Il y a quelques semaines encore, au théâtre de la Porte Saint-Martin, il était Bette Davis. Sur le plateau de l’Opéra royal de Versailles, Michel Fau a gardé le visage fardé de la vieille gloire hollywoodienne, opté pour une tignasse rousse, et le voilà en George Dandin, paysan parvenu, martyrisé par Angélique, sa jeune épouse aristocrate. "Cette pièce de Molière ressemble à un cauchemar, Dandin revivant par trois fois la même situation. C’est comme une torture morale, un labyrinthe."

Pour créer cette "machine infernale", le comédien, qui assure également la mise en scène, a joué la carte du baroque. Un style qu’il compare à un jardin à la française, "très régulier au premier abord, puis à l’intérieur il y a des enluminures". "Je ne fais pas de la reconstitution, mais je m’inspire de l’histoire comme Christian Lacroix qui a dessiné les costumes de la pièce. Nous réinventons un baroque d’aujourd’hui. C’est une rêverie d’un théâtre mêlant tragédie, farce, galanterie et musique de Lully." Souvent à juste titre, la tradition a fait de cette oeuvre un drame social.

Molière y aborde "des thèmes toujours d’actualité", selon le metteur en scène, comme la condition féminine, l’enfer du mariage, l’égoïsme, les classes dirigeantes. Cependant, Michel Fau a souhaité la réinscrire dans sa part, parfois oubliée, de "divertissement en plein air, dans un théâtre de verdure, celui d’un spectacle hors norme et insensé." Et de rappeler que George Dandin ou le Mari confondu a été créé le 18 juillet 1668 pour "Le Grand divertissement royal de Versailles" offert par Louis XIV à sa Cour afin de célébrer la conquête de la Franche-Comté et la paix d’Aix-la-Chapelle conclue avec l’ennemi espagnol. Un joli clin d’oeil aussi aux liens entre Molière et Versailles.

François de Mazières, son maire actuel, qui fit du théâtre dans sa jeunesse, incarnant des jeunes premiers, et Valère, le valet d’Harpagon, nous le rappelle : "Molière a été récupéré par tout le monde, tous les régimes. On peut voir en lui un provocateur mais aussi un grand courtisan, fin politique, proche du pouvoir. Un jour, j’ai dit que Versailles était 'la ville Molière'. Non pas parce qu’il y a vécu mais parce qu’il y a créé plusieurs pièces dont Tartuffe. On lui doit d’une certaine manière la première manifestation culturelle de Versailles. Il y a vingt-six ans, j’ai donc lancé le Mois Molière, événement alors inédit en France, faisant la part belle à la jeune création. Cette année, à l’espace Richaud, Martial Poirson va monter une exposition passionnante sur le thème : Molière, la fabrique d’une gloire nationale. Au printemps, nous inaugurerons sa statue en bronze imaginée par l’artiste contemporain Xavier Veilhan. Elle sera placée dans un bosquet dessiné face à la gare Rive-Gauche."

À tout seigneur tout honneur, Versailles ouvre donc le bal en France. Et quelques jours avant Le Tartuffe (version versaillaise) de la Comédie-Française. Le George Dandin lance ainsi une très riche année de pièces de théâtre (Le Malade imaginaire monté par Guillaume Gallienne, Le Bourgeois gentilhomme par Denis Podalydès à l’Opéra royal, Le Tartuffe par Yves Beaunesne au théâtre Montansier), des concerts comme celui du Ballet des Jean-Baptiste dirigé par Vincent Dumestre, des expositions, colloques, sorties de livres.
Molière, le père du théâtre moderne
Tous célèbrent le 400e anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, survenue le 15 janvier 1622, rue Saint-Honoré à Paris. C’est aussi le temps des souvenirs… Pour Michel Fau, qui se rappelle son premier Molière, vu enfant en compagnie de sa mère qui l’a initié au théâtre, à Agen : "C’était Le Bourgeois gentilhomme avec Jean Le Poulain, 'qui en faisait trop' selon ma mère, mais moi, je trouvais formidables ses excès. "Au Conservatoire, il se souvient aussi avoir travaillé Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux, comédie héroïque et première version du Misanthrope. Bien des années plus tard, Michel Fau a mis en scène dans Tartuffe, l’un de ses anciens professeurs du Conservatoire, Michel Bouquet. "J’étais très impressionné et ému. Jeune élève, il m’avait dit un jour que j’étais 'un clown tragique'." Dandin était déjà là, en lui. Bouquet l’avait pressenti.

"Molière, qui s’est beaucoup inspiré de Plaute, des farces médiévales, de Corneille, annonce à mon sens, le théâtre moderne, celui de Feydeau ou de Beckett. On peut aller très loin avec cet auteur. Aborder la poésie pure, la métaphysique, la farce crue, le lyrisme. Il cultive les contrastes. Il faut juste le suivre, ne pas chercher de logique, ne rien justifier." À l’image de Jouvet, Vilar et bien sûr Molière, Michel Fau, qui souhaite un jour monter Le Malade imaginaire avec la musique de Charpentier, "un projet pharaonique" d’après lui, s’inscrit dans cette tradition du metteur en scène et acteur : "On est sur le bateau avec les autres. On peut voir de l’intérieur dériver ou s’abîmer le navire, mais aussi rectifier rapidement le cap. Je n’aime pas rester sur le quai. Et puis c’est très sain… pour l’ego."

George Dandin, en tournée en Belgique, en Suisse, et dans toute la France, les 25 et 26 janvier 2022 au Théâtre impérial de Compiègne
Le Malade imaginaire, du 13 au 17 avril 2022, Le Bourgeois Gentilhomme, du 9 au 19 juin 2022, tous deux à l’Opéra royal de Versailles. Le Tartuffe, du 26 janvier au 6 février 2022 au théâtre Montansier.
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