Lorsqu’il avait 6 ans, un doberman lui a déchiré la joue. Gaspard Ulliel en a gardé une cicatrice qui parachevait son allure inimitable, comme une fossette un peu trop grande sur sa gueule d’ange. Au même âge, son fils Orso vient de perdre son papa dans des circonstances tragiques. La triste nouvelle a sidéré le monde du cinéma et ses admirateurs qui lui ont rendu un hommage unanime, inconsolables de devoir refermer si tôt le livre de sa vie.

Le cinéaste Xavier Dolan, qui l’avait dirigé dans le magnifique Juste la fin du monde fut l’un des premiers à pleurer la disparition de son acteur : "C’est invraisemblable, insensé, et tellement douloureux de même penser écrire ces mots. Ton rire discret, ton œil attentif. Ta cicatrice. Ton talent. Ton écoute. Tes murmures, ta gentillesse. Tous les traits de ta personne étaient en fait issus d’une douceur étincelante. C’est tout ton être qui a transformé ma vie, un être que j’aimais profondément, et que j’aimerai toujours."
Voir cette publication sur InstagramMourir trop jeune était déjà le sujet d’Un long dimanche de fiançailles dans lequel beaucoup l’ont découvert. Devant la caméra de Jean-Pierre Jeunet, il y incarnait Manech, gamin parmi d’autres, infime parcelle de la chair à canon envoyée en 1917 dans les tranchées de la Somme, et que sa fiancée Mathilde s’acharne à retrouver. Cette incursion dans le no man’s land de Bingo Crépuscule lui vaut son premier César, celui du meilleur espoir. Sa carrière confirme aussitôt les attentes de ce trophée. Gaspard Ulliel impose son mystère film après film.

Ce fils d’une styliste et d’un designer né en 1984 à Boulogne-Billancourt se distingue d’emblée. De ses parents, il semble conserver un sens inné de l’élégance, une allure de dandy qui n’ôte rien à la profondeur de ses interprétations. En témoigne la liste prestigieuse de ceux qui le font tourner. André Téchiné, Michel Blanc, Brigitte Roüan, Emmanuel Mouret, Gus Van Sant...

Films d’auteur — Un barrage contre le Pacifique de Rithy Panh — ou productions grand public — Jacquou le Croquant de Laurent Boutonnat —, tous les genres lui ouvrent leurs portes. Le registre historique aussi, pour celui qui fut tour à tour un flamboyant duc de Guise dans La princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier ou un héros anonyme ironiquement dénommé Basile dans Un peuple et son roi, fascinante évocation de la Révolution par Pierre Schoeller.
Le visage de Bleu de Chanel
Sa beauté et son talent unanimement célébrés n’ont pas laissé longtemps indifférentes les grandes maisons de mode. En 2010, il devient ainsi l’égérie de Bleu de Chanel, dont le flacon se pare de la même teinte ardoise que son regard. Et une nouvelle fois, l’acteur ne se contente pas du statut superficiel de gravure de mode. C’est sous la direction du légendaire Martin Scorsese qu’il en tourne le spot publicitaire et la sentence qu’il prononce dans ce film pensé comme un véritable court-métrage est à l’avenant : "Je ne vais plus être celui qu’on attend que je sois."

D’aucuns auront pu déchiffrer dans ce message sibyllin les prémices d’une posture distante. Une sensation aussitôt démentie par ceux qui le connaissent le mieux. De Guillaume Gouix à Hugo Gélin, ses amis sont unanimes : l’habituelle discrétion de l’acteur n’est que l’illustration de son humilité et de sa pudeur. À l’image d’une vie privée qu’il tient à l’écart des projecteurs.

Compagnon depuis 2013 de la mannequin corse Gaëlle Pietri, il était devenu le papa du petit Orso en 2016. Le comédien n’en a pas pour autant terminé avec le monde de la mode. En 2014, Bertrand Bonello lui confie le rôle d’Yves Saint Laurent dans le film homonyme qui évoque les années 1967-1976, décennie marquée par les doutes du créateur dont l’œuvre de couturier est sur le point d’être considérée comme l’égale des arts dont il s’inspire. Le film fait sensation à Cannes. Gaspard Ulliel se glisse avec grâce dans les blouses immaculées d’YSL, offrant une incarnation stupéfiante de l’homme et de ses fragilités.
Moon Knight, son dernier projet
Célébré en France, Gaspard Ulliel intrigue aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Sa présence à la une des plus grands magazines et son aptitude à jouer le plus innocent des êtres comme le plus vénéneux attirent l’attention de Hollywood qui lui offre de relever un nouveau défi : incarner dans ses jeunes années Hannibal Lecter, le personnage rendu célèbre par Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux. Plus récemment, ce sont les Studios Marvel qui ont confié à l’acteur un rôle dans la série Moon Knight auprès d’Oscar Isaac et Ethan Hawke... Ultime chapitre d’une carrière magnifique brisée par le destin.

Un parcours fait d’audace et de choix radicaux à l’image du magnétique La Danseuse de Stéphanie Di Giusto, récit hypnotique inspiré de la vie de Loïe Fuller, dans lequel il était le mystérieux comte Louis d’Orsay. Chacun se souviendra enfin de cet autre Louis qu’il était dans Juste la fin du monde, entouré à l’écran par Léa Seydoux, Vincent Cassel, Nathalie Baye et Marion Cotillard.

Absent lors de la cérémonie des César qui le couronnait pour la seconde fois, il avait confié au réalisateur Xavier Dolan le soin de lire ces mots, résonnant aujourd’hui comme une bouleversante leçon de vie : "Il paraît que les belles histoires de cinéma sont celles qui, au début, ne laissent pas présager de la fin. N’est-ce pas la raison d’être de cette vie sur grand écran ? Que vous soyez acteur ou spectateur, la fin d’un film ne sera jamais la fin d’un monde, mais la promesse d’aventures à venir. À ce jour, le peu que je sais, je l’ai appris par les films."
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