Nous avons rendez-vous avec la princesse Anne, par une belle matinée ensoleillée, dans sa propriété de Gatcombe Park, à deux heures et demie de voiture de Londres. C’est ici, sur ces 200 hectares de nature d’une rare beauté, dans une ferme entourée de troupeaux au cœur du comté de Gloucestershire, que réside la fille de la reine Élisabeth II et du duc d’Édimbourg. Un domaine privé où elle se protège de la curiosité du monde. Et où elle mène une vie d’agricultrice –la vie qu’elle préfère entre toutes.
Avec plus de 500 engagements officiels par an, et les quelque 350 organisations caritatives et régiments dont elle s’occupe, la princesse royale est sans aucun doute l’un des membres les plus actifs de la famille régnante. À un âge où tant d’autres ont déjà fait le choix de prendre leur retraite, elle ne paraît pas avoir l’intention de ralentir le rythme.
Souvent décrite dans les médias comme inflexible et pétrie de bon sens –des traits de caractère qu’elle aurait hérités de son père, le prince Philip–, la princesse Anne est aussi chaleureuse, pleine de vie et d’humour. En raison de la crise sanitaire, notre entretien se déroule par vidéo. Elle se présente à nous dans sa tenue de tous les jours, pantalon de toile sur chemise en jean, et les cheveux ramassés en un chignon bouffant (le même qu’elle arbore depuis plusieurs dizaines d’années).
L'amour des chevaux, une passion de mère en fille
Depuis le début de la pandémie, la fille de la reine Élisabeth s’est retirée à Gatcombe Park en compagnie de son époux, le vice-amiral Sir Timothy Laurence. "Je ne vais plus nulle part depuis trois mois. À bien des égards, cela s’est révélé une joie. Car cet endroit vous manque dès que vous le quittez, particulièrement au printemps au moment de l’éclosion des jacinthes des bois. Il est absolument magnifique. Je l’ai parcouru à cheval de long en large..."
Comme sa mère, la princesse Anne continue de monter tous les jours. "Cela fait bouger; c’est une forme d’exercice physique qui me convient. J’entends dire que les gens ne devraient pas faire de cheval, mais franchement si vous avez fait ça toute votre vie et que vous connaissez bien vos animaux…" Les chevaux font partie intégrante de sa vie depuis qu’elle est enfant. La princesse a été le premier membre de la famille royale à concourir aux jeux Olympiques.
LIRE AUSSI >> Anne, la princesse qui n’aimait pas les contes de fées
Sa fille, Zara, a repris le flambeau: en 2012, aux JO de Londres, elle lui a d’ailleurs remis en personne la médaille d’argent du concours complet par équipes. Ses petites-filles –les filles de Zara, Mia, 6 ans, et Lena, 2 ans, et celles de son fils aîné, Peter, Savannah, 9 ans, et Isla, 8 ans– font toutes du cheval elles aussi et vivent non loin de chez elle, à Aston Farm. Accompagnent-elles leur grand-mère dans ses balades quotidiennes? "Elles viennent de temps en temps, confie la princesse Anne. Cela les change de paysage."

Zara et Peter ont grandi à Gatcombe Park. "Voir grandir ses enfants dans une ferme est une chance. Ils ont plus de temps pour eux; on s’attend à ce qu’ils soient toujours dehors, on n’est pas là à avoir tout le temps l’œil sur eux. Cela leur permet aussi de comprendre que lorsque vous avez des animaux et du bétail, vous devez en prendre soin. Les poneys, les chiens… Cela fait partie du pacte, s’ils en veulent un, ils doivent s’en occuper. À vous de faire en sorte que le message soit bien compris: pour garder un lieu comme celui-ci, il faut travailler dur." Envisage-t-elle de leur léguer le domaine un jour? "La partie exploitation ne présente pas de difficultés. La maison poserait davantage de problèmes. C’est une vieille bâtisse, l’entretenir coûte cher."
Si leur statut [en tant que petits-enfants de la souveraine] a sans doute donné quelques privilèges à Peter et Zara, ceux-ci ont toujours su qu’ils devraient gagner leur vie par eux-mêmes. La princesse Anne a en effet refusé qu’ils portent des titres. "À l’époque de leur venue au monde, déjà, il n’était pas difficile de se rendre compte qu’il s’agissait d’un atout très relatif." Bien qu’elle ne soit pas le genre de mère à se répandre en compliments sur sa progéniture, elle reconnaît être fière de la manière dont ils ont avancé dans la vie. "Je n’ai aucune plainte à formuler, plaisante-t-elle. Ils se sont très bien débrouillés."
"Il n’a jamais été question en ce qui me concerne de vivre à Londres"
Née le 15 août 1950 à Clarence House –aujourd’hui la résidence de son frère aîné, le prince Charles–, à Londres, la princesse garde une base au palais de St James, tout proche, mais ne s’est vraiment toujours sentie chez elle qu’à la campagne. "Je n’ai jamais été une fille de la ville. Londres, c’était l’école. Nous passions les week-ends au château de Windsor, où se trouve une ferme, une ferme laitière, principalement, mais où il y avait aussi des cochons et des poules. De ce point de vue, mon expérience a toujours été celle d’une vie à la ferme. J’ai monté à cheval très tôt, ce qui m’a permis d’y passer beaucoup de temps et d’en connaître tous les aspects. Les gens qui étaient là ont eu la bonté de prendre le temps de m’expliquer ce qu’ils faisaient. Le plaisir de la découverte, de ramasser les œufs, d’aller voir les porcelets, tout cela faisait partie de mes passe-temps. Il n’a jamais été question en ce qui me concerne de vivre à Londres. Ce n’est simplement pas un monde pour moi."

La princesse royale a épousé son premier mari, le capitaine Mark Phillips, un cavalier olympique lui aussi, en 1973. Très vite, le couple s’est mis en quête d’une résidence à la campagne. "Et nous en avons visité beaucoup", confie Anne. La reine Élisabeth a fini par acquérir Gatcombe Park, son manoir et ses centaines d’hectares de terres, pour l’offrir au couple. La princesse n’avait jamais pensé travailler dans une exploitation agricole. "Je n’avais pas l’intention de devenir agricultrice. Il y avait beaucoup plus de terres que ce que nous avions l’intention d’acheter au départ. Je pensais vivre à la campagne, apprendre à gérer des herbages, principalement avec des chevaux… et quelques animaux pour aider à défricher."
Voilà pourtant près de cinquante ans qu’elle exerce ce métier, dont elle partage la passion avec son second époux, le vice-amiral Tim Laurence, depuis vingt-sept ans. Ensemble, ils ont développé une entreprise à la réussite impressionnante. "Nous élevons des espèces rares de bétail, des moutons, des cochons, des chevaux", poursuit-elle. Il y a peu, un cochon sauvage s’est introduit dans la ferme. "Il est venu, il a tué mon cochon, ce que j’ai trouvé très ennuyeux, et bien qu’il ait apparemment manifesté de l’intérêt pour mes truies, il n’a rien laissé en partant. J’ai donc perdu sur tous les tableaux!" C’est ce genre d’histoire, "cent pour cent princesse Anne", qui la rend si populaire auprès des populations rurales qu’elle rencontre, et ce dans le monde entier.
Ses idées sur l'agriculture tranchent avec celles du prince Charles
En matière d’agriculture, ses idées sont très différentes de celles du prince Charles, dont la ferme biologique de Highgrove se situe, elle aussi, non loin de Gatcombe Park. Frère et sœur sont en désaccord sur de nombreux sujets, au nombre desquels les semences génétiquement modifiées, que soutient la princesse. "En bien des endroits du monde, l’utilisation raisonnable des OGM dans certains environnements bien spécifiques a eu d’énormes avantages. Elle augmente les chances de pouvoir cultiver ce dont vous avez besoin. Je dois souvent rappeler aux gens que l’huile de colza n’est plus toxique pour l’homme depuis que les Canadiens ont modifié génétiquement la plante, après la Seconde Guerre mondiale. L’ironie, c’est qu’elle est aujourd’hui très populaire auprès de ceux qui n’aiment pas les OGM."
Lui arrive-t-il d’avoir des conversations avec le prince Charles sur l’agriculture? "Oui, de temps en temps, reconnaît-elle. Mais elles sont assez courtes."

La princesse a découvert les vastes exploitations agricoles australiennes et néo-zélandaises à l’occasion de son premier grand déplacement officiel à l’étranger, en 1970. Elle avait alors 19 ans. "C’était l’un des premiers grands voyages que j’effectuais avec la reine et le duc, se souvient-elle. Il faisait chaud. Le rythme était très soutenu, l’exercice très exigeant. Les bains de foule commençaient alors à peine. Un jour, je crois que c’était à Melbourne, une femme m’a dit: 'Nous nous sommes déjà rencontrées.' J’ai pensé: 'Cela m’étonnerait, je viens tout juste d’arriver en Australie.' Elle était maltaise, et a ajouté: 'J’étais employée dans l’hôtel où vous résidiez, à Malte, avant que la reine vous rejoigne.' J’avais alors 3 ans! Ce jour-là, j’ai pris une leçon, très importante: nous vivons dans un tout petit monde."
À l’époque, la princesse était irritée par le sexisme en vigueur dans les occasions officielles. "La reine est la reine, la relation est bien sûr complètement différente. Mais j’avais l’impression qu’il y avait les femmes d’un côté de la pièce et les hommes de l’autre. Cela ne m’allait pas du tout. Je suis donc allée embêter ces messieurs. Pour être honnête, je crois qu’ils étaient heureux de voir que je m’intéressais à l’élevage et à la terre. Ils étaient finalement assez contents de discuter."
LIRE AUSSI >> La princesse Anne, une place si particulière chez les Windsor
La fille de la souveraine...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.