"Je n’ai pas pu savoir si le roi a oui ou non épousé la Maintenon. Il y en a beaucoup qui assurent qu’elle est sa femme, et que l’archevêque de Paris les a unis en présence du confesseur du roi et du frère de la Maintenon; mais d’autres disent que ce n’est pas vrai, et il est impossible de savoir ce qu’il en est…" Depuis quelques semaines, un seul sujet alimente les conversations dans les couloirs de Versailles: le mariage clandestin de Louis XIV avec sa nouvelle favorite, Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon.
Un secret jalousement gardé, que même la princesse palatine, duchesse d’Orléans, peine à percer. La célèbre épistolière et belle-sœur du roi avoue son ignorance dans ce courrier à sa tante la duchesse de Hanovre. Et si aucun document officiel n’est venu depuis confirmer l’événement, même pour les historiens, il est avéré.
La marquise de Montespan à la manoeuvre...
À l’été 1683, la pieuse Marie-Thérèse d’Autriche rend son âme à Dieu. La reine à peine enterrée en la nécropole royale de Saint-Denis, la cour s’inquiète de savoir qui va lui succéder. Athénaïs de Montespan, née dans l’antique lignée de Rochechouart de Mortemart et mère des enfants légitimés de Louis XIV s’imagine volontiers sur le trône. Seulement voilà, elle est déjà mariée…

Un temps éclipsée par la jeune mademoiselle de Fontanges, qui vient opportunément de mourir en couches, la maîtresse en titre s’emploie à trouver une seconde épouse pour son royal amant. L’infante Christine de Portugal ou la princesse Anne-Marie de Toscane? Peu importe à la belle et brillante marquise, pourvu que l’heureuse élue soit aussi laide et insipide que la précédente reine.
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Mais trop occupée à sonder les chancelleries européennes pour dénicher la laideron idéal, la Montespan se fait coiffer au poteau par une rivale inattendue. Au palais, c’est la valse des marquises, et les favorites se succèdent dans le coeur et dans le lit du roi.
Françoise d’Aubigné, "Madame de Maintenant"
Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, une discrète et pieuse quadragénaire d’obscure naissance, a su s’assurer le soutien du parti des dévots. Ces derniers, jouants depuis longtemps de la peur du roi de rôtir dans les les flammes d’un enfer de débauches, le convainquent d’épouser celle que les courtisants les mieux informés nomment déjà: "Madame de Maintenant".

Dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683, un petit nombre de témoins de confiance assistent à la discrète cérémonie dans la Chapelle royale. Confesseur attitré du souverain, le père de La Chaise bénit l’union en présence de Monseigneur Harlay de Champvallon, archevêque de Paris, de Monsieur de Montchevreuil, du ministre Louvois, et de Bontemps, le valet de chambre du roi.
Échec et mat à la resplendissante Montespan, qui se mord rageusement les doigts d’avoir elle-même introduit la redoutable Françoise dans l’entourage immédiat de son amant.
La jeune Françoise tisse un solide réseau de relations
Née à l’automne 1635 dans la prison de Niort, où son forban de père purgeait un énième peine, la petite-fille du poète Agrippa d’Aubigné n’a pas toujours ressemblé à la frileuse bigote drappée dans ses mantilles que nous montrent les portraits de la fin du règne.
À seize ans et demi, pour échapper au couvent, l’adolescente abandonne sa main à Paul Scarron, paralytique au physique contrefait, mais homme de lettres mondain et spirituel. "Je ne lui ferai pas de bêtises, je lui en apprendrai", dit à cette époque le poète de sa future épouse.

Et tous les efforts déployés des années plus tard par la marquise pour redorer son blason de respectabilité ne parviendront à effacer toutes les traces d’une jeunesse galante. Un tableau de nu, commandé par son amant le marquis de Villarceaux, témoigne des armes dont la nature, à défaut de la fortune, avait doté la jeune Françoise et que détaille son premier mari: "de grands yeux forts mutins, un très beau corsage et beaucoup d’esprit". Le tout assorti d’une vigoureuse ambition.
Au contact des beaux esprits du Marais, la jeune femme se cultive et tisse un solide réseau de relations. Chez le maréchal d’Albret, elle se lie d’amitié avec la marquise de Montespan qui la soutient à l’époque de son veuvage et intercède auprès de Louis XIV pour lui faire restituer une pension.
Naturellement, devenue maîtresse en titre du roi, la marquise pense à sa discrète et savante amie pour occuper le poste de gouvernante des enfants nés de leur liaison.
Le charme et l'esprit de "la veuve Scarron" séduisent le roi
Françoise excelle dans ce nouveau rôle, au point de remplacer définitivement leur mère dans le coeur des princes légitimés de France. Le dévouement sans faille de "la veuve Scarron" à ses enfants naturels, son charme et son esprit, séduisent aussi le roi. Et quand la marquise de Montespan s’en rend compte, il est déjà trop tard! Titrée marquise de Maintenon et dame d’atour de la dauphine pour échapper à la colère de sa rivale, "sainte Françoise" partage désormais avec cette dernière les faveurs de Louis le Grand.

À l’heure de prendre une nouvelle épouse, Louis XIV en choisit une selon son coeur et la morale chrétienne que Françoise lui a si bien inspirée. Pour son peuple, cette union morganatique devra rester secrète: le Soleil ne peut convoler avec une bergère de si modeste naissance, et moins encore avec la veuve du paillard poète Scarron. Mais la cour de Versailles a ses codes qui ne trompent pas.
Le roi vieillissant passe la plus grande partie de son temps dans les appartements de Madame de Maintenon. Quand elle se déplace en chaise à porteur dans le parc, les princesses sont priées de la suivre. Grands et ministres lui font leur cour, et le roi encourage ses entreprises, comme l’école pour les jeunes filles pauvres de la noblesse de Saint-Cyr. Et à ceux qui s’interrogent encore, la marquise répond, un brin malicieuse: "Oh! mon bonheur est éclatant!"
La "reine de l’ombre" repose à Saint-Cyr
Quand "le Soleil" décline, en 1715, la marquise se retire prudemment au milieu de ses protégées, dans la maison de Saint-Cyr. Trois jours exactement avant la mort du roi, le 1er septembre. Elle craint moins le régent Philippe, nouveau maître du royaume, que la mère de ce dernier, son irréductible ennemie. La fière princesse ne lui a jamais pardonné d’avoir oeuvré au mariage de son fils adoré avec l’une des "bâtardes", Mademoiselle de Blois.
Quand Madame de Maintenon s’éteint à son tour, le 15 avril 1719, la Palatine écrit à sa famille, en guise d’épitaphe: "La vieille ordure est enfin crevée!" Embaumée et inhumée dans son école, la veuve du roi ne trouvera pas tout de suite le repos éternel. Les reliques de son corps, déterrées pendant les troubles de la Révolution, seront retrouvés au grenier, en 1944, dans une boîte intitulée: "Ossements de Madame de Maintenon"! D’abord déposée dans la Chapelle royale du château de Versailles, la "reine de l’ombre" retourne à Saint-Cyr en 1969, selon ses voeux: "Ces murs fermant ma retraite seront aussi ceux de mon tombeau."
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