Ce jeudi 4 mai 2017, c’est un monument national que saluent la presse et l’opinion britanniques, unanimes et déjà nostalgiques à l’annonce de son retrait de la vie officielle. À quelques semaines de ses 96 ans, le duc d’Édimbourg prend du champ. Il incarne près d’un siècle d’histoire glorieuse et mouvementée et, plus encore, un destin de légende, à nul autre pareil. Car dès sa naissance, le 10 juin 1921, à Corfou, ce petit prince grec connaît la tourmente.
Le conflit gréco-turc tourne au désastre et son père, le général prince André de Grèce et de Danemark, est un bouc émissaire commode pour un régime aux abois. L’exil ou la mort. À dix-huit mois, Philip quitte sa terre natale avec sa famille, sur un bateau de la Royal Navy où les marins lui ont bricolé un petit lit avec un cageot d’oranges.
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Dernier-né tardif et seul garçon, fils d’une mère sourde, brillante mais tourmentée au point de bientôt séjourner des années durant dans des établissements psychiatriques, Philip a l’enfance d’une feuille au vent. Londres, Saint-Cloud, la Grande-Bretagne de nouveau, l’Allemagne quelques mois, le Royaume-Uni définitivement, il bourlingue d’oncles en sœurs, cousins et pensionnats dans la plus grande solitude et au milieu d’une parfaite insécurité affective. Comment survivre ? Philip met un mouchoir sur sa sensibilité profonde, à jamais blessée, pour devenir chef de bande, prendre sans cesse l’initiative, se montrer plus dur que ses condisciples, plus courageux, plus solaire, plus drôle.
Il est le meilleur en sport, il fédère, se montre curieux de tout, ne craint pas de traverser l’Angleterre en train, seul, à 13 ans, fait preuve d’autant d’élégance que d’insolence et de repartie, se révèle un invité perpétuel aussi turbulent qu’irrésistible. Et puis, il est si beau. Un dieu viking, né pour la guerre et vaincre les cœurs d’un simple regard. Il est "the Greek laddie", le gamin grec, tel que le surnomment les pêcheurs du petit port écossais de Hopeman quand il les accompagne en mer, parfois jusqu’aux parages des Orcades et de la Norvège, à l’époque où il est pensionnaire à Gordonstoun."J’étais mouillé, grelottant, malheureux, probablement malade, et souvent j’avais une peur bleue, mais je n’aurais voulu manquer cette expérience pour rien au monde", confiera Philip bien des années plus tard.
La mer, son premier grand amour
La mer est son grand coup de foudre, avec sa liberté infinie, jusqu’au vertige, aventure offerte, promesse sans cesse renouvelée, miragineuse. Il s’y affronte, s’y endurcit, maître enfin de son destin, au moins le temps d’une traversée, goûte la fraternité de l’équipage, éphémère famille forgée par l’épreuve. "Âgé de 14 ans, le prince Philip de Grèce, cousin de la duchesse de Kent, est admissible pour être garde-côte, signale un journal local. […] Le prince Philip est d’ores et déjà un scout marin britannique et un bon rameur. Pendant le cours, les garçons assureront des surveillances et collaboreront avec les gardes-côtes à des missions de patrouilles pendant les tempêtes."

C’est à terre qu’il est seul, toujours, sans même un costume de rechange, récupéré de loin en loin par un parent ou l’autre, au gré des vacances scolaires. Jamais il ne se plaint. Même quand la mort rôde. Fauche sa sœur Cécile, la plus belle, puis son tuteur et oncle maternel, le marquis de Milford Haven. Le vide encore, où qu’il se tourne. Philip le dissipe à force d’orgueil, de sa formidable envie de vivre. Et puis il y a la mer. Le jeune prince errant et désargenté va l’épouser pour de bon. Il s’est trouvé une voie, un point d’ancrage, il sera officier dans la Marine royale britannique, un autre oncle l’y encourage, Louis Mountbatten. Une nouvelle vie commence, face à une tourmente qui fait basculer une fois encore le siècle dans l’horreur, la Seconde Guerre mondiale.
Officier de la Marine royale pendant la guerre
Sorti meilleur cadet de sa promotion à Dartmouth, l’aspirant Philip de Grèce sert dans l’océan Indien avant de rejoindre la flotte de Méditerranée et le HMS Valiant à bord duquel il s’illustre, notamment lors de la bataille du cap Matapan, au large de la Crète. Sous le feu ennemi, il maintient le projecteur de poursuite sur deux bâtiments italiens pris en chasse par le Valiant. Sa bravoure, son sang-froid lui valent citation et décoration. "Grâce à sa vigilance et à son appréciation de la situation, dira l’amiral Charles Morgan, nous avons été capables de couler en cinq minutes deux croiseurs italiens considérés comme les meilleurs de ce type."
Following training @DartmouthBRNC, The Duke of Edinburgh went on to become one of the @RoyalNavy’s youngest first lieutenants, and saw active service in WWII. His Royal Highness was present in Tokyo Bay when the Japanese signed the surrender on 2 September 1945. pic.twitter.com/9cdtkvVamz
— The Royal Family (@RoyalFamily) April 12, 2021À 21 ans, il devient le plus jeune lieutenant de vaisseau de la Royal Navy. À 22, commandant en second du destroyer Wallace durant le débarquement de Sicile, il sauve son navire d’un bombardement de nuit en lançant à la mer un canot enflammé, leurre qui détourne l’attention des trois avions allemands. "C’était une idée remarquable de rapidité, témoigne un marin du bord. Le prince Philip nous a sauvés cette nuit-là. Je suppose qu’il y aurait eu quelques survivants, mais le navire aurait été certainement coulé."
Pour le magnifique officier à la carrière des plus prometteuses, la guerre se termine le 2 septembre 1945, en baie de Tokyo où il assiste à la signature de la capitulation du Japon. Il en est sûr, rien ne l’empêchera d’être l’un des plus jeunes amiraux du Royaume-Uni. Pas même l’amour. Car la mer et la Marine ne sont plus la seule famille de Philip.
Avec Élisabeth, Philip trouve une patrie
Au fil des permissions, il s’est rapproché de ses cousins Windsor et tout particulièrement de la princesse Élisabeth, qui n’a d’yeux que pour lui. George VI et la reine l’ont accueilli au sein de leur foyer. Après ses flirts de jeune homme, le prince sans palais ni couronne aime pour de bon et est aimé. Il va épouser la fille et héritière du roi de Grande-Bretagne, mais c’est d’abord elle qui le suivra au gré de ses affectations, comme une vraie épouse de marin. Élisabeth s’en réjouit infiniment, comme de la promesse d’une école buissonnière.
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Philip renonce à ses titres et nationalité, la part du feu, pour renaître sous l’identité de Philip Mountbatten, duc d’Édimbourg, mais ni Altesse Royale ni prince du Royaume-Uni. Au moins pour l’instant. N’importe, l’exilé a enfin une patrie, un foyer, une femme à chérir et protéger.
Après les premières obligations officielles qui le maintiennent à terre plus qu’à son gré, après un poste à l’Amirauté, puis son temps de formation à l’Old Royal Naval College de Greenwich qui lui permettra d’être promu capitaine de corvette, Philip obtient enfin de reprendre le large. Le 17 novembre 1949, le voilà affecté à Malte, sur le HMS Chequers, dont il prend le commandement en second. Élisabeth le rejoint quelques jours plus tard, laissant leur fils Charles, à peine âgé d’un an, à la garde de ses grands-parents.

Le couple connaît alors ses heures les plus insouciantes, à des années-lumière des rigueurs du protocole. La princesse attend son époux à la Villa Guardamangia, organise des tea-parties avec les autres épouses d’officiers. Lorsque Philip est là, ils courent ensemble les dîners dansants de l’hôtel Phoenicia,...
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