La cérémonie est discrète, empreinte de dignité et d’émotion. Bertil, le "jeune" marié, a 74 ans, Lilian, sa promise, 61, et de beaux cheveux gris. Et il ne s’agit pas d’une romance tardive, tous deux s’aiment depuis trente ans d’un amour absolu.
Dans la chapelle blanche du château de Drottningholm, seule la famille royale et les officiels assistent à la cérémonie. Ce "petit comité" comprend tout de même quelques deux cents personnes, dont les neveux du prince, le roi Carl XVI Gustav de Suède et la reine Silvia, ses nièces les princesses Margaretha, Birgitta, Désirée et Christina, sa soeur, la reine mère Ingrid de Danemark, et le Premier ministre Thorbjörn Falldin…
Le fiancé, en jaquette sombre et gilet, cravate et pantalon gris, arbore un oeillet blanc à la boutonnière. Lilian, silhouette menue et regard pervenche, porte une longue robe taillée en "manteau de cour" dans un lourd satin d’un beau bleu glacier. Son réticule, à chaine et fermoir d’argent, est en tapisserie. Une aigrette de plumes blanches orne ses cheveux. Elle porte des perles aux oreilles, trois rangs autour du cou et son bijou fétiche, une broche en diamants, offerte par Bertil il y a plus de trente ans… Son bouquet de mariée est de muguet et, comme il fait froid au-dehors du palais, elle a jeté sur ses épaules un manteau de vison clair.
Le révérendissime docteur Olof Sundby, archevêque d’Uppsala, reçoit le consentement des époux un peu après onze heures. À la traditionnelle formule: "Devant Dieu qui sait tout, Bertil, veux-tu prendre Lilian pour légitime épouse?", le prince lance un ju! "oui", retentissant. Il passe l’anneau de platine à l’annulaire de cette petite main tant espérée et qu’il embrasse tendrement.
Émue aux larmes, Lilian se pincerait presque pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Après trente ans passés à rejouer Back Street, le roman de Fanny Hurst, la voici devenue, en vingt minutes, "princesse de Suède, duchesse de Halland et altesse royale"!
Coup de foudre à Londres pendant la guerre
À l’automne 1941, le Royaume-Uni est en guerre, le blitz ravage Londres, mais la vie continue. Dans un club de Berkeley Square, une jeune et belle volontaire chante Lili Marlene, le grand succès de Marlène Dietrich, pour distraire les soldats des horreurs du front. Soudain, un marin ivre et audacieux essaie de l’enlacer. Effrayée, elle se débat et tente de se défendre quand un officier, d’une trentaine d’années, remet l’importun à sa place.
Son "sauveur", un géant aux yeux bleus, s’appelle Bertil Bernadotte. Elle apprendra plus tard que dans son pays, en Suède, son grand-père n’est rien moins que roi. Subjugué par la beauté de la jeune femme, née vingt-six ans plus tôt au pays de Galles, le prince tombe instantanément amoureux. Le coup de foudre est partagé, mais Lilian Davies, c’est son nom, a épousé l’année précédente l’acteur britannique William Craig. Une union éphémère dans l’exaltation des départs à la guerre. Ils sont déjà séparés. Depuis, le caporal Craig a rejoint son régiment en Afrique. Il ne rentrera que cinq années plus tard.
Dans l’anonymat de la capitale britannique, en ces années troublées, le couple s’aime et se berce de rêves d’un avenir commun. Mais la paix signée, Bertil retourne en Suède, où il est prince et troisième en ligne de succession à la couronne, après son père et son frère aîné. Quant à Lilian, elle est roturière, artiste, traduire "saltimbanque" pour les familles royales, et de surcroit déjà mariée! Jamais le vieux roi Gustav V n’autorisera une pareille mésalliance. Le scandale récent du mariage de Mrs Simpson avec le roi Edouard VIII, forcé d’abdiquer, n’y encourage pas.
Le mariage des amoureux est reporté sine die...
En 1946, la naissance du petit prince Carl Gustav offre une lueur d’espoir. Rétrogradé d’un rang dans l’ordre de succession au trône, Bertil envisage de renoncer à ses droits. Mais la mort soudaine de son frère aîné, le prince Gustav Adolf, lors d’un tragique accident d’avion, remet le projet des amoureux en question. Ses deux autres frères survivants son déjà exclus de la succession, et Bertil demeure le seul prince "dynamiquement utile" de sa génération. Il devrait assumer la charge de régent si le roi Gustav V ou son fils, le futur Gustav VI, venaient à disparaître avant la majorité de leur arrière-petit-fils et petit-fils.
LIRE AUSSI >> Le mariage de Carl XVI Gustaf et Silvia de Suède
Le mariage est reporté sine die. Son bonheur sacrifié à la raison d’Etat, Lilian ne se révolte pas. A une amie, elle avoue: "C’est terrible, mais pour l’amour de Bertil, j’attendrai aussi longtemps que nécessaire." Les "fiancés éternels" vont encore patienter trente-cinq ans! Sans jamais renoncer.
Ils vivent discrètement leur amour dans la capitale suédoise, et s’offrent un peu de liberté, chaque été, dans la villa Mirage, leur refuge de Sainte-Maxime. L’avènement du roi Gustav VI Adolf, en 1950, ne change rien à leur situation. Bertil et Lilian sont toujours priés d’attendre des circonstances plus favorables. Elles se présentent enfin au règne suivant.
Monté sur le trône en 1973, Carl XVI Gustav épouse, trois ans plus tard, Silvia Sommerlath, une belle roturière germano-brésilienne. Le jeune roi inaugure l’ère des mariages d’amours à la cour de Suède. Apprenant qu’il sera bientôt père, le monarque convainc le gouvernement de relever enfin son oncle et Mrs Davies du lourd sacrifice qu’ils se sont imposé. Non seulement le mariage du prince sera célébré, mais Carl Gustav souhaite voir "sa tante Lilian" occuper un rang tout à fait officiel dans la famille royale. Désormais, elle prendra place en compagnie de son époux et de ses neveux à la remise annuelle des prix Nobel, comme à toutes les cérémonies officielles.
Lilian enfin altesse royale et de princesse de Suède
Le jour même du mariage, dans la grande salle à manger d’apparat du palais royal de Stockholm, le roi et la reine de Suède reçoivent pour déjeuner. Dans la vaisselle d’or et d’argent, Bertil et Lilian dégustent, en compagnie d’une cinquante d’invités, les homards à la nage, les filets de boeuf et céleri branche, les boules de fromage et la mousse de groseille. Lilian a droit à son coquetier d’or, privilège exclusif des princes et princesses de Suède depuis le règne du premier roi de la dynastie, Jean-Baptiste Bernadotte.
Adopté par le roi Carl XIII de Suède, en 1810, et monté sur le trône en 1818, cet ancien maréchal de Napoléon ne s’est jamais accoutumé à la gastronomie de son nouveau royaume. A tous les repas, il se faisait servir des oeufs à la coque et, depuis, le privilège du coquetier est accordé aux princes et princesses de la famille royale à chaque banquet officiel.
Bertil, le fier soldat de Lilian, s’est éteint en 1997, laissant son amour seul dans leur villa Solbacken. Seize longues années, mais que la duchesse de Halland a traversé cette fois en pleine lumière, à son rang officiel d’altesse royale et de princesse de Suède, et à son rang officieux de "reine mère", entourée de l’affection de ses neveux et de tout le peuple suédois. En mars 2013, elle a poussé un dernier soupir, à l’âge honorable de 97 ans. Lilian a retrouvé Bertil, son prince chevaleresque et...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.
