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La date n’était pas choisie au hasard. Le 20 juillet 2021, 52 ans jour pour jour après que l’homme s’est posé sur la Lune, Jeff Bezos et ses premiers touristes de l’espace découvrent l’absence de gravité pendant six minutes. Deux de plus que l’équipe de son concurrent Branson et 20 kilomètres plus haut. De retour sur terre, l’homme le plus riche du monde, chapeau de cow-boy sur son crâne rasé, déclare : "C’est le plus beau jour de ma vie." De son côté, le milliardaire anglais de 71 ans, cheveux au vent et sourire étincelant, avoue : "J’imaginais ce moment depuis que j’étais petit. Tout était magique du début à la fin."
Sur les réseaux sociaux, à quelques jours d’intervalle, le créateur des voitures électriques Tesla, Elon Musk félicite brièvement les deux hommes. Oubliez les yachts démesurés, les jets personnalisés et les voitures en édition limitée. Le summum de la réussite pour un super-milliardaire est désormais de posséder sa propre société d’exploration spatiale ! Elon Musk avec SpaceX, Jeff Bezos avec Blue Origin et Richard Branson avec Virgin Galactic rivalisent depuis bientôt vingt ans dans la conquête de la galaxie.
Une bataille d'ego dans l'espace...
En 2002, Elon Musk rachète une vieille usine au centre de Los Angeles pour y créer SpaceX. Passionné d’ingénierie et de recherches, il encourage ses équipes, parfois à marche forcée, à imaginer toutes sortes de prototypes de fusées. Assumant les erreurs, les défaites et les contretemps, il s’implique dans toutes les décisions techniques et recrute les meilleurs spécialistes.
Face à lui, Richard Branson se comporte comme toujours en aventurier, explorant tour à tour l’univers de la musique, du téléphone mobile et de l’aviation. En 2004, il crée Virgin Galactic et commercialise rapidement des billets pour l’espace, campagnes de pub à l’appui. Mais ses débuts sont chaotiques, voire dramatiques. En 2007, un test en plein air se termine par l’explosion du réservoir de la navette au sol et cause la mort de trois personnes. En 2014, un crash tue un pilote et blesse grièvement son copilote.
Pas ce genre de soucis pour Jeff Bezos. Depuis 2002 et le lancement de Blue Origin, l’homme aux 200 milliards de dollars ne laisse rien au hasard. Aucun prototype n’est construit avant le feu vert de l’ordinateur. Après quinze vols d’essais sans incidents, il est prêt à décoller, le 20 juillet 2021.
Mais le flibustier britannique lui grille la politesse en s’envolant finalement 9 jours plus tôt. Vexée, l’équipe de Blue Origin riposte et joue sur les chiffres. Elle affirme que le vol Virgin ira seulement à 90 Km au-dessus de la Terre, la limite de l’espace selon la Nasa, alors que Jeff Bezos et son équipage passeront la barre des 100 kilomètres, la ligne de Kármán, reconnue comme la sortie de l’atmosphère par la communauté internationale. Après la réussite très médiatique de Branson, Jeff Bezos reprend la main. Il annonce que Wally Funk, 82 ans, et Olivier Daemen, 18 ans, seront du voyage.
La première est une légende de l’aéronautique. On la compte parmi les 13 pionnières du programme spatial Mercury 13 qui, en 1961, a préparé des femmes à devenir astronautes. Mais malgré ses quelque 19 600 heures de vol sur toutes sortes d’engins, jamais la Nasa n’acceptera de lui laisser quitter la Terre.
Pour le vol inaugural de son lanceur New Shepard et de sa capsule, Jeff Bezos exauce donc le rêve de l’octogénaire, mais aussi celui d’un tout jeune homme qui n’osait imaginer faire partie de l’aventure spatiale, Oliver Daemen. Fils d’un riche Néerlandais propriétaire d’un fonds d’investissement, c’est son père, deuxième plus gros enchérisseur pour la place mise en vente, qui a récupéré le siège galactique après désistement du premier candidat et lui a offert.
Elon Musk est le plus avancé dans cette rivalité de maîtres de l’univers
Si les deux entrepreneurs ont remporté la victoire de l’image, cela n’efface pas leur retard. Car Elon Musk est le plus avancé dans cette rivalité de maîtres de l’univers. En dehors de la taille de sa fusée, 70 mètres alors que celle de Jeff Bezos n’en fait que 18, l’ingénieur d’origine sud-africaine aux intuitions fulgurantes préfère rester à terre et développer ses idées plutôt que flotter en apesanteur durant quatre minutes dans une cabine. Et son pari est gagnant. Depuis 2012, son cargo spatial SpaceX Dragon ravitaille la station internationale et c’est son petit frère, Crew Dragon, qui sert de taxi au spationaute français Thomas Pesquet pour la rejoindre.
Si Virgin Galactic affirme avoir déjà vendu six cents billets à 250.000 dollars, notamment à des stars hollywoodiennes, le désir de ces fous de l’espace d’envoyer tout le monde dans les étoiles va beaucoup plus loin que cet aspect commercial. Elon Musk reste fasciné par le cycle Fondation de l’auteur Isaac Asimov. Cette œuvre décrit des humains colonisateurs de différentes planètes. Jeff Bezos est passionné par les écrits du physicien Gerard K. O’Neill qui imaginait de gigantesques stations spatiales devenues les refuges de l’humanité, loin d’une Terre épuisée.
Destination Mars
Pour Musk, l’avenir est sur Mars. Ses projets s’orientent vers la planète rouge avec le départ de fusées cargos habitées pour 2024. Pour Bezos : "Si nous nous déplaçons dans le système solaire, pour toutes nos activités courantes, nous avons des ressources illimitées" … si possible dans des cylindres à gravité imaginés par sa société. En attendant de faire déménager la planète, les deux magnats visent la Lune.
Alors que SpaceX gagne l’appel d’offres de la Nasa pour la mission lunaire Artemis II prévue d’ici deux ans, Blue Origin porte l’affaire devant l’équivalent de la Cour des comptes américaine. En attente du verdict prévu à la fin de l’été 2021, la Nasa suspend le contrat.
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