Les révolutions ne sont plus ce qu’elles étaient. Aux Barbadiens qui l’ont congédiée en novembre dernier, Élisabeth II, reine de l’île depuis 1966, a adressé un chaleureux message, présentant ses "meilleurs vœux de bonheur, de paix et de prospérité" à ses anciens sujets. Autre preuve de ce divorce à l’amiable, le prince de Galles a fait personnellement le déplacement pour assister à l’intronisation de Sandra Mason, présidente de la toute jeune république.

Une première dans la longue histoire de l’Empire britannique : avant lui, aucun membre de la famille royale n’avait pris part aux cérémonies consacrant le retrait de la monarchie dans les anciens dominions.
La Jamaïque serait tentée de suivre l'exemple de la Barbade
Pourtant, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, George VI — dernier empereur des Indes —, et Élisabeth II ont perdu bien des couronnes. La reine, qui a été à la tête de trente-deux États, ne règne plus aujourd’hui que sur quinze royaumes, avec un attachement à sa personne et à sa famille plus ou moins prononcé. Mais depuis 1992 et l’île Maurice, le mouvement semblait s’être arrêté. L’exemple de la Barbade pourrait-il donner quelques espoirs aux républicains du Commonwealth ?

À seulement deux mille kilomètres de la Barbade, la Jamaïque est sans doute le pays le plus tenté par l’aventure républicaine. Selon les sondages, 55 % des Jamaïcains souhaiteraient l’instauration d’une république. L’actuel Premier ministre, Andrew Holness, a d’ailleurs été élu en faisant de l’abolition de la monarchie un thème de campagne. En poste depuis 2016, l’homme ne manque jamais l’occasion de rappeler son souhait de couper avec les Windsor : "Il ne fait aucun doute que la Jamaïque doit devenir une république. Qui peut encore le contester ?" Sauf que son gouvernement ne s’est toujours pas décidé à organiser un référendum, préalable indispensable à toute réforme constitutionnelle.

À la Grenade et à Antigua-et-Barbuda, des initiatives similaires sont régulièrement envisagées. Aucune n’a jusqu’ici abouti. Au Belize — seul royaume élisabéthain d’Amérique centrale —, le Premier ministre John Briceno a laissé entendre que l’heure était venue de réfléchir à l’avenir institutionnel du pays, sans donner, là encore, plus de précision. Seuls Tuvalu, dans le Pacifique, et Saint-Vincent-et-les Grenadines, dans les Caraïbes, semblent avoir définitivement tranché la question royale, consultations populaires à l’appui : en 2008 et 2009 les habitants de ces archipels se sont clairement exprimés pour un maintien d’Élisabeth II comme chef d’État. Il est vrai que la meilleure arme de l’institution reste la souveraine elle-même.
Les Canadiens anglophones plus favorables au maintien de la monarchie que les Québécois
Portée par une incroyable popularité, patiemment reconquise depuis le début des années 2000, Élisabeth II est devenue un symbole pour ses 150 millions de sujets dans le monde. Mais les Canadiens, les Australiens, les Néo-Zélandais, et même les Britanniques, auront-ils le même attachement à leur prochain souverain ? Les royaumes du Commonwealth survivront-ils à la reine ou y a-t-il un "problème Charles" ? L’impopularité du prince de Galles n’est pourtant plus ce qu’elle était, au Royaume-Uni comme ailleurs.

Sans caracoler dans les enquêtes d’opinion — loin de là —, l’héritier de la Couronne a su progressivement redorer son blason. Un récent sondage, paru dans le magazine Hello, tend même à montrer que l’avenir est dégagé, du moins du côté de Londres. À la question : "Pensez-vous que la reine a bien préparé sa famille à une nouvelle ère ?", 85 % des Britanniques répondent par l’affirmative. Ils sont d’ailleurs 82 % à penser que la famille royale continuera à représenter le pays en 2022 et au-delà.
Au Canada, l’enthousiasme est bien plus modéré. Selon l’institut Research Co, 45 % des Canadiens seraient favorables à l’élection de leur chef de l’État. Quant à ceux qui restent fidèles à la Couronne, ils seraient 63 % à préférer le prince William au prince Charles. Une photographie de l’opinion qui masque une rupture nette à l’intérieur même du pays : d’un côté les anglophones, plus enclins à maintenir l’institution monarchique ; de l’autre les Québécois, profondément républicains.

"La question de savoir si nous gardons la monarchie est une question qui nous divise encore davantage. C’est un désastre pour le pays", déplore Sean Simpson, vice-président de l’institut Ipsos au Canada. Dans ce cadre, une réforme institutionnelle paraît "quasiment impossible", à en croire Emmett Macfarlane, professeur de sciences politiques à l’université de Waterloo, dans l’Ontario. "Cela nécessiterait un amendement constitutionnel avec le soutien unanime des provinces. Donc, toutes les provinces devraient s’entendre en plus du Parlement fédéral." Personne n’y croit.
L'Australie tenté de partir depuis longtemps
En Australie, les Windsor aussi semblent sur le fil du rasoir. À peine une majorité d’Australiens souhaite conserver le système actuel. Et le feuilleton du Megxit n’a guère amélioré les choses. "Pourquoi est-il plus facile pour Harry de quitter la monarchie que pour nous ?", s’est publiquement interrogé Matt Kean, ministre du Budget de Nouvelle-Galles du Sud et figure du mouvement républicain. "Il ne s’agit pas de savoir si nous aimons la famille royale... mais l’idée qu’en 2021 quelqu’un puisse obtenir un poste en raison de son nom plutôt que de ses compétences va à l’encontre de ce que nous croyons en Australie."
Difficile pourtant pour la classe politique d’arriver au consensus... parfois au sein de la même formation politique ! Membre du parti libéral, Malcolm Turnbull, s’est illustré en 1999 en menant la campagne en faveur de l’abolition de la monarchie. Les résultats du référendum — 54,87% de ses compatriotes se prononcèrent alors pour le maintien des Windsor —, douchèrent ses ambitions. Devenu Premier ministre du pays en 2015, il n’eut pas de sérieuse occasion de retenter sa chance. Son successeur, l’actuel Premier ministre Scott Morrison, libéral lui aussi, est d’ailleurs un fervent monarchiste.

En ces temps de Covid-19, une réforme des institutions est-elle seulement à l’agenda ? "Les gens se poseront la question lorsqu’ils seront certains de conserver leur emploi, certains que leur famille va bien, quand ils se sentiront à l’aise dans leur vie", résume la sénatrice Hollie Hughes, elle aussi membre du parti libéral, invitée sur le plateau de Sky News. "En sortant de la pandémie, nous allons passer beaucoup de temps à nous reconstruire. Je ne crois pas qu’il va y avoir une réelle demande pour un changement constitutionnel ou que cela va être la priorité de quiconque."
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