Comment se passent vos premiers mois dans le Sud, où vous êtes arrivés fin septembre 2020?
Le mieux possible si l’on considère que nous sommes partis de manière précipitée, en mettant tout le monde, enfants et animaux, dans la voiture, direction le Sud! Nous avons dû faire des choix rapides. Nous nous sommes donc installés provisoirement dans un ancien four du XVIe siècle, transformé en maison et aménagé de manière charmante. Il appartient à la femme d’un de mes cousins anglais, et je m’y arrêtais déjà quand je venais voir le prince Gaston dans son pensionnat. Ce choix s’est imposé comme le plus judicieux. Gaston est désormais externe –et ravi de cette nouvelle situation car il n’aimait pas dormir à l’école. Mais il s’y plaît réellement, et le prince Joseph qui a une adorable maîtresse marseillaise tout autant. Du coup, ils me font la guerre pour partir à 7 h 15 chaque matin, afin de pouvoir assister à la récréation des pensionnaires avant les cours, alors que cela ne démarre qu’à 8 h 30. En tant que parents, quand un enfant vous supplie pour aller à l’école, c’est toujours plutôt bon signe.

La grande nouveauté, c’est en effet que les princesses Antoinette et Louise-Marguerite, ainsi que le prince Joseph, âgé de 4 ans, vont eux aussi à l’école alors que jusqu’à présent c’était vous qui vous chargiez de leur instruction à la maison...
Si l’enseignement à distance permet une plus grande liberté de mouvements en famille, ce qui a toujours été une nécessité pour nous, il requiert pour son bon déroulement un minimum d’organisation. Partant un peu à l’aventure, nous avons été très heureux de pouvoir inscrire à la dernière minute la princesse Antoinette et la princesse Louise-Marguerite dans une institution dominicaine. Elles sont nombreuses dans la région, puisque c’est ici que saint Dominique, qui était en réalité espagnol, a fondé son premier couvent pour contrer l’hérésie cathare. Tous ont pu se faire des amis très vite, ce qui était important pour eux et les filles se sont bien intégrées à leur classe et à leur niveau, ce qui m’a rassurée sur mes compétences d’enseignante! L’exigence des sœurs m’émerveille: imaginez-vous que les filles écrivent exclusivement, jusqu’à la sixième, à la plume et à l’encrier. Les religieuses considèrent que cet exercice de motricité est excellent pour développer la concentration. Pour m’y être essayée moi-même avec les enfants, je peux vous dire que cela tourne vite à la catas- trophe, avec des pâtés partout et des encriers renversés... Je mesure la patience et la persévérance déployées par les sœurs.

Les enfants ont donc tout de suite adopté la vie scolaire?
Sans aucun problème. Antoinette, qui était assez demandeuse, n’est pas du tout déçue. Louise-Marguerite a eu un peu plus de mal à quitter le cocon familial. Quant à Joseph, qui n’a que 4 ans, quand je lui ai demandé s’il voulait aller à l’école aussi, il m’a répondu avec un regard lumineux: "Ça, c’est juste!" J’ai donc cédé, un peu à contrecœur en ce qui me concerne. Je reste en effet persuadée qu’exposer un enfant le plus tard possible à la collectivité –quand on en a la possibilité évidemment– lui permet de se construire sereinement et d’acquérir plus de confiance en lui. C’est d’ailleurs ce que prouvent les études réalisées par les pays scandinaves, qui ont fait ce choix: les enfants n’ont pas forcément les meilleures performances scolaires, mais ils sont plus sûrs d’eux, plus ouverts au monde, et mieux préparés aux aléas de la vie.

Vous aviez pris goût à cette organisation?
Je n’exclus pas de reprendre. J’espère réussir à trouver, au fur et à mesure, la forme qui convienne à l’évolution de chacun d’entre eux. L’éducation des enfants vaut tous les efforts et tous les sacrifices du monde. C’est loin d’être toujours facile –chaque enfant est différent– mais je le fais avec la conscience que chaque minute qui leur est consacrée vaut de l’or, et que tout l’amour et toute l’attention dont ils peuvent bénéficier aujourd’hui leur permettront de devenir –du moins je l’espère– les meilleurs adultes possibles.

Et pour vous, comment se passe ce changement ?
Le prince Jean est enchanté. Il a tout de suite trouvé ses repères. Les paysages, quoiqu’un peu ravagés par les éoliennes , sont particulièrement authentiques. Il fait une promenade tous les matins durant laquelle il aime admirer de spectaculaires levers de soleil sur les Pyrénées. Nous rêvons d’ailleurs de pouvoir faire bientôt un tour sur la montagne d’Alaric, où poussent des plantes endémiques. Il fait la majorité de son travail de loin, mais il y a le train, et si nécessaire, l’avion lui permet d’arriver en une heure à Paris. Bien sûr, Dreux, les amis et les petites habitudes sympathiques que nous y avons laissés nous manquent assez cruellement, mais nous nous sommes sentis très bien accueillis ici. Grâce à l’école, la boulangerie et le bureau de tabac du village, les liens se créent très vite, même en période de confinement. La région est particulièrement riche culturellement, même si elle est aussi plutôt sauvage et que le climat peut s’y avérer... rude! Le vent local, le marin, souffle parfois jusqu’à six jours d’affilée. Le risque d’une vie quotidienne marquée par les conduites, c’est de ne plus faire que cela et de tomber dans une routine un peu anesthésiante. Mais je ne suis pas inquiète. Pour moi, être heureuse dans la vie, c’est avant tout une question de choix. Je fais le choix du bonheur tous les jours.

Et pour votre future installation, où auriez-vous envie d’aller?
Voilà une question piège! L’idéal serait quand même de pouvoir retourner dans la région Centre. Quand on s’appelle d’Orléans, on garde évidemment un lien très particulier avec cette partie de la France. Le Comte de Paris grand-père avait d’ailleurs dit au prince Jean, peu avant sa mort, que si sa vie était à refaire, il se serait installé à Dreux et aurait consacré son énergie à ancrer sa famille dans le paysage local. Les Orléans ont réussi à vivre en exil pendant plusieurs décennies en conservant un nom, des titres et leur fortune. C’est une famille très forte qui a surmonté beaucoup d’épreuves et je les admire infiniment pour cela. Mais un retour d’exil, ce n’est jamais évident. Contrairement à un départ vers l’étranger, où l’on fait preuve de circonspection, on pense que l’on rentre à la maison et qu’à ce titre tout va très bien se passer. Dans leur cas, en soixante-dix ans, les personnes et le pays avaient beaucoup changé.
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