Comment avez-vous décidé d’écrire ce livre et de raconter vos souvenirs ?
Le déclic est venu quand est sortie une horrible biographie de la princesse Margaret. J’ai décidé de rétablir la vérité auprès du public et de raconter quelle amie merveilleuse elle avait été pour moi. Récemment, Helena Bonham Carter, l’actrice de The Crown – vous avez vu The Crown, n’est-ce pas ? –, est venue me rendre visite parce qu’elle voulait savoir tout un tas de choses sur la princesse Margaret : comment elle fumait, comment elle marchait, etc. Pendant que nous étions en train de parler, j’ai soudain eu l’impression que la princesse était là.
En 1971, vous êtes devenue la dame d’honneur de la princesse Margaret. Comment résumeriez-vous cette mission ?
Nous avions des tâches spécifiques : écrire des lettres, jouer les intermédiaires notamment en préparant les voyages. Si elle se rendait quelque part en représentation, je devais repérer les lieux et m’assurer qu’on lui propose des choses à manger ou à boire qu’elle apprécie. Mon travail consistait à aplanir toutes les difficultés qui pouvaient surgir afin que ses déplacements soient toujours un succès.

Pour la princesse Margaret, vous étiez d’abord une amie d’enfance?
J’ai grandi à Holkham Hall, dans le nord du comté de Norfolk. Sandringham, l’une des résidences royales, est seulement à une quinzaine de kilomètres. Quand j’étais petite, mes parents étaient très proches du duc et de la duchesse d’York, les futurs George VI et reine mère Elizabeth – mon père, le comte de Leicester, était même le grand écuyer du futur monarque. Leurs filles, les jeunes princesses, Élisabeth et Margaret, venaient très souvent chez nous. J’étais plus proche en âge de Margaret et nous sommes très vite devenues amies. Elle était espiègle, voire chipie, mais dotée d’un charme irrésistible. Sa sœur aînée, la future Élisabeth II, était plus raisonnable. "Margaret, il ne faut pas faire cela !", disait-elle quand elle nous surprenait en train d’arpenter en tricycle les immenses couloirs d’Holkham Hall. Ce qui, évidemment, nous donnait envie de recommencer de plus belle. Quand la guerre a éclaté, je suis partie en Écosse avec ma sœur. Nous avons alors cessé de les voir, mais nous les écoutions lorsqu’elles s’adressaient aux enfants d’Angleterre au cours d’émissions radiodiffusées. Nous étions très fières qu’elles soient restées au pays, car beaucoup d’enfants anglais étaient alors envoyés aux États-Unis. Mais la reine Elizabeth n’a voulu se séparer ni du roi, ni de ses enfants.

Près de quatre-vingts ans plus tard, on retrouve le même courage dans l’attitude de la souveraine tout au long de cette année de pandémie, notamment lors de ses discours télévisés…
Nous sommes tellement chanceux d’avoir la reine. Quand elle nous a parlé de la pandémie, elle a mentionné un chant très célèbre justement durant la guerre, qui disait simplement : "Nous nous retrouverons, demain sera un jour meilleur." Rien que de l’entendre dire cela, nous nous sentions déjà mieux.
À quel moment de votre enfance avez-vous pris conscience que ces jeunes amies étaient des princesses ?
Nous étions invités chaque année à Buckingham pour la soirée de Noël organisée pour les familles des membres de la Cour. Je vois encore la reine Mary, très impressionnante et couverte de bijoux, me conseiller de ne pas me fier à l’apparence d’un paquet-cadeau alors que ma sœur s’était précipitée sur un énorme ours en peluche. Je me suis rabattue sur une petite boîte qui renfermait un collier de perles et de corail que je possède toujours. Les choses ont changé quand Édouard VIII a abdiqué et que nous avons réalisé qu’Élisabeth serait reine un jour.
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À l’occasion de son couronnement, en 1953, vous devez rentrer précipitamment des États-Unis, car vous avez été choisie comme demoiselle d’honneur…
J’ai eu le grand privilège d’aider à porter la traîne de sa robe de couronnement et de vivre aux premières loges ce jour historique. Alors que nous étions déjà rentrées à Buckingham et que la reine entamait sa longue procession à travers la ville, j’ai trouvé la princesse Margaret terriblement mélancolique. Elle est toujours restée loyale envers la reine, elles se sont appelées tous les jours jusqu’à la fin de leur vie, mais à partir du moment où Élisabeth est devenue reine, elle était tellement sollicitée que Margaret s’est sentie dépossédée.

Elle le vivait mal ?
D’une certaine manière, oui. C’est à ce moment-là qu’elle n’a pas été autorisée à épouser Peter Townsend, car il était divorcé et avait des enfants. En réalité, elle-même avait décidé de ne pas le faire. Des années plus tard, je lui ai demandé pourquoi elle s’était imposé ce sacrifice. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait pas gêner sa sœur, qui est la chef de l’Église anglicane. Et à l’époque, on ne pouvait même pas être reçu à Buckingham quand on était divorcé.
Le personnage de Margaret reste marqué par cette histoire triste, puis par son mariage malheureux avec lord Snowdon, mais vous décrivez aussi quelqu’un de drôle…
Nous avons tellement ri ! Quand nous partions en voyage au Canada, en Australie et partout à travers le monde, nous tentions de garder notre sérieux durant la journée mais le soir nous relâchions la pression pour rire de ce qui nous était arrivé. J’ai plus ri avec elle plus qu’avec quiconque.

En 1960, votre mari, Colin Tennant, décide d’investir dans l’île Moustique, un confetti perdu dans les Caraïbes…
Quand Colin a racheté Moustique, je l’ai d’abord pris pour un fou. C’était un cauchemar d’arriver dans cet endroit encore très sauvage, qui n’a pas été baptisé Moustique par hasard! Les plages étaient sublimes, mais il n’y avait rien à boire, très peu à manger. Après plusieurs années de travaux, l’endroit est devenu plus hospitalier, mais encore assez rude. Quand la princesse Margaret m’a demandé si elle pouvait nous y rejoindre, je lui ai répondu : "Madame, vous êtes bien sûr la bienvenue mais nous vivons pour le moment dans un préfabriqué sans électricité" ! Cela ne l’a pas découragée. Un soir, lors de l’un de ses premiers séjours, je venais de lui souhaiter bonne nuit quand elle m’a rappelée : "Anne, Anne, venez voir ! Il y a des souris qui volent !" Certaines bestioles passaient leur temps à prendre d’assaut les moustiquaires. Très vite, nous avons senti qu’elle y était heureuse. Son mariage avec lord Snowdon commençait à battre de l’aile et je crois qu’elle trouvait avec nous une forme de liberté et de paix qu’elle n’avait pas ailleurs. C’est comme cela que nous avons décidé de lui offrir une parcelle de terrain pour qu’elle puisse avoir sa propre villa, Les Jolies Eaux. Aujourd’hui, le prince William et sa famille apprécient à leur tour la tranquillité de ce lieu paradisiaque auquel les photographes n’ont...
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