"Je ne me fournis plus que de blanc et de gras!" Le bon roi Henri IV, un peu concupiscent, contemple impatient le portrait aux formes généreuses de sa nouvelle fiancée, Marie de Médicis. De vingt ans sa cadette, la princesse de Toscane est blonde et bien en chair: une vraie beauté dans le goût de l’époque. En guerre contre le duc de Savoie, qui va bientôt devoir lui céder la Bresse et le Bugey, le Béarnais n’a cependant pas le temps de traverser les Alpes pour aller convoler. Mais pressé de "consommer", il envoie à Florence son cousin, le jeune Henri de Condé, premier prince du sang, et quarante gentilshommes, pour conclure au plus vite une union par procuration.
Le 5 octobre 1600, une première cérémonie se déroule en la cathédrale Santa Maria del Fiore, le Duomo, où le cardinal Aldobrandini, neveu du pape, célèbre l’union. Pour ces fêtes, le grand-duc Ferdinand, oncle de la mariée, déploie tous les fastes de la cour de Florence.

Les spectacles, dont l’Eurydice de Peri, se succèdent sous les ors du merveilleux palais Pitti. Partout dans les salons de ravissantes tables escamotables disparaissent pour mieux réapparaître couvertes de plats de viandes et de poissons aux allures de girafes, de crocodiles ou d’autres animaux d’Afrique. L’eau et le vin coulent de fontaines, et des fruits exotiques savoureux pendent aux rameaux d’arbres fantaisistes… Les Français sont éblouis, jamais ils n’avaient goûté de tels raffinements.
Un mariage en or
Quelques semaines plus tard, Marie de Médicis embarque pour Marseille avec une suite de deux cents personnes. La belle toscane n’arrivera que le 9 décembre à Lyon, où le "Vert-Galant" s’impatiente. Henri IV, après l’avoir observée quelques instants à la dérobée, se précipite sur elle. Tremblante, la jeune reine ploie sous les embrassades et les baisers empressés. Tombée à genou, elle est prise de panique quand sa cousine et interprète Henriette de Clèves, duchesse de Nevers, lui annonce que le roi entend concrétiser charnellement l’union dans l’instant! Des contemporains témoignent: "La reine eut un mouvement de recul, disant qu’il convenait d’attendre l’arrivée du légat pour bénir d’abord leurs noces. Mais on dit que Sa Majesté tira d’une sacoche une lettre de Sa Sainteté où il était dit qu’il n’était besoin d’autres cérémonies que celles qui avaient été faites à Florence. Quand la reine vit la résolution du roi, elle fut prise d’une telle peur qu’elle devint froide comme la glace et qu’on dut la mettre au lit."
La jeune femme est frictionnée d’eaux parfumées, tant pour la réchauffer que pour l’aider à mieux supporter l’odeur du roi. Henri se vante de "sentir le gousset", du nom de la bourse que les voyageurs cachent alors sous l’aisselle! Nonobstant cet émoi bien naturel, et les "menus" inconvénients olfactifs, la nuit de noces est une révélation.

Huit jours plus tard, Marie rayonne en pénétrant dans la cathédrale primatiale Saint-Jean de Lyon au son des tambours et des trompettes. Elle porte une lourde robe de velours violet, entièrement brodée de lys d’or, et son col empesé, comme son corsage, sont de la plus fine dentelle. Le manteau royal de la reine, doublé d’hermine, est porté par la duchesse de Ventadour, la comtesse d’Auvergne et "d’autres dames de plus basse main". Couronne en tête et "toute chargée de joyaux, elle parut bien belle et bien gracieuse" sous le dais royal dressé face à l’autel.
Une fois n’est pas coutume, Henri IV a fait lui aussi un brin de toilette. Vêtu d’un pourpoint et de hauts-de-chausses blancs, il porte un manteau de velours noir et un chapeau orné de plumes de héron. L’ensemble, un peu austère, est égayé par un une collerette de dentelle très parfumée et rabattue à l’aide d’une broche d’or et de diamants. Les grands colliers de Saint-Michel et du Saint-Esprit, les ordres de chevalerie les plus distingués du royaume, achèvent l’ensemble.
Sur le chemin du cortège, des pièces d’argent frappées à la double effigie des souverains sont lancées à la foule en liesse. "Le peuple a si grand désir qu’elle ait des enfants, que le bruit court déjà qu’elle est enceinte", écrit Belisario Vinta à son maître, le grand-duc de Toscane. Un souci que partage Henri IV, toujours sans héritier légitime malgré de précédentes noces.
Remplacer la reine Margot
Marié pendant près de trente ans à Marguerite de France, la soeur des trois derniers rois Valois, Henri IV débute, en 1593, les premières négociations pour l’annulation de son union. Compréhensive, la reine Margot se plie d’autant plus volontiers à cet impératif dynastique qu’elle obtient l’assurance de conserver son titre de reine, une confortable pension et la jouissance de son bel hôtel de Sens, au faubourg Saint-Germain. Mais le tribunal de la sainte Rote est plus long à convaincre. Même inféconde, l’union a été publiquement consommée…

Mandé à Rome par le roi, l’habile Arnaud d’Ossat, un futur cardinal, plaide la "parenté spirituelle". Henri de Bourbon, le futur Henri IV, était en effet le filleul chrétien du feu Henri II, père de Marguerite. Une clause d'"interdit" pour célébrer un mariage, même si personne à l’époque ne s’en était préoccupé. Finalement, le 24 octobre 1599, le pape Clément VIII signe l’annulation.
Pour remplacer la reine Margot, les ministres d’Henri IV, duc de Sully en tête, sont favorables à Marie de Médicis. Pourtant, âgée de 25 ans, la princesse n’est plus toute jeune pour l’époque. Florence n’est pas non plus une grande puissance territoriale. Et pour le roi capétien, descendant direct de Saint Louis, les pilules rouges du blason Médicis rappellent la fortune par trop récente d’ancêtres apothicaires. Mais si la fiancée est moyennement née, elle est en revanche richement dotée!
Le défunt père et l’oncle de Marie, grands-ducs et prospères banquiers, sont les principaux créanciers du Trésor royal. En épousant le Vert-galant, elle efface, et de la plus agréable des manières, six cents millions de dettes en ducats d’or!

Seule la favorite en titre d’Henri IV, Henriette de Balzac d’Entragues, enrage à l’annonce du mariage. Elle apostrophe violemment le roi: "Quand doit arriver votre grosse banquière?" La réponse n’est pas moins cinglante: "Dès que j’aurai chassé les putains de ma cour!" Querelle d’amants de courte durée… Son mariage célébré, le roi nomme sa maîtresse dame d’atour de la reine.
En septembre 1601, Marie donne naissance au dauphin Louis, le futur Louis XIII. Un mois plus tard, Henriette accouche à son tour d’un fils, Gaston-Henri de Bourbon, duc de Verneuil. Les demi-frères seront élevés ensemble, au palais du Louvre et au château de Saint-Germain-en-Laye.
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