n’hésitera pas à venir dans mon bureau directement, à vouloir comprendre. C’est beaucoup de management, que j’ai notamment acquis à Sciences Po après mes adieux à l’Opéra."

Nicolas Le Riche pose en bas de la loge royale qui n’est jamais accessible au public.
Nicolas Le Riche pose en bas de la loge royale qui n’est jamais accessible au public. © Tobias Regell

Homme de terrain en studio, le danseur a dû apprendre rapidement le travail de bureau, plus ingrat et tout aussi chronophage. "J’ai débuté en juillet 2017 au lendemain de ma nomination. J’étais seul à Stockholm, sans ma femme (la danseuse étoile Clairemarie Osta) et nos filles, au théâtre de 6h30 du matin à 22 heures pour tâcher de tout assimiler. Je suis désormais expert en tableaux Excel !"

Une logistique décuplée par la pandémie. "Nous n’avons pas eu de confinement en Suède, mais il a fallu organiser quotidiennement des classes pour dix danseurs au maximum. Soit une hausse de 350% du nombre de cours !" Aujourd’hui, tout est revenu à la normale. Les studios fourmillent de danseurs, leur cafétéria s’anime du midi au soir, et le public remplit la belle salle à l’italienne, avant de déambuler, à l’entracte, dans un grand "foyer doré", conçu, en 1898, à la manière de celui du... palais Garnier.

En visite à l'Opéra royal de Stockholm avec leurs parents en décembre 2022, la princesse Estelle et le prince Oscar de Suède se sont prêtés au jeu des costumes.
A LIRE AUSSIL'émerveillement d'Estelle et Oscar de Suède à l'Opéra de Stockholm

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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