C'est une forêt magique ! Des milliers de feuillages en bronze doré, tous ciselés à la main, sont suspendus sur des câbles invisibles qui s’élancent du sol vers le plafond. L’enfilage répond à un plan précis, concocté par l’architecte des lieux, Tsuyoshi Tane. Par moments, les feuillages se rapprochent ou s’écartent de manière à varier l’entrée de la lumière et des ombres. Cette jungle d’or est l’écrin de sept vitrines où sont exposés les chefs-d’œuvre de la collection. La Contemplatrice d’étoiles est âgée de près de 5.000 ans, mais elle a conservé ses lignes de marbre blanc parfaitement élégantes. Elle est née en Asie Mineure.
Dans une deuxième vitrine règne une tête pharaonique en jaspe rouge qui est peut-être celle d’Hatchepsout, la reine légendaire de la XVIIIe dynastie. Puis vient une Figure en marche, en alliage de cuivre, qui a des airs de Belphégor, ou encore un énigmatique masque maya en jade, résine et coquillage. Leur répondent un ours en bronze doré de la dynastie des Han, un buste béninois du XVIe siècle immortalisant les traits de la reine-mère Idia, et surtout un rhyton en or massif, créé en Anatolie il y a 35 ou 40 siècles. Ce type de vase libatoire – celui-ci a la forme d’un cerf – avait une fonction sacrée dans l’Antiquité.
Après des années de travaux et les retards dus à la pandémie, la Collection Al Thani ouvre enfin ses portes à l’hôtel de la Marine. La restauration de l’ancien Garde-Meuble royal est dorénavant achevée. La partie historique, au premier étage et à l’entresol côté place de la Concorde, est ouverte au public depuis deux mois. Elle est gérée en direct par les Monuments nationaux. Toujours au premier étage, côté cour intérieure, dans les espaces vierges de tout décor ancien qui servaient autrefois d’entrepôt aux tapisseries royales, la Collection Al Thani offre aux Parisiens et aux visiteurs du monde entier un extraordinaire ensemble d’oeuvres d’art. Certaines, parmi les plus belles et les plus rares, seront exposées en permanence.
D’autres feront l’objet de présentations alternées. "Depuis plusieurs années, des oeuvres de la collection sont présentées lors d’expositions temporaires dans les plus grands musées du monde, explique Amin Jaffer, conservateur en chef. Désormais, cet ensemble exceptionnel est hébergé sur une base plus permanente dans un monument historique en plein cœur de Paris." L’espace comprend quatre salles d’exposition couvrant 400 mètres carrés.
Les cultures, les arts, l’histoire, les artistes et les époques se rencontrent
Passées la première salle et sa forêt d’or, l’ambiance change radicalement. Nous voici dans une galerie en clair-obscur. Elle propose au visiteur une immersion émouvante dans le temps : onze visages humains dont la création, réaliste ou stylisée, s’étale sur plusieurs millénaires et voyage dans tous les univers artistiques. "Ces oeuvres sont très proches du goût personnel du cheikh Hamad Al Thani, explique Amin Jaffer. La mise en scène imaginée par Tsuyoshi Tane est particulière. L’idée est de proposer au visiteur une expérience magique, différente mais complémentaire de celles qui sont présentées dans les autres musées parisiens."
À un buste mésopotamien en terre cuite datant de 2.000 ans avant Jésus-Christ succède un masque Maya en mosaïque de jade vieux de 34 siècles. Arrêtez-vous devant la tête reliquaire gabonaise qui a appartenu au marchand d’art Joseph Brummer (1883-1947). L’homme a joué un rôle fondamental dans la découverte de l’art africain et la carrière d’artistes comme Modigliani ou Brancusi. Et franchement, les points de rencontre entre les deux univers sont évidents.
Un peu plus loin, vous découvrirez le visage mythique de l’empereur Hadrien, sculpté en calcédoine. Il figure sur les affiches publicitaires que l’on voit un peu partout en ce moment dans Paris. Immortalisé dans l’extraordinaire biographie de Marguerite Yourcenar, Hadrien est un empereur à part.
Né en Andalousie, à Itálica, la cité antique qui servit récemment de décor à la série Game of Thrones, Hadrien fut guerrier, esthète, lettré et amant passionné. Sa villa à Rome, son mausolée – l’actuel château Saint-Ange –, son extraordinaire héritage artistique témoignent d’un moment clef dans l’histoire antique : l’apothéose des Antonins au IIe siècle après Jésus-Christ.
L’oeuvre est d’autant plus remarquable qu’elle a été créée vers 1240 à la cour de Frédéric de Hohenstaufen, qui connut un destin aussi extraordinaire qu’Hadrien. Né en Sicile, il devint empereur d’Allemagne en 1215, puis roi d’Arles et de Jérusalem. Excommunié deux fois, mathématicien, architecte, mécène, il parlait six langues dont l’arabe, le grec et le normand. Sa renommée fut telle qu’après sa mort ses contemporains le surnommèrent la "Stupeur du monde". Et c’est la stupeur émerveillée qui domine à la sortie de ce parcours d’exposition.
"Nous aimerions que les visiteurs, adultes ou même enfants, s’arrêtent devant ces œuvres et dialoguent avec elles en réfléchissant aux nombreux points communs de ces visages et à leurs quelques différences", précise Amin Jaffer. Sur 400 mètres carrés très contemporains, aménagés dans un des plus beaux monuments historiques de France, les cultures, les arts, l’histoire, les artistes et les époques se rencontrent et offrent un extraordinaire moment d’émotion au visiteur.
Collection Al Thani, hôtel de la Marine, 2, place de la Concorde, 75008 Paris.
Ouvert tous les jours, de 10h30 à 19 heures. Fermeture de la billetterie à 18h15. Nocturnes jusqu’à 22 heures le vendredi soir. Passe sanitaire obligatoire.
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