Une cérémonie unique pour une personne unique, avait annoncé Buckingham. L’adieu à Diana ce samedi 6 septembre 1997, sous le doux soleil de Londres, a cristallisé et magnifié l’émotion immense provoquée par sa tragique disparition. "La mort transforme la vie en destin", disait Jean Paul Sartre. Celui de Diana se décline aux couleurs de l’été.
Née le 1er juillet 1961, princesse de Galles le 28 juillet 1981, maman du futur roi d’Angleterre le 21 juin 1982, la jeune femme n’assistera pas cette année au treizième anniversaire de son petit Harry, le 15 septembre. Le cycle s’achève sous les yeux de deux milliards et demi de personnes dans le monde et sous les larmes de millions de Britanniques. Jamais obsèques n’auront été aussi intimement fidèles à la personnalité de l’être regretté.
À l’image de ce catafalque, recouvert de l’Etendard royal, le drapeau des Windsor, progressant seul, de Kensington Palace, la résidence de Diana, à Saint James, celle du prince de Galles. Seule et souveraine dans le cœur des gens. Sur l’insistance de Charles, ce parcours, non prévu initialement, avait été ajouté pour offrir à chacun l’occasion de se recueillir.
Tous ceux pour lesquels elle a donné son énergie lui témoignent leur éternelle gratitude
Mais qu’attendent-ils, ces admirateurs qui ne veulent pas croire à la fin de leur histoire passionnée avec la princesse et qui lancent des fleurs sur son passage? Simples et fraîches comme ces lys blancs, ses fleurs préférées, et plus encore peut-être ces roses fragiles sur lesquelles ses fils ont juste inscrit "Mummy".
Singulièrement royale: son cercueil est porté comme celui d’un autre sacrifié, le duc de Windsor en 1972 par le premier bataillon de la compagnie Prince de Galles. Ce régiment est commandé par le capitaine Richard Williams, un héros national, décoré de la croix militaire pour avoir sauvé une centaine de civils cambodgiens de la folie meurtrière des Khmers rouges.
Un détail qui n’aurait pas laissé Diana indifférente. Et si sa dépouille repose sur un affût de canon, chacun s’est souvenu de son engagement en faveur de la paix et de son aversion des armes: aucune musique militaire ne vient la déranger.
La "princesse du peuple", selon l’expression du Premier ministre Tony Blair, est escortée par un étrange bataillon de laissés-pour-compte. Tous ceux pour lesquels elle a donné son énergie et sa force lui témoignent leur éternelle gratitude. Cent six associations, de la Croix-Rouge aux sans-abris, en passant par les malades du sida, sont ainsi représentées. Loin, très loin de l’establishment. "Je suis plus proche des gens d’en bas que des gens d’en haut", répétait la princesse. Ils ne l’oublieront jamais.
Réconciliés dans la douleur, les Windsor sont unis dans le deuil
Diana, qui avait tant bousculé le protocole glacé de la millénaire monarchie britannique au cours de sa vie trop brève, brise une fois encore le carcan des traditions ce jour-là. Sous la pression populaire, le sacro-saint Étendard royal qui flotte sur Buckingham fait place à celui de l’Union Jack en berne. Un événement qui traduit symboliquement l’effacement de la royauté devant la nation auquel elle avait tant œuvré à sa manière.
La princesse, qui avait dû lutter seule contre l’hostilité des Windsor, pourrait mesurer le chemin parcouru, lorsque la reine s’incline respectueusement devant les grilles de Buckingham, à l’arrivée du cortège. Au côté d’Andrew, Sarah, qui serre tendrement ses filles dans ses bras, sait assez ce que ce geste signifie. Réconciliés dans la douleur, les Windsor, à l’exemple de leur peuple, montrent au monde qu’ils sont unis dans le deuil.
Même le duc d’Edimbourg, pourtant peu enclin aux sentiments, fait spontanément quelques pas en direction de la foule. Et un pas de géant pour accompagner son fils Charles, ses petits-enfants et le frère de Diana, le comte Spencer, derrière le catafalque. Image bouleversante que celle de ces trois générations d’hommes marchant dignement, sous les yeux de la foule. "Votre mère vivra toujours à travers votre regard", avait la veille lancé une femme à l’intention de William.
Difficile à dix et douze ans d’assumer la plus odieuse des injustices
C’est vrai qu’il lui ressemble, cet adolescent de quinze ans, accablé de peine, la tête résolument baissée et qui s’acquitte de son chemin de croix sans faillir. "C’est ce que maman aurait souhaité", avait-il confié à son père. Sent-il déjà qu’il porte en lui tous les espoirs suscités par sa mère?
Lourd héritage d’un futur roi, fils aîné d’une légende. Un geste fugace esquissé dans la pénombre par son grand-père, le prince Philip, sous la voûte de la caserne des Horse Guards, l’encourage. Harry, touchant Poil de carotte, au visage buté et aux poings fermés, s’acharne à tenir son rôle dans cette cérémonie trop grande pour lui.
Difficile à douze ans d’assumer la plus odieuse des injustices, la perte d’une mère adorée. Assailli de souvenirs qu’il faut à tout prix protéger du temps, de la fuite de l’enfance, Harry avance, comme s’il voulait repousser la fatalité. Mais le glas de Westminster le rappelle à cette triste journée. Ce monument à la dentelle gothique dont Diana, l’instinctive, se méfiait.
À Westminster, mille neuf cents personnes l’attendent pour un ultime hommage
Dans cette abbaye qui a couronné tant de rois depuis le XIe siècle, elle n’avait pas voulu célébrer son mariage avec Charles. Car ses parents qui s’y étaient mariés s’étaient séparés, lorsqu’elle n’avait que six ans. C’est ici pourtant que ses amis l’attendent pour un ultime hommage. Mille neuf cents personnes qui toutes avaient "un lien privilégié" avec la princesse et dessinent par leur seule présence la silhouette d’une jeune femme moderne, amoureuse de la vie.
Luciano Pavarotti, très ébranlé, s’appuie sur Nicoletta, sa compagne. "Cela m’a plongé dans une telle détresse que je n’ai même pas la force de me rendre aux funérailles. Je pleure chaque jour", avait-il déclaré depuis sa résidence de Modène. Il est venu, le ténor auquel on avait demandé de chanter. Mais il n’a pas la force d’entamer le Requiem de Verdi, "Délivre moi, ô Seigneur, de la mort éternelle", l’un des airs favoris de Diana.
Il sera remplacé par la soprano Lynne Dowson. Si elle appréciait l’art lyrique, la jeune femme, miroir de sa génération, aimait aussi la pop music. Les stars s’en souviennent, George Michael, Sting, et Elton John. Tout comme Hollywood dont elle avait croisé si souvent les strass: Tom Cruise, Tom Hanks, Spielberg, sir Richard Attenborough qui n’aurait jamais imaginé dans ses films une héroïne plus romanesque. Ambassadrice de la mode, Diana est aussi célébrée par ses couturiers: Karl Lagerfeld, John Galliano et Catherine Walker.
Pendant la cérémonie retentit un solennel God Save the Quenn pour celle qui ne le sera jamais
Et parce que la sincérité doit inspirer ces obsèques, les têtes couronnées n’ont pas été conviées, si ce n’est la reine Noor de Jordanie, une amie proche, l’infante Pilar d’Espagne et la princesse Margriet des Pays-Bas. Hillary Clinton, Bernadette Chirac et Suzanne Moubarak témoignent assez cependant de l’ambiguïté de cet événement, à mi-chemin entre les funérailles d’Etat et la cérémonie privée, tandis que retentit un solennel God Save the Quenn pour celle qui ne le sera jamais.
Comme le dit si justement le révérend Wesley Carr, "Diana intriguait". Et malgré l’hommage planétaire, le mystère reste entier. Sans doute parce que, "pour ceux qui aiment, le temps est éternité", rappelle sa sœur, lady Jane Fellowes, à laquelle répond en écho Tony Blair à travers le premier épître de Paul aux Corinthiens: "Si je n’ai pas la charité et l’amour, je ne suis rien."
Des frissons parcourent Londres silencieuse quand résonnent les notes du piano d’Elton John tel un hymne parfait à la princesse. Adieu, rose d’Angleterre plonge le public dans une mélancolie douce-amère. Mais Charles Spencer, encore rongé par la colère, secoue brutalement l’atmosphère apaisante de l’abbaye.
Il n’a pas pardonné, lui, le petit frère chéri que Diana consolait lorsqu’il était enfant. "Elle n’avait pas besoin de titre royal pour être ce qu’elle était", lance-t-il avant de l’évoquer avec fougue. "Une personnalité complexe, sensible, belle, pleine d’humour et de joie de vivre dont le monde a perçu les faiblesses" et qu’il serait vain de "vouloir sanctifier", au risque de la figer.
Diana rejoint enfin sa dernière demeure
Non, Diana n’est pas une icône, juste une femme unique dont "le cœur était très éloigné de la morale commune". Une princesse meurtrie qui songeait même "à quitter son pays" et qui lui appartient à jamais. Après une minute de silence, Diana entame...
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