Dans les coulisses de l'annulation de la visite d'État de Charles III à Paris

Après avoir tout fait pour le maintenir, l’Élysée et le palais de Buckingham ont préféré, au vu du climat social français extrêmement tendu, reporter la première visite d’État du roi Charles, programmée initialement du 26 au 29 mars 2023.

Par Pauline Sommelet - 28 mars 2023, 14h21

 Charles III, la reine Camilla et Emmanuel Macron en visite à Londres en 2020
Charles III, la reine Camilla et Emmanuel Macron en visite à Londres en 2020 © Brady Jonathan/PA Wire/ABACA

Le communiqué est tombé en fin de matinée, vendredi 24 mars 2023. "Compte tenu de l’annonce, hier, d’une nouvelle journée d’action nationale contre la réforme des retraites le 28 mars, la visite du roi Charles III, initialement prévue du 26 au 29 mars dans notre pays, sera reportée", annonce sobrement le service de presse de la présidence. Il précise également que cette décision a été prise d’un commun accord entre les deux gouvernements après un échange téléphonique entre Emmanuel Macron et le roi Charles III, afin de pouvoir l’accueillir ultérieurement "dans des conditions qui correspondent à notre relation d’amitié."

Charles III, Camilla et Emmanuel Macro à Londres, 2020.
Après une journée de mobilisation particulièrement suivie le jeudi 23 mars et l’annonce d’un autre appel à la grève pour le mardi 28, Emmanuel Macron – ci-dessus, à Londres, avec Charles et Camilla, alors prince de Galles et duchesse de Cornouailles, en 2020 – a préféré reporter la visite du couple royal. ©  Brady Jonathan/PA Wire/ABACA

Après une nouvelle flambée de violence consécutive à la journée de mobilisation organisée partout en France le 23 mars, les services gouvernementaux ont préféré jeter l’éponge et ne pas mettre en péril le bon déroulement et la sécurité de la visite d’État du souverain britannique, dont il avait réservé la primeur à la France avant même son couronnement, le 6 mai prochain. 

Une visite royale à haut risque dans un climat social explosif

De la cérémonie sous l’Arc de triomphe avec descente des Champs-Élysées, sur fond de grève des éboueurs et de monceaux d’ordures carbonisés dans les rues de la capitale, au déplacement à Bordeaux où la porte de la mairie a été incendiée et où les représentants syndicaux avaient d’ores et déjà annoncé leur intention de bloquer le transport en tramway des souverains britanniques, la moindre étape de cette visite de trois jours avait pris des allures de chausse-trape. Sans compter le dîner d’État à Versailles, déjà vilipendé par plusieurs voix de l’opposition comme le symbole ultime d’une monarchie présidentielle incapable de prendre la mesure de la colère populaire. 

Avec des temps forts comme l’inauguration de l’exposition Manet/Degas au musée d’Orsay par Brigitte Macron et la reine Camilla, une visite du centre des métiers d’art de Chanel, le 19M, ou la découverte du vignoble Château Smith Haut Lafitte en pleine conversion à la viticulture biologique, le programme était pourtant conçu à la fois pour valoriser l’excellence des savoir-faire français et souligner le lien fort et affectif des monarques anglais avec la France. Il en allait de même du dîner d’État, organisé à Versailles d’abord en raison de l’indisponibilité temporaire des cuisines de l’Élysée, en travaux, mais aussi pour rendre hommage au banquet offert à Élisabeth II en 1957 dans la galerie des Glaces. Une référence historique et diplomatique incapable de résister, alors que la contestation sociale est à son comble, à l’imaginaire révolutionnaire indissociable du palais de Louis XIV. 

La reine Élisabeth II lors d'un déjeuner dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 10 avril 1957. À gauche, André le Troquer, président de l'Assemblée nationale, et à droite, le président français René Coty.
Le dîner d’État sera annulé. Il avait normalement lieu dans la galerie des Glaces, théâtre de plusieurs réceptions officielles en l’honneur d’Élisabeth II, comme ce déjeuner offert par René Coty à la souveraine et au duc d’Édimbourg le 10 avril 1957. © PA Photos/ABACAPRESS.COM

Dès le 23 mars, le Mobilier national annonce que ses services ne livreront pas les pavoisements et tapis rouge nécessaires à l’accueil d’apparat prévu pour les visites officielles. Plus inquiétante, une note des services de renseignements recense des risques élevés de manifestation dans la préfecture des Yvelines, notamment "un message Telegram indiquant qu’une grande manifestation se prépare le 27 mars à Versailles. Macron y recevra le roi Charles lors d’un dîner royal dans la galerie des Glaces." "Les manifestants appellent à lui gâcher son moment princier", poursuit la note, notamment par des "coupures d’électricité", avant de conclure : "La visite d’État du roi Charles III et de la reine consort intervient dans un contexte social particulièrement dégradé sur le territoire national, lié notamment à la contestation au projet de la réforme des retraites. Les organisations syndicales, les mouvances contestataires ou encore la mouvance écologiste radicale comptent profiter du caractère médiatique de cette visite afin d’exprimer leur opposition face à la politique gouvernementale." 

Charles et Camilla en France au mois de juin ? 

Autant de signaux alarmants qui ont conduit la France à proposer un report accepté par Downing Street, même si ce dernier a tenu à préciser qu’il n’était pas à l’origine de ce renoncement. Lui-même en butte à quelques jets d’œufs et à plusieurs manifestations antimonarchistes au cours de ces dernières semaines, Charles III n’est pas de nature à s’affoler facilement. Au cours de sa longue carrière en tant que prince de Galles, il a déjà connu des déplacements mouvementés comme le raconte Philip Kyle dans la biographie sortie à l’automne dernier aux éditions Perrin. 

La princesse Élisabeth et Philip visitent le bosquet de la salle de bal, dans les jardins du château de Versailles en 1948.
A LIRE AUSSIVersailles et les souverains britanniques, une histoire toujours plus forte

En 1981, lors d’un voyage aux États-Unis, il est pourchassé à chacune de ses apparitions par des manifestants s’opposant à la position britannique sur la question nord-irlandaise, ces derniers n’hésitant pas à l’injurier en pleine représentation de La Belle au bois dormant au Metropolitan Opera. Reste que le climat social britannique est lui aussi sous tension et que l’image d’un couple royal éclaboussé par la contestation du pouvoir français n’était pas une perspective souhaitable pour le nouveau souverain. 

Si l’annonce du report a été saluée avec soulagement par la plupart des commentateurs, les conséquences en termes d’image internationale pour la France et le président de la République restent sérieuses, une telle annulation n’ayant pas d’antécédent comparable dans la longue histoire des visites d’État dont la tradition remonte à la fin du XIXe siècle. 

Certes, en mars 1999, le président iranien Mohammad Khatami avait préféré repousser sine die son voyage en France face au refus de l’Élysée de céder à son exigence de ne pas servir de vin lors du dîner d’État. Et en 2015, le roi Felipe VI et la reine Letizia d’Espagne avaient quitté Paris à peine arrivés pour se rendre auprès des victimes du crash de la Germanwings qui venait de causer la mort de 45 ressortissants espagnols. Mais dans ces deux cas, le contexte était tout autre. 

Le roi Felipe IV, la reine Letizia, Emmanuel et Brigitte Macron à Madrid, en 2022.
En 2015, le roi Felipe VI et la reine Letizia d’Espagne avaient dû interrompre leur visite d’État, à peine arrivés à l’Élysée. © Pool/Despotovic

Lors de la conférence de presse du sommet européen auquel il assistait à Bruxelles dans la journée du 24 mars, Emmanuel Macron s’est néanmoins montré optimiste, évoquant une "décision de bon sens et d’amitié" et donnant rendez-vous à Charles et Camilla au début de l’été. Il a également annoncé qu’il se rendrait à l’invitation de Charles III pour son couronnement. Quant au roi et à la reine, ils ont indiqué avec un flegme tout britannique "se réjouir de venir en France dès qu’une nouvelle date aura pu être trouvée". Avec un souverain désormais couronné, pour ce qui sera sa 35e visite sur le sol français.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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