Il y a 90 ans, le mariage du Comte de Paris et d’Isabelle d’Orléans-Bragance

Par un mercredi pluvieux, sous le ciel de Sicile, Henri d’Orléans, Comte de Paris, unissait son destin à celui de sa cousine Isabelle d’Orléans-Bragance. Quatre-vingt-dix ans ont passé, mais l’émotion reste gravée sur les clichés noir et blanc, au charme suranné.

Par François Billaut - 05 avril 2021, 07h45

 Le prince Henri d’Orleans, comte de Paris et son épouse, la comtesse Isabelle d’Orleans-Bragance posent sur la terrasse du Chateau d’Amboise.
Le prince Henri d’Orleans, comte de Paris et son épouse, la comtesse Isabelle d’Orleans-Bragance posent sur la terrasse du Chateau d’Amboise. © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images

Dans les rues étroites de Palerme, tous les accents gaulois se mêlent aux invectives et aux cris exubérants des natifs de l’île. À leurs compatriotes descendus des montagnes et qui s’étonnent de cette soudaine invasion, les Palermitains répondent : "Ce sont les Français qui marient le fils de leur roi !" Le prince Henri, leur "dauphin", fils unique du duc et de la duchesse de Guise, est le dernier espoir de pérennité de la dynastie capétienne française. Et pour assister à la cérémonie qui va l’unir à sa belle cousine brésilienne Isabelle d’Orléans-Bragance, les monarchistes ont navigué depuis Marseille et Bordeaux, entassés jusque dans les cales des paquebots Compiègne et Città di Napoli.

Pourquoi convoler en terre étrangère, dans une cité si lointaine ? Le parti royaliste de L’Action française est à l’époque l’une des forces politiques majeures de notre pays. Et la IIIe République craint les princes. Le chef de la maison de France et son fils sont alors proscrits et même le royaume de Belgique, où ils vivent en exil, semblait "trop proche" pour la cérémonie. Alors le duc de Guise s’est replié sur l’antique capitale où se sont mariés, en 1809, Louis-Philippe d’Orléans, le futur roi, et Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, ancêtres communs des fiancés. Le prince y possède une demeure, et à deux pas de là repose, au couvent bénédictin de Monreale, la plus pieuse relique de l’auguste lignée : le cœur du saint roi Louis IX, conservé dans du vinaigre !

Une robe de mariée créée par Worth

"Le palais d’Orléans de Palerme appartenait à la famille d’Orléans depuis le mariage de Louis-Philippe avec Marie-Amélie, a écrit la Comtesse de Paris dans Tout m’est bonheur, son livre de mémoires. Une très grande bâtisse pleine de beaux meubles et de tableaux de famille, et s’il manquait un peu de style, il était très confortable ; prolongé par un merveilleux jardin planté d’orangers, de roses en pergola, il se terminait par des terrasses ombragées de grands pins parasols d’où l’on pouvait voir, dans le lointain, la mer..." Deux ans après le mariage de Françoise d’Orléans, une sœur aînée d’Henri, avec le prince Christophe de Grèce et de Danemark, voilà que le vieux palais palermitain s’anime à nouveau aux joyeux préparatifs d’une grande cérémonie royale.

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"Lorsqu’on déballa ma robe de mariée, pour la suspendre, on se rendit compte que les quatre mètres de la traîne, qui paraissaient suffisants dans les salons du couturier, auraient sans doute assez piètre allure dans le brillant cortège qui se formerait entre l’évêché et la cathédrale. Après force télégrammes, Worth fit parvenir encore quatre mètres de ce brocart, spécialement tissé pour moi à Lyon...", se souvient encore la Comtesse de Paris. Et elle fait merveille, voilée de la mantille au point d’Angleterre de sa grand-mère paternelle, la régente Isabel, fille et héritière de l’empereur Pedro II du Brésil, retenue par le bandeau en diamants de la duchesse de Chartres, aïeule de son mari.

"Le jour de mon mariage, je l’ai vécu comme un rêve"

Au bras de son père, le prince Pedro d’Orléans-Bragance, la fiancée ouvre un cortège où les princesses font assaut d’élégance. Isabelle d’Orléans, comtesse Bruno d’Harcourt, sa sœur Françoise, princesse Christophe de Grèce, et leur tante la reine Amélie de Portugal, offrent un joli camaïeu de tons gris-argent. La princesse Pedro, mère de la mariée, porte une robe lamée or et lavande. Madame la duchesse de Guise, un ensemble broché ivoire et or, garni de vison. Le ciel, encore lourd de nuages, laisse percer de beaux rayons de soleil "quattrocen- tesques" sur ce cortège d’altesses : le duc et la duchesse d’Aoste, l’infante Louise d’Espagne, Marie Bonaparte, princesse Georges de Grèce...

Les pilastres de marbre gris et blanc du Duomo de Palerme sont couverts de tentures de damas écarlate, frangées d’or. Les lys embaument et le baldaquin de la reine Constance de Sicile, impératrice d’Allemagne (1154-1198), exceptionnellement extrait du trésor de la cathédrale, jette ses feux sombres au-dessus du maître-autel. Le chapitre napolitain, chanoines et curés de paroisse, en cappa magna violette et camail d’hermine, entoure le cardinal archevêque de Palerme, monseigneur Lavitrano, qui, mitre en tête, accueille les futurs mariés aux premières notes de La Marche nuptiale de Mendelssohn. L’orchestre enchaînera avec le Largo de Haendel pour terminer par L’Ode nuptiale de Gentile.

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Un porte-plume d’or, présent du cardinal aux jeunes époux, sert à signer l’acte de mariage, calligraphié sur parchemin. Des instants mémorables dont la princesse Isabelle, devenue Comtesse de Paris, avoue ne garder que de fugaces souvenirs : "Le jour de mon mariage, je l’ai vécu comme un rêve. J’étais trop émue, trop heureuse." Au même instant, à la demande du Comte de Paris, le général Lavigne-Delville dépose, près de la flamme de l’Arc de triomphe, une palme de bronze dorée, gravée de ces mots : "Au Soldat inconnu. Un exilé." 

De retour au palais d’Orléans, les huit cents invités se pressent dans les pavillons dressés pour le déjeuner. Au menu : consommé Monte-Carlo, loup de Méditerranée poché sauce riche, carré d’agneau Pauillac printanier, mousse de jambon, fonds d’artichauts à l’italienne et bombe "cherry brandy". Les vins, de Bourgogne, de Bordeaux, le Zucco de Sicile, viennent de la cave du duc de Guise. Les compliments et les toasts terminés, à l’instant de se lever de table pour saluer ses invités, la Comtesse de Paris panique : "Mes souliers, que j’avais enlevés sous la table, ont disparu. Malgré mes coups de pied et mes tâtonnements désespérés, impossible de les retrouver. Je les vois enfin réapparaître à l’autre extrémité de la salle, brandis par le duc d’Aoste ! C’est un de mes frères qui les avait subtilisés..."

Un mariage d'amour qui comble les monarchistes

Les jeunes mariés passent leur nuit de noces dans un appartement en front de mer de la Villa Igiea, le plus bel hôtel de Palerme. Les jours suivants, à bord de la splendide Bugatti rouge que viennent de leur offrir le duc et la duchesse de Guise, le couple multiplie les excursions sur l’île : Monte Pellegrino, Syracuse, Catane, Cefalu... "Je ne sais plus très bien si nous sommes restés à Palerme huit jours, ou quinze ou bien d’avantage. Ne dit-on pas qu’il est très difficile d’apprécier la durée véritable des rêves ?" Et l’accomplissement de ce rêve, "Bébelle", comme la nomme sa famille, l’attendait depuis longtemps. Jusqu’au jour de ses fiançailles, Le 7 novembre 1929...

Un épisode romantique que le Comte de Paris évoque avec humour et pudeur, dans ses Mémoires d’exil : "C’est au cours d’un voyage en Europe centrale que je retrouvai ma cousine Isabelle. Enfants, nous nous étions déjà rencontrés à Eu et à Saint-Firmin. Elle se trouvait à Chotěboř, dans la propriété que ses oncles et tantes possédaient en Tchécoslovaquie. On y avait organisé une chasse à laquelle j’avais accepté de participer. Ma cousine m’accompagna. Nous en sommes rentrés bredouilles. Il est juste de dire que nous étions si préoccupés l’un de l’autre que, même si un chevreuil était venu nous faire la révérence, nous ne nous en serions sans doute pas aperçus. Au retour, nous étions fiancés."

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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