6 février 1952 : le jour où Élisabeth II est devenue reine

C’est un retour à la tradition d’avant la pandémie. Sa Très Gracieuse Majesté est à Sandringham pour y passer le 6 février, date anniversaire de la mort de son père et de son accession au trône. À l’heure de son jubilé de platine, à quoi peut-elle songer sinon à ce jour où son défunt époux lui a appris qu’elle était reine ? C’était, il y a soixante-dix ans, au bord de la rivière Sagana, au Kenya…

Par Antoine Michelland - 06 février 2022, 06h08

 La princesse héritière Élisabeth au côté du gouverneur du Kenya, Sir Philip Mitchell, lors d'une garden-party à Government House à Nairobi, le 2 février 1952.
La princesse héritière Élisabeth au côté du gouverneur du Kenya, Sir Philip Mitchell, lors d'une garden-party à Government House à Nairobi, le 2 février 1952. © Bristol Archives/Universal Images Group via Getty Images

Ce jour-là, elle déborde littéralement de joie de vivre. La princesse Élisabeth n’a pourtant pas beaucoup dormi. Avec Philip, elle a passé la nuit précédente sur la plate-forme d’un petit hôtel perché en haut d’un figuier géant, le Treetops, à observer le ballet incessant des animaux attirés par une pierre à sel et une grande mare illuminée, à filmer avec sa caméra Super 8, antilopes, singes ou rhinocéros. Au début de l’affût, le 5 février 1952, à l’heure où le soleil se couchait sur le parc national d’Aberdare, situé sur les contreforts du mont Kenya, les éléphants étaient roses à force de s’être roulés dans la poussière ocre.

Au matin du 6 février, à peine rentrée à Sagana Lodge, le bungalow qui lui a été offert en cadeau de mariage par le Kenya, la princesse n’a d’ailleurs rien de plus pressé que d’écrire à son père, George VI, pour lui conter par le menu le spectacle féerique dont elle ne se lasse pas de parler à ceux qui l’accompagnent. Elle l’ignore encore mais le roi est mort dans la nuit. Épuisé par les années de guerre et sa lutte contre le cancer du poumon.

George VI se savait malade mais pas mourant 

Personne, cependant, n’avait prévu une issue aussi rapide. Sinon, la tournée du Commonwealth dans laquelle viennent à peine de se lancer Élisabeth et Philip aurait été annulée. Le 31 janvier, George VI avait tenu à accompagner lui-même sa fille aînée et son gendre jusqu’à l’avion qui les emmène vers le Kenya, première étape d’un périple de six mois. Elle l’ignorait alors, mais c’était la dernière fois qu’elle le voyait. À Nairobi, l’accueil est enthousiaste et les activités officielles s’enchaînent. Visite de maternité, garden-party chez le gouverneur, réception à l’hôtel de ville… Le 3 février, le couple princier gagne Sagana Lodge pour la partie privée de son séjour kenyan. 

Sagana Lodge au Kenya en février 1952. Le lodge a été loué à la princesse Élisabeth et au duc d'Édimbourg comme cadeau de mariage en 1947.
Sagana Lodge au Kenya en février 1952. Le lodge a été loué à la princesse Élisabeth et au duc d'Édimbourg comme cadeau de mariage en 1947. © Bristol Archives/Universal Images Group via Getty Images

Le lieu est enchanteur et permet à la princesse héritière et à son époux de laisser libre cours à leur amour de la nature. Dans une note adressée au Quai d’Orsay, le consul général de France, André Beaudouin, souligne "la joie presque enfantine" de l’héritière de la Couronne qui songe même à quelques améliorations pour le jardin autour du bungalow. Les promenades à cheval succèdent aux excursions, comme celle qui emmène le couple princier au Treetops, le 5 février après-midi et dont ils ne rentrent que le 6 au matin. Après sa lettre au roi qui ne sera jamais postée, Élisabeth passe sa matinée à pêcher la truite dans la rivière Sagana. Bientôt la fin de la partie privée du voyage. Philip et elle sont attendus à Mombasa où ils doivent embarquer à bord du Gothic pour gagner l’Australie après une nouvelle série d’engagements officiels dans le grand port kenyan. 

Élisabeth, l’une des dernières personne à être prévenue

Au palais de Buckingham, un message codé a été envoyé au gouverneur général du Kenya, pour l’avertir de la mort de George VI. Mais sir Philip Mitchell est déjà parti à Mombasa pour accueillir le couple princier et personne ne prend connaissance de la dépêche. Élisabeth sera peut-être l’une des dernières au monde prévenue de la triste nouvelle qui va sceller son destin. C’est son secrétaire particulier qui est le premier membre de la délégation à être informé. Il est 13h30 et le major Martin Charteris termine son déjeuner à l’hôtel Outspan, à quelques kilomètres de Sagana Lodge. Soudain, il est appelé à la cabine téléphonique où l’attend un reporter de l’East African Standard. Le roi est mort, le journaliste l’a appris via une dépêche Reuters transmise à son bureau de Nairobi.

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Malgré sa stupeur, Martin Charteris conserve son calme et contacte aussitôt le capitaine de frégate Michael Parker, le secrétaire particulier du duc d’Édimbourg, à Sagana Lodge. "Il semble que le père du boss soit décédé, pouvez-vous trouver le moyen de le vérifier ? Avez-vous un poste de radio ?" Après s’être entretenue avec son habilleuse de ses projets pour la journée du lendemain, Élisabeth se trouve justement dans le salon pour continuer d’écrire son courrier. Mike Parker parvient tout de même à s’emparer discrètement du transistor qu’il va écouter plus loin et en sourdine. La musique funèbre que donne la BBC ne lui laisse guère de doute et, très vite, un bulletin d’information vient confirmer la mort du souverain.

Alors Parker rappelle Martin Charteris et prévient l’officier du Yard en charge de la protection du couple princier, désormais devenu le couple royal. 

C'est Philip qui annonce la mort de son père à son épouse

À pas de loup, il va ensuite réveiller le duc d’Édimbourg, assoupi dans le canapé où il s’était assis pour lire le journal. En apprenant la disparition de son beau-père, Philip réagit comme si le ciel lui tombait sur la tête, confiera plus tard Mike Parker. Il s’empare du quotidien resté sur ses genoux et s’en sert pour cacher quelques instants son visage. "Ce sera un choc terrible", l’entend murmurer son secrétaire particulier. Après avoir recueilli le plus d’informations possible, le duc d’Édimbourg entraîne son épouse vers le jardin, tandis qu’au bungalow le téléphone sonne maintenant sans arrêt. Ce n’est qu’une heure plus tard, de retour dans leur chambre, que Philip annonce à Élisabeth la mort de George VI. Il est 15h.

La princesse Élisabeth et le prince Philip sont accueillis à Sagana Lodge dans le comté de Nyeri au Kenya, le 5 février 1952.
La princesse Élisabeth et le prince Philip sont accueillis à Sagana Lodge dans le comté de Nyeri au Kenya, le 5 février 1952. © Hulton Archive/Getty Images

Elle est bouleversée mais, très vite, ses pensées vont à sa mère et à sa sœur Margaret. Elle voudrait leur téléphoner, écrire. Tendrement, le duc d’Édimbourg l’incite plutôt à retourner prendre l’air avec lui. "J’ai appris un peu plus tard par la famille que la reine a préféré ne pas parler pendant un moment, de peur de fondre en larmes", écrira la reine Alexandra de Yougoslavie, dans le livre qu’elle consacrera à son cousin Philip, en 1959. 

Tandis que les jeunes époux marchent épaule contre épaule, le visage penché vers le sol, le long de la rivière, leur entourage s’assemble devant les grandes baies vitrées donnant sur le jardin. Lorsque Élisabeth rejoint ce petit groupe d’amis et de conseillers, lady Pamela Mountbatten, sa dame d’honneur le temps du voyage et la cousine germaine de Philip, est la première à s’avancer vers elle. Celle qui est désormais reine est pâle, les traits tirés, mais se montre d’un calme impressionnant. Revenu à Sagana Lodge, Martin Charteris lui demande sous quel nom elle souhaite régner. "Oh, mais le mien, bien sûr, répond-elle, pourquoi en prendre un autre ?"

Lilibet n’est plus. Longue vie à la reine Élisabeth II

Le premier acte de souveraine d’Élisabeth II est de rédiger de courtes lettres pour remercier le gouverneur général du Kenya et dire aux autorités d’Australie et de Nouvelle-Zélande qu’elle est au regret de devoir ajourner sa visite. Dans un silence navré, le personnel s’affaire à boucler les bagages, tandis que le prince Philip organise le retour. Avant de partir, la reine tient à remettre une photo dédicacée ou un menu cadeau à chacun des membres du personnel de Sagana Lodge. Il s’agit de remercier, sans oublier personne.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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