Ses appartements du palais de Kensington ouvraient sur un jardin dallé où, printemps comme été, s'épanouissaient des milliers de roses. La princesse Margaret aimait passer du temps à sa fenêtre. Le regard perdu dans la contemplation de paysages qu'elle était la seule à connaître, il lui arrivait alors d'évoquer le souvenir de son père, le roi George VI, de la tendresse qu'il avait pour elle, de l'expression amusée qui parcourait son visage lorsqu'il posait sur sa tête de petite fille son lourd bonnet en poil d'ours du régiment des Gardes. "Il me laissait l'essayer, disait-elle. Sa couronne, aussi."

Douée pour le rêve, la comédie et le chant, la sœur cadette d'Élisabeth II était de ces premiers rôles meurtris d'avoir été trop souvent cantonnés à de simples figurations et qui, leur vie durant, cherchent à étouffer leur chagrin dans des provocations illusoires. Bouleversée par la mort du souverain en 1952 (elle a alors 22 ans), Margaret l'est aussi, trois ans plus tard, par le dénouement poignant de sa love story avec le très marié et très séduisant capitaine Peter Townsend, qu’elle renoncera à épouser par loyauté envers la Couronne et l’Église anglicane.
Suivent un mariage mouvementé avec le photographe Antony Armstrong-Jones, en 1960, deux enfants, David et Sarah, des amants, mille polémiques, un divorce ultramédiatisé en 1978. À Moustique, l'île des Grenadines dont elle a fait son royaume de plaisirs, la princesse s'entoure d'une cour hétéroclite composée d'aristocrates et de stars et s'abandonne une dernière fois à l'amour avec Roddy Llewellyn, un rêveur lui aussi, chanteur et paysagiste à ses heures, de dix-sept ans son cadet.

Une consommation excessive de cigarettes et d’alcool affecte prématurément sa santé. Elle est opérée d’un poumon en 1985, subit plusieurs attaques qui finissent par la clouer sur une chaise roulante. Margaret apparaît pour la dernière fois en public en août 2001 à l’occasion du cent unième anniversaire de sa mère, et décède six mois plus tard, à l’âge de 71 ans, à l’hôpital Edward-VII de Londres.
En rupture avec les usages en vigueur chez les Windsor, elle a demandé à être incinérée. Son "infortune", écrit l'un de ses biographes, est d'avoir "manqué de peu d'être reine –métier dans lequel elle se serait sans doute distinguée. Et de s'être retrouvée cantonnée à la tâche subalterne de princesse, à laquelle rien, dans son tempérament, ne la disposait".
"La presse a essayé de me faire passer pour une horrible méchante"
"Avez-vous conscience qu'au moment où nous parlons, vous plongez votre regard dans les yeux les plus beaux d'Angleterre?", demandera-t-elle, un soir de bal, à l'un de ses cavaliers. Souvent brocardée dans les médias, prompts à dresser d’elle le portrait peu flatteur d’une femme hautaine et snob, quand ce n’était pas celui d’une fêtarde aux fréquentations discutables, Margaret avait souffert très tôt de comparaisons défavorables avec son aînée. "Quand ma sœur et moi étions encore enfants, on la présentait toujours comme irréprochable, racontait-elle. C’était d’un ennui terrible, donc la presse a essayé de me faire passer pour une horrible méchante."
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À intervalles réguliers, certains journaux, ainsi qu'une partie de la classe politique, la prennent pour cible faute de pouvoir critiquer ouvertement Élisabeth II et l'institution monarchique. "Lorsqu'on parlait de moi dans les médias, poursuit-elle, je recevais beaucoup de lettres. Celles qui m’accusaient de choses que je n’avais pas faites étaient le plus souvent anonymes. Cela m’affectait énormément." Ses envies de liberté s’affirment parfois dans un excès d'irrévérence, des rébellions dérisoires –on la verra un jour jeter une serviette à la figure de la souveraine lors d’un pique-nique à Balmoral–, et des défis sans issue.

La princesse boude des réceptions données par sa sœur, il arrive qu’elle annule à la dernière minute et sans raison valable un engagement officiel prévu de longue date. "Elle pouvait se révéler la gentillesse, la générosité et la serviabilité mêmes, remplir merveilleusement toutes ses obligations, comme elle pouvait aussi se montrer blessante et compliquée, témoigne l'une de ses proches. Elle avait… comme deux visages. Sans doute parce qu’elle n’a pas eu une vie très heureuse."
Sa conduite paraît de temps en temps incompréhensible, voire exaspérante à Élisabeth II. Mais la reine ne cessera jamais de se sentir responsable, consciente des sacrifices consentis par sa cadette par loyauté vis-à-vis d’elle. "Dans notre famille, nous ne nous déchirons pas, nous ne coupons pas les ponts, faisait remarquer Margaret à la fin des années 1970. Nous avons une bonne grosse dispute, et puis cela s'arrête là. Ma sœur et moi, nous ne nous sommes disputées que deux fois."
Son mal-être se muera, avec l'âge, en solitude
"Beaucoup trop intelligente", disaient ses amis, pour se satisfaire de ces engagements officiels où l'on doit se contenter de sourire et de recevoir avec grâce un bouquet, Margaret vivait douloureusement le fait de se voir reléguée aux arrière-plans du grand théâtre de la monarchie. Ses relations avec Queen Mum en ont longtemps pâti. "J’ai passé plusieurs week-ends avec elles, il y avait souvent de la tension, des frictions, confiait un jour un membre de sa famille. Margaret est devenue plus difficile à vivre avec les années, elle critiquait souvent sa mère, ce qui n’arrangeait rien. Même si au fond, elles s’aimaient profondément."

À la fin de sa vie, la princesse paraissait vouloir se condamner à une forme de solitude que ni sa famille ni ses amis, pourtant très présents, ne parvenaient à soulager. Son entourage espère aujourd'hui que jamais ne s'éteindra le souvenir de cette femme douée de tant de qualités, amie fidèle et sincère, profondément croyante, drôle et tendre, toujours là pour les autres dans les moments difficiles.
Restée jusqu'au bout fille de roi et sœur d'une souveraine de légende pour laquelle elle n'a jamais cessé d’affirmer publiquement son admiration. "À ma manière, humblement, j’ai toujours essayé de la soulager d’une partie du fardeau qui pèse sur ses épaules, disait-elle [...] Je trouve qu’elle a une aura. Il y a en elle quelque chose qui m’impressionne énormément."
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