"C'est peut-être la dernière fois que vous me voyez vivant", dit-il face caméra, l’air grave, lors d’une visioconférence de dirigeants européens le 24 février dernier. "Je suis la cible numéro un, et mon épouse et mes deux enfants, la cible numéro deux", répète-t-il quelques heures plus tard dans une allocution adressée à ses 45 millions de compatriotes, en état de choc depuis que les chars blindés de Vladimir Poutine sont entrés dans le pays, plongeant brutalement la planète dans une crise internationale majeure. Au même moment, Olena Zelenska, première dame, publie un message d’encouragement sur Instagram : "Cher peuple ukrainien, je vous vois tous aujourd’hui, à la télévision, dans la rue, sur Internet. Je vois vos messages et vidéos. Vous êtes incroyables !", écrit-elle sous une image du drapeau national jaune et bleu, devenu l’emblème d’une solidarité brandie partout dans le monde.
Depuis le début du conflit, Volodymyr Zelensky est dans le viseur du Groupe Wagner, un commando de mercenaires tchétchènes envoyé par Poutine à Kiev pour l’exécuter. Le jeune chef d’État de 44 ans s’adresse pourtant plusieurs fois par jour à ses concitoyens, dans des publications abondamment diffusées sur les réseaux sociaux, où il se filme, seul ou avec sa garde rapprochée, devant le palais présidentiel et dans les rues de la capitale. Une façon de mobiliser ses troupes militaires et civiles, mais, surtout, de marquer des points dans la bataille de l’information menée contre le belligérant russe.
Hier encore, les observateurs redoutaient son absence d’expérience et sa prétendue naïveté dans la conduite des affaires. Faisant preuve d’un rare sang-froid et d’une détermination fédératrice, le président a réussi à déjouer les pronostics face au géant de Moscou, notamment par sa maîtrise des outils de communication. Aux antipodes de la froideur martiale du chef de guerre qui l’affronte, l’esprit farceur et le sens de la formule ont d’abord fait de Zelensky une star du stand-up.
Un acteur et un humoriste star de la télé
Élevé dans l’ancienne ville minière et russophone de Kryvyï Rih, dans le centre du pays, le garçon blagueur a grandi auprès d’un père professeur de mathématiques et d’une mère ingénieure de formation, tous deux d’origine juive. Enfant, il a pour camarade de classe une certaine Olena Kiyashko, qui, des années plus tard – en 2003 –, deviendra son épouse. Le futur couple ne se fréquente pas encore lorsqu’au lycée, "Vova" – le surnom de Volodymyr – forme avec ses copains un groupe de K.V.N., nom d’une compétition humoristique soviétique où des équipes s’affrontent en répondant à des questions à travers des scènes comiques. Leur succès, immédiat, se poursuit à l’université, où la troupe Kvartal 95 est repérée par la plus grande chaîne de télévision nationale.
Et voilà leur joyeuse bande, satirique et grivoise, moquant les oligarques et les bureaucrates à une heure de grande audience. Olena rejoint à cette époque le groupe, devenu société de production, et s’implique dans l’écriture de plusieurs émissions, dont Liga Smichu (La ligue du rire), et Femmes de Kvartal, où elle donne la parole aux femmes humoristes. De son côté, Volodymyr s’impose en vedette du petit écran. En 2006, il participe à l’émission Danse avec les stars, et, en 2014 et 2017, prête sa voix à l’ourson Paddington.
C’est avec la série Serviteur du peuple, à partir de 2015, que les plaisanteries du couple prennent un tournant prophétique. Dans cette comédie légère et subversive, suivie par des millions d’Ukrainiens et de Russes – elle est actuellement disponible sur Arte.fr –, Zelensky incarne Holoborodko, un professeur d’histoire-géographie idéaliste propulsé à la présidence de la République après qu’une vidéo où il s’en prend à la corruption endémique, filmée par ses élèves, soit devenue virale.
Au fil des épisodes, l’arrivée au pouvoir de ce monsieur tout-le-monde livre en filigrane une critique percutante des absurdités de la classe dirigeante et de celle des Ukrainiens ordinaires. Exemple de civisme, d’honnêteté et de droiture, Holoborodko y incarne un hilarant contre-modèle qui menace lui aussi d’être contaminé par le cynisme du système. Sélectionnés en 2016 par la plate-forme Netflix, ses déboires amusent autant qu’ils résonnent dans l’Ukraine post-Maïdan, comme le signe et l’espoir qu’un avenir ouvert sur l’Europe et sur la démocratie reste possible.
Zelensky devient président sans aucune expérience politique
Titillé par le désir de contribuer davantage à la transformation de son pays, Zelensky se décide en 2017 à créer son parti, tout naturellement baptisé Serviteur du peuple. Avec dans son équipe ses anciens collaborateurs de la télévision, il fait campagne sur la moralisation de la vie publique et la lutte contre la corruption, multipliant les clins d’œil à la série et séduisant les jeunes électeurs en s’appuyant très largement sur les réseaux sociaux. En avril 2019, sans aucune expérience politique, le candidat anti-establishment est élu à la fonction suprême avec 73,2 % des voix au second tour. Son épouse Olena troque alors le métier de scénariste et productrice pour celui de première dame.
Le début du mandat se déroule sous les projecteurs de l’affaire politico-judiciaire de "l’Ukraine-gate", quand Donald Trump est accusé d’avoir demandé à Zelensky de déclencher une enquête sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden. Le président ukrainien dément toute pression et met en place, à la tête de l’État, des premières mesures symboliques. Il s’attaque à l’apparat présidentiel, réduit le cortège de voitures officielles – son Premier ministre se rend parfois au travail en scooter – et le nombre de gardes du corps.
Qualifiant le traditionnel défilé militaire du Jour de l’Indépendance de "daté, pompeux et coûteux", il le remplace par une Marche de la dignité, qui met en lumière des enseignants, des médecins, des travailleurs sociaux et des athlètes. Suivi d’enfants, il marche ce jour-là main dans la main avec son épouse, Olena, au son des cloches de l’église, et prononce un discours drôle et optimiste parsemé de références à la culture populaire.
Tournée vers l’Union européenne, sa vision du pouvoir mise sur la diplomatie et la dissuasion face aux menaces russes. "Je crois vraiment au soft power", souligne pour sa part Olena, à l’initiative du premier Sommet des premières dames et premiers messieurs, créé à Kiev en août 2021. Quand les bombes s’abattent sur la ville de Kherson six mois plus tard, Olena refuse l’asile proposé par les États-Unis et choisit de rester aux côtés des siens, avec sa fille Aleksandra, 17 ans, et son fils Kyrylo, 9 ans. "Mes enfants me regardent. Je suis auprès d’eux et de mon mari. Et avec vous", explique-t-elle avant de dénoncer la propagande russe et d’exhorter la communauté internationale à toujours plus de soutien à son peuple martyr.
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