En ce tout début de soirée, la lumière transperce de flèches d’or la galerie des Glaces. Le château du Roi-Soleil est fermé aux visiteurs. Pourtant, les élégantes qui s’avancent dans leur robe longue, coiffées d’un diadème et messieurs en habit à leur bras, n’ont rien de fantômes. Elles traversent avec ravissement la salle aux murs de marbre, aux somptueux plafonds peints à fresque, sortant parfois de leur réticule un smartphone dernier cri pour immortaliser l’instant.
C’est sous cette même forêt de lustres précieux que Napoléon III ouvrit le bal avec la reine Victoria, aux accents d’un quadrille, le 25 août 1855. "Cette soirée historique était bien plus que l’acmé d’une visite d’État", assure Antonia Da Silva Teixeira, l’organisatrice de l’événement de ce samedi 21 mai.
"Elle a scellé l’amitié entre les deux souverains, ouvert la voie au traité de libre-échange de 1860 et à l’Entente cordiale franco-britannique. Il n’y avait plus eu de bal à Versailles depuis Louis XVI et la Révolution. Et Victoria fut éblouie par cet “embrasement de lumières”, ainsi qu’elle l’écrit dans son journal." D’où l’idée de ressusciter cette nuit de féerie pour célébrer et vivifier l’amitié entre nos deux nations et dépasser le choc du Brexit.
Invité d’honneur avec son épouse, la princesse Olympia, le prince Napoléon, chef de la Maison impériale, ne dit pas autre chose. "Celui qui reconnut sans la moindre ambiguïté la supériorité britannique en termes de commerce et de pouvoir maritime fut mon arrière arrière-grand-oncle, l’empereur Napoléon III. Et il fit entrer le peuple français dans une économie moderne où le Royaume-Uni nous avait précédés bien plus tôt." Européen convaincu, installé à Londres, capitale dont il a été fait citoyen d’honneur, le prince Napoléon incarne un véritable trait d’union entre les deux rivages du Channel.
Après la visite privée de la galerie des Glaces, les mille invités de ce nouveau bal royal se dirigent vers l’Orangerie, où va se dérouler la soirée. Ils sont venus du monde entier. Au cocktail servi dans les jardins de l’Orangerie succède le dîner. Ceviche de daurade, tournedos d’agneau confit et saint-honoré se dégustent aux accents d’un concerto d’Albinoni, puis de The Orangery Waltz, composée et dirigée par Debbie Wiseman, avec le Locrian Ensemble.
Retour aux jardins à la suite des cornemuseurs du Paris & District Pipe Band pour admirer le feu d’artifice, tandis qu’à l’intérieur se prépare la piste de danse. Accompagné de son épouse, le duc de Fife trépigne déjà à l’idée de se lancer dans un reel écossais.
Il descend en droite ligne de Victoria par la fille aînée d’Édouard VII, la princesse Louise. "C’est une nuit spectaculaire. La reine Victoria avait clairement adoré le bal de Versailles. Et il est merveilleux de voir la France et le Royaume-Uni se rapprocher de nouveau, après des périodes difficiles. Et maintenant, excusez-moi, je vais danser."
Il n’est pas le seul. Nul ne résiste au rythme endiablé de Dashing White Sergeant. Entrecoupés de quadrilles et de valses, les reels vont s’enchaîner jusqu’à 2 heures du matin, un clin d’œil de plus à la reine Victoria qui, amoureuse de l’Écosse, en avait lancé la mode.
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