Quand le vêtement fait la femme politique

Tailleur-jupe ou pantalon, couture ou prêt-à-porter ? Dans une savante et savoureuse étude* consacrée à la garde-robe des ministres et des élues de la république, Sophie Lemahieu décrypte, au féminin pluriel, les codes vestimentaires, l’affirmation du style, le message, parfois la faute d’appréciation, ou pire… de goût ! Inventaire, au plus profond des garde-robes, guidé par une historienne de la mode et enseignante à l’École du Louvre.

Par François Billaut - 14 mars 2022, 07h18

 Simone Veil, alors ministre de la Santé, au palais de l'Élysée, en 1974.
Simone Veil, alors ministre de la Santé, au palais de l'Élysée, en 1974. © Keystone USA/Zuma/ABACA

Les femmes sont-elles tenues à des codes vestimentaires à l’Assemblée ou au gouvernement ?

Les règles ne sont pas écrites. Et pourtant on se rend bien compte, au regard des "scandales" passés, que visiblement il y a des limites à ne pas franchir. Comme son homologue masculin, la femme politique se doit d’incarner la fonction dignement. Avec bienséance et élégance, pour plaire au public, et sobriété et modestie, pour ne pas se voir reprocher un luxe ostentatoire, des dépenses excessives pour servir son apparence.

Comment les pionnières dans ces fonctions ministérielles, en 1936, se sont-elles comportées ?

Paradoxalement, c’est plus simple à l’époque, le vêtement est beaucoup plus genré. Les premières secrétaires d’État adoptent le tailleur-jupe longue, vêtement de ville traditionnel. Toutes font un effort d’élégance, détaillé par la presse qui commente le choix d’un accessoire, d’un chapeau. L’hiver, on se permet le manteau de fourrure, un luxe bienséant, mais qui ne l’est plus. Irène Joliot-Curie, nommée à la Recherche, est particulièrement à la mode, elle porte des robes dans le goût du temps. La bienséance de Suzanne Lacore, à la Protection de l’enfance, rassure. Cécile Brunschvicg, en charge des veuves de guerre et pupilles de la nation, fait toutefois les frais de la caricature qui la croque et la qualifie de "plantureuse".

La femme politique est déjà jugée sur son apparence ?

Pas seulement, la misogynie est ambiante. Quand Léon Blum nomme les trois premières sous-secrétaires d’État, en 1936, les féministes se réjouissent. Elles imaginent que le droit de vote est proche. Ce ne sera pas le cas. Les commentaires dans la presse non féminine sont éloquents. En résumé, c’est bien qu’elles soient dans le gouvernement pour s’occuper de l’éducation et de l’enfance, de sujets de femmes… Seule Joliot-Curie transgresse les codes avec la recherche scientifique. L’approche sera différente dans les magazines féminins. En 1948, Elle se livre à un décryptage tout à fait contemporain du look de Germaine Poinso-Chapuis, ministre de la Santé.

Le magazine Elle évoque le style de Germaine-Geneviève Poinso-Chapuis, en 1948.
Le new-look de Germaine-Geneviève (sic!) Poinso-Chapuis, première femme ministre "en titre" de la Santé publique, détaillé par le magazine Elle, en 1948. © Archives ELLE France/ECOLE DU LOUVRE/Palais du Louvre

Simone Veil s’invente-t-elle un "uniforme" avec ses tailleurs Chanel ?

Elle incarne la cohérence dans son vestiaire. La ministre de la Santé, dès son entrée au gouvernement, adopte une tenue, une apparence stable, à laquelle le public va pouvoir s’identifier. Chignon strict et tailleur Chanel. Elle en achète et la Maison lui en prête, ce qui évite les critiques éventuelles quant à la dépense. Avec le tailleur de soie, le collier de perles, de grosses boucles d’oreilles en clips et des talons raisonnables, Simone Veil impose l’image un peu archétypale du féminin sérieux.

Les "Jupettes" en tailleurs colorés autour d’Alain Juppé, en 1995, c’est un coup de com ?

Son vrai coup de com, c’est de réunir autant de femmes au gouvernement. D’ailleurs évincées dès le premier remaniement, quelques mois plus tard… Pour parfaire l’opération, il faut des images : un vent de féminité souffle sur la politique. Mais je ne connais pas les dessous de la photo qui présente le Premier ministre entouré de ses collaboratrices, et je ne saurais dire si quelqu’un a demandé à ces femmes de s’habiller en couleurs pour l’occasion, ou si c’est tout à fait naturel dans leurs choix. Mais elles sont indéniablement très féminines, en tailleurs-jupes, alors que dans les années 1990 le tailleur-pantalon est déjà adopté…

Alain Juppé et ses "Jupettes", en 1995.
Les "Jupettes" entourent leur Premier ministre, Alain Juppé, en 1995. © AFP /ECOLE DU LOUVRE

Il leur faut faire le choix d’une allure androgyne pour être plus crédible…

Élisabeth Guigou et Michèle Alliot-Marie, les premières femmes à occuper des ministères régaliens, garde des Sceaux et ministre de la Défense, en 1997 et en 2002, évitent dès le départ le sujet de leur genre. Pour être acceptées, elles masculinisent leur apparence. C’est ce qu’explique Michèle Alliot-Marie, qui porte le tailleur-pantalon le temps de s’imposer à la tête d’un univers martial.

Michèle Alliot-Marie, en mars 2004, alors ministre de la Défense dans le gouvernement Raffarin.
Comme Élisabeth Guigou avant elle à la Justice, Michèle Alliot-Marie adapte son style à sa fonction de ministre de la Défense. © Mousse/ABACA

Souliers plats ou talons hauts, deux écoles s’affrontent… Là aussi, y a-t-il un message ?

Des choix plutôt. Celui du confort, pour Michèle Alliot-Marie qui proscrit le talon pour marcher sur les pavés des Invalides. Roseline Bachelot trouve elle aussi que la stabilité psychique est confortée quand vous êtes bien ancrée dans le sol. Pour d’autres, même si le talon rend la démarche instable, il indique une grande maîtrise de soi, physique et mentale. Et puis c’est une manière de gommer les écarts de taille…

Roselyne Bachelot, au palais de l'Élysée, le 27 août 2008.
En 2008, ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, Roselyne Bachelot, afin d’honorer un pari, ose les Crocs roses à l’Élysée... © Mousse-Taamallah/ABACA

Sur les bancs de l’Assemblée, qui s’approche aujourd’hui de la parité, les mentalités évoluent peu pourtant…

Vous vous présentez là face à des adversaires politiques, et toutes les attaques sont bonnes. L’attaque sexiste est une façon comme une autre de déstabiliser. Les femmes ayant plus de choix dans leur vestiaire, elles donnent plus de prise aux commentaires. Globalement, dans la société, le corps des femmes est beaucoup plus scruté, et c’est aussi le cas au Palais-Bourbon. Cela donne lieu à des critiques, souvent empreintes de misogynie, qui se transforment aujourd’hui en scandales médiatiques. Ce fut le cas pour la robe à fleurs de Cécile Duflot.

Le vêtement peut-il devenir un marqueur social ?

Je ne vois pas de positionnement clair, même s’il y a bien une tenue d’extrême gauche dont Clémentine Autain se fait l’écho. Elle explique qu’elle possède quelques vêtements, plus luxueux, qu’elle ne porte pas dans son rôle politique pour ne pas brouiller son message. Le costume de l’extrême gauche, homme et femme, est un peu plus décontracté, quotidien, moins rigoureux. Mais c’est assez calculé finalement, de la part de Clémentine Autain ou de Nathalie Arthaud, comme autrefois d’Arlette Laguiller.

La députée La France Insoumise, Clémentine Autain, à l'Assemblée nationale, en septembre 2020.
La députée La France Insoumise, Clémentine Autain, se fait l'écho de la tenue d’extrême gauche, explique l'historienne de la mode et enseignante à l’École du Louvre, Sophie Lemahieu. © LIONEL URMAN / BESTIMAGE

S’habiller en Chanel comme Simone Veil, ou Hermès comme Françoise Giroud, est-ce toujours possible ?

Dans les années 1970, ces griffes étaient synonymes d’élégance, d’un effort supplémentaire destiné à honorer la fonction. Mais depuis nous sommes entrés dans une starification de la mode, avec l’avènement des top models et d’un luxe très ostentatoire. Associer son image à une griffe trop reconnaissable, des monogrammes, est devenu impensable.

La haute couture est-elle devenue l’apanage de la seule première dame ?

L’épouse du président n’est pas une femme politique, et il est bien vu qu’elle représente la France et ses savoir-faire. Elle doit porter haut cette tradition du luxe. La seule femme politique qui puisse aussi se le permettre, c’est la ministre de la Culture. Le monde de la mode est sous sa tutelle et, de fait, elle représente cette industrie. Elle peut même être amenée, lors de cérémonies qui demandent une tenue plus habillée, à porter de la haute couture.

Brigitte et Emmanuel Macron, à l'Élysée, le 11 février 2022.
Brigitte Macron, ambassadrice de la couture française, au bras du Président, son époux, en février 2022. © Abd Rabbo Ammar/ABACA

* S’habiller en politique, les vêtements des femmes de pouvoir 1936-2022, École du Louvre/palais du Louvre. 160 p., 35 euros.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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