Albert Ier de Monaco, le prince des mers

Étonnant parcours que celui d’Albert Ier de Monaco, prince souverain, érudit et explorateur. Pionnier de l’océanographie, Honoré Charles Grimaldi dirigea 28 campagnes scientifiques entre 1885 et 1915 à bord de ses quatre navires. Bien que profondément engagé en tant que souverain à réformer la Principauté, seule la Première Guerre mondiale réussit à mettre un terme à ses activités océanographiques. 

Par Vivianne Perret - 11 septembre 2019, 07h44

 Albert Ier, scientifique dans l’âme, intéressé par les différents organismes peuplant les mers et les océans, saluait tous ceux qui travaillaient pour "révéler aux esprits curieux les organismes étranges dont les formes imprévues font songer aux allures tourmentées des temps géologiques, et qui vivent dans les abîmes sans horizon… "
Albert Ier, scientifique dans l’âme, intéressé par les différents organismes peuplant les mers et les océans, saluait tous ceux qui travaillaient pour "révéler aux esprits curieux les organismes étranges dont les formes imprévues font songer aux allures tourmentées des temps géologiques, et qui vivent dans les abîmes sans horizon… " © Stefano Bianchetti/Corbis via Getty Images

Le futur prince Albert Ier de Monaco vit le jour le 13 novembre 1848 à Paris où il poursuivit ses études. Dès son plus jeune âge, il se passionna pour la recherche scientifique, nourrie de ses lectures sur les relations de voyages, terrestres et maritimes, et des récits d’exploration polaires. La mer l’attirait au point d’embrasser à l’âge de 18 ans la carrière de navigateur.

Il fit "l’apprentissage du métier", ainsi qu’il l’écrivit dans ses mémoires, en s’engageant dans la marine espagnole comme enseigne de vaisseau. Ses voyages au long cours l’entraînèrent aux Antilles et en Amérique du Nord, mais en 1870, il revint se mettre à la disposition des Français, alors en guerre contre les Allemands, choisissant de combattre dans la marine.

Trois années plus tard, Honoré Charles Grimaldi acheta son premier bateau. Il rebaptisa poétiquement la goélette de 200 tonneaux l’Hirondelle, car, écrivit-il, "ce nom devait me rappeler les qualités que j’aime chez l’oiseau qui le porte: résolution aventureuse sous une enveloppe élégante, modeste et fine". Néanmoins, il faudra attendre 1885 avant que le navigateur ne devienne explorateur scientifique. 

"J’ai commencé la culture de l’océanographie, de la science nouvelle qui pénètre le secret des abîmes"

Dans les années 1850, certains savants avaient démontré l’existence de la vie dans des profondeurs maritimes supérieures à deux cents mètres. Cette affirmation était violemment contestée, mais en 1858, la pose d’un câble télégraphique entre l’Europe et l’Amérique du Nord révéla une topographie ignorée. La nécessité de connaître les fonds sous-marins entraîna les premières campagnes scientifiques.

Albert Ier Grimaldi, prince de Monaco, en digne héritier de ses ancêtres parcourut les mers et voua sa vie à l’étude des fonds marins. © ullstein bild/ullstein bild via Getty Images

La navigation circumterrestre du HMS Challenger, de 1872 à 1876, préfigura le début d’un nouveau champ d’études: l’océanographie. Une discipline balbutiante qui enthousiasma le jeune Grimaldi: "J’ai pensé qu’il serait plus honorable pour nous de concourir ensemble à ce mouvement grandissant qui, sous l’égide de la science, transforme le monde et les idées […] Ainsi j’ai commencé la culture de l’océanographie, de la science nouvelle qui pénètre le secret des abîmes."

Sitôt dit, sitôt fait, le navigateur réaménagea l’Hirondelle afin de répondre à sa nouvelle vocation. Il fit installer entre autres des courantomètres, sondes, carottiers, dragues, bouteilles à prélèvements d’eau, flotteurs dérivants et sacrifia le salon du navire pour le transformer en laboratoire.

Ses efforts furent couronnés de succès dès 1888 avec la publication d’une carte du système général des courants de l’Atlantique Nord. Mais une année plus tard, Honoré Grimaldi était appelé à d’autres fonctions. Le décès de son père Charles III de Monaco le portait à la tête du Rocher. 

Albert Ier, un "prince savant" qui a fait entrer Monaco dans le XXe siècle

La principauté de Monaco réclamait toute son attention. D’autant plus que le prince avait décidé de la moderniser. Même si son coeur ne vibrait que pour la mer et ses expéditions scientifiques, il assuma ses fonctions. Jusqu’en 1901, Albert Ier restait à Monaco du début de l’année civile jusqu’au mois de mai, rompant avec la tradition princière de vivre plus souvent à Paris que sur le Rocher. L’avènement du prince accéléra la progression sociale d’une population majoritairement analphabète.

De nouveaux établissements scolaires, dont un lycée, ainsi qu’une bibliothèque publique furent fondés, tout comme un hôpital, doté d’installations modernes. Une usine d’incinération des déchets et un réseau de tout-à-l’égout furent mis en service et l’alimentation en eau potable améliorée. Enfin on installa l’éclairage électrique et un réseau téléphonique. Ce qui n’empêcha pas les tensions d’émerger parmi les Monégasques, désireux d’obtenir plus de responsabilités.

Finalement, Albert Ier accepta le principe d’une constitution et d’une liste civile. Il fit alors appel aux meilleurs juristes, dont un prix Nobel, qui reçurent les délégués afin de rédiger une constitution, promulguée en 1911.

Souverain essentiel dans l’évolution de la Principauté en une monarchie constitutionnelle moderne, il n’en reste pas moins que ce fut l’oeuvre scientifique d’Albert Ier qui lui valut une renommée internationale et d’être élu en 1891 à la prestigieuse Académie française des sciences.

Les deux mariages de cet explorateur amoureux de la mer finiront en divorce

L’Hirondelle révéla assez rapidement ses limites en tant que navire scientifique. En 1891, lui succède Princesse Alice, du prénom de sa seconde épouse. La mer sera pourtant la seule véritable maîtresse du prince Albert.

Le premier mariage du prince, en 1869, à l’âge de 21 ans, avec Mary Victoria Hamilton, une duchesse d’origine germano- anglaise, se termina par un divorce. Préférant vivre sur son navire plutôt que de mettre pied à terre, il ne fera la connaissance de son fils Louis qu’en 1880, alors que l’enfant avait déjà 10 ans.

Il rencontra par la suite à Paris l’Américaine Alice Heine, veuve du 7e duc de Richelieu. Il l’épousa en 1889. La jeune blonde Américaine tenta de suivre son mari sur les mers, mais mal à l’aise sur l’océan, elle préféra débarquer trois ans plus tard et se consacrer à la vie mondaine de Monaco. L’union s’acheva elle aussi par un divorce, prononcé en 1902.

Navigateur accompli et scientifique reconnu, il a dévoilé les merveilles de l’océan

En 1897, un nouveau navire, Princesse Alice-II, doté d’installations scientifiques perfectionnées remplaça le premier du nom. À son bord, le prince accomplit douze campagnes (océanographie physique, zoologie, bactériologie, chimie biologique et météorologie de la haute atmosphère) entre 1898 et 1910, dont quatre en Arctique et au Spitzberg. 

Le prince Albert Ier de Monaco à bord du Princesse-Alice. Science Photo Library / akg-images

Soucieux de partager ses découvertes et pérenniser une discipline naissante, le prince fonda deux institutions: l’Institut océanographique de Paris en 1906 et, quatre ans plus tard, le Musée océanographique de Monaco.

Initiateur de la première carte générale bathymétrique (relative aux profondeurs) des océans, publiée en 1905, il se positionna également en protecteur de la nature, dénonçant "l’indifférence ou la faiblesse des gouvernants qui permettent de massacrer sans mesure les éléphants et les baleines pour exploiter leur ivoire et leur huile; d’anéantir les animaux à fourrure pour spéculer sur des élégances vaniteuses... et de laisser certains oisifs accomplir des tueries inutiles..."

Ses dernières croisières se feront à bord de l’Hirondelle II, construite en 1911, en se concentrant sur la faune abyssale. La Première Guerre mondiale mettra un terme aux activités océanographiques du prince Albert Ier. Il s’éteindra le 26 juin 1922 à Paris, à l’âge de 73 ans. L’océanographie, dira-t-il, est une oeuvre qui "a rempli les plus belles années de ma vie en absorbant le meilleur de moi-même". 

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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