Face à la vaste fenêtre donnant sur le parc, le prince Albert II observe cette nature qui inspira tant Zola. Martine Le Blond-Zola, vice-présidente de l’association Maison Zola – Musée Dreyfus, fait visiter au souverain le bureau de son arrière-grand-père. Nous sommes à Médan, non loin de Paris, où Albert II a tenu à faire étape afin de rappeler le soutien qu’apporta son trisaïeul au capitaine Alfred Dreyfus et à Émile Zola qui prit tous les risques pour le défendre. Dans cette demeure qui nous transporte à la fin du XIXe siècle, le prince nous a livré ses réflexions sur son ancêtre avec lequel il partage tant de convictions. Ce séjour lui donna également l’occasion de découvrir l’hôtel particulier parisien où vécut Albert Ier, devenu depuis le siège de la Nonciature, puis d’assister à une séance spéciale à l’Institut de France et à une conférence à l’Unesco donnée par Erik Orsenna.
Monseigneur, qu’avez-vous ressenti en visitant le musée Dreyfus et la maison d’Émile Zola ?
Ces lieux nous permettent de nous replonger dans cette époque de la vie d’Émile Zola. Dans ce bureau, nous avons l’impression d’entrer dans son intimité. Ils nous rappellent également son implication extraordinaire dans l’affaire Dreyfus. Zola a contribué de façon magistrale à convaincre une bonne partie de l’opinion dans cette affaire qui a bouleversé l’Europe et le monde.
Quel est votre sentiment au moment de refermer ce cycle d’hommages à votre trisaïeul ?
C’était très émouvant. Quoi de plus naturel que de terminer par Paris qui a occupé une grande place dans sa vie ? Je n’étais jamais venu à la Nonciature, qui fut son hôtel particulier pendant plus de vingt ans. J’ai aussi été touché par ce bel hommage à l’Institut de France. Nous avons tenté de présenter le prince Albert Ier océanographe, aventurier, passionné de sciences, mais aussi l’homme de paix, le grand humaniste qu’il était, heureux d’élever l’homme, par les arts, la littérature et l’éducation, vers une meilleure compréhension du monde.

Albert Ier fut aussi un diplomate ayant tenté de sauver la paix en Europe au début du XXe siècle. Que vous inspire son engagement, alors qu’aujourd’hui la guerre a une nouvelle fois surgi en Europe ?
Le contexte international a évidemment changé depuis son époque, mais on retrouve malheureusement des traits communs : les dérives des nationalismes, les faux-semblants et la mauvaise foi de certains dirigeants, le risque d’engrenage du fait des grandes alliances, la difficulté d’organiser un dialogue sincère au plus haut niveau. En septembre 2021, je me suis rendu à Kiel, au nord de l’Allemagne, où avaient lieu, à la Belle Époque, des régates autour du Kaiser Guillaume II. Albert Ier avait voulu profiter de l’ambiance informelle de ce rendez-vous mondain pour faire de cette ville une capitale de la paix européenne, où la tension entre Français et Allemands à l’époque aurait pu retomber par des contacts directs. Ce fut malheureusement une occasion ratée. Il faut espérer qu’il n’y ait pas trop d’occasions ratées aujourd’hui. À Monaco, notre capacité d’assistance humanitaire est complètement mobilisée en faveur du peuple ukrainien. En même temps, la Principauté a des liens anciens avec le peuple russe. Je condamne donc cet affrontement fratricide, en réalité complètement contraire aux intérêts profonds de la Russie. Ce n’est pas la vocation de Monaco d’interférer dans les initiatives de médiation des grandes puissances, mais soyez assuré que je ferai tout ce qui est en ma capacité, si l’occasion se présente, d’être un facilitateur de paix.

L’année 2023 sera consacrée à la commémoration du centenaire de la naissance de votre père, le prince Rainier III. Dans votre livre L’Homme et l’Océan paru cette année, vous expliquez à quel point il vous a aidé à comprendre la mer. Quelle en était sa vision ?
Mon père est à l’origine de plusieurs initiatives. L’accord de protection de l’environnement Ramoge signé en 1976 entre Monaco, la France et l’Italie, le Sanctuaire Pelagos protégeant les cétacés... Il était soucieux de limiter et combattre la pollution marine. Ce fut aussi le cas pour les déchets nucléaires rejetés à la mer qui l’avaient scandalisé et dont il avait parlé au président de Gaulle. Sa préoccupation majeure était de développer la Principauté, mais il avait largement contribué à une meilleure compréhension des enjeux auxquels la Méditerranée devait faire face.
Lors de la fête nationale à Monaco le 19 novembre dernier, des unités de la marine nationale française et de la marine espagnole étaient présentes, en mémoire des états de service de votre trisaïeul...
Chaque année, des régiments étrangers sont invités à la fête nationale. J’ai été très heureux que les marines française et espagnole acceptent d’y prendre part. Cette formation marine a permis à mon trisaïeul de faire ses premiers voyages en tant qu’officier de marine. Ces expériences lui ont ouvert les yeux sur l’importance des océans.

Après deux éditions marquées par la pandémie et la convalescence de votre épouse, quel a été votre sentiment de vivre la fête nationale avec votre famille à nouveau au complet ?
Se retrouver tous ensemble, sans restriction ou presque, devant une foule importante m’a touché. Ce fut une très belle journée que nous avons pu vivre en famille et partager avec la population monégasque et nos invités.

À travers les actions de sa fondation, votre épouse, la princesse Charlène, s’engage pour une meilleure appréhension du milieu aquatique. Échangez-vous avec elle sur l’implication du prince Albert Ier pour ce monde des océans ?
Bien sûr. J’en veux pour preuve la présence de notre famille réunie en Norvège pour l’inauguration de l’exposition consacrée au prince Albert Ier au musée du Fram, à Oslo, où nous avons été accueillis par le prince héritier Haakon. Mon épouse est très impliquée, elle a suivi l’ensemble des commémorations, même si elle n’a pas pu être présente à tous les événements. Elle tient à être au courant de tout ce qui a trait non seulement à la défense du milieu marin, mais aussi à la recherche.

Lors de notre visite de la maison d’Émile Zola, nous avons appris qu’il avait prononcé un discours à la SPA.
Oui, et...
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