Blasons. Jean d'Orléans et le lis millénaire

Quel plus beau meuble héraldique que la fleur de lis? Apparue dans la symbolique royale avant même les mremiers blasons, elle est devenue l'emblème des Capétiens. D'abord "semés sur champ d'azur", les lis ont été réduits au nombre de trois, au temps des Valois, hommage du Roi Très-Chrétien à la sainte Trinité. 

Par François Billaut - 30 octobre 2020, 12h38

 Le prince Jean, chef de la maison de France, porte les armes ancestrales des rois de France.
Le prince Jean, chef de la maison de France, porte les armes ancestrales des rois de France. © David Nivière

"D’azur à trois fleurs de lis d’or..." Le motif est si familier que pour les héraldistes et autres historiens, ce blason chargé d’histoire et de symboles se dit tout simplement "de France".

Tenu par deux anges portant tuniques et bannières frappées des mêmes armes, il est timbré d’un casque d’or couvert de lambrequins aux couleurs du blason, couronné, posé de face et visière relevée car, comme nous le disent les hérauts du Moyen Âge: "Le roi doit tout voir et tout savoir et commander à chacun sans empêchements." Les colliers des ordres royaux entourent l’écu: Saint-Michel, fondé par Louis XI, en 1459, et le Saint-Esprit, voulu par Henri III, en 1578.

L’ensemble est posé sur le manteau d’azur semé de lis, doublé d’hermine, que somme la couronne royale fleurdelisée, l’oriflamme de Saint-Denis, et un listel portant le cri de guerre des rois francs "Montjoye Saint-Denis", que la légende attribue à Clovis.

Cette composition, classique, des grandes armes de France date de la Restauration. Sans préjuger des querelles de légitimité, ces armes sont celles de la monarchie française et du prince Jean d’Orléans, Comte de Paris et chef de la maison de France depuis la mort de son père, le 21 janvier 2019.

Pour sa correspondance personnelle et officielle, le prince use plus volontiers du dessin original créé pour son grand-père Henri, Comte de Paris (1908- 1999). Bien qu’inspirée d’un sceau du Moyen Âge, cette illustration présente en outre l’avantage, avec l’azur du champ de l’écu, l’argent des ailes des anges et le carmin de leurs robes, de recréer la trichromie "bleu, blanc, rouge" des couleurs nationales. Les anges en lévitation de ces "petites armes" –ils ne reposent sur aucun tertre ni terrasse–, soulignent encore le côté "sacré" de la monarchie française.

Les petites armes, aux couleurs nationales "bleu-blanc-rouge" adoptées par Henri, Comte de Paris (1908-1999), timbrées par la couronne fermée "à l’impériale" par le roi François Ier. © Point de Vue
Les petites armes, aux couleurs nationales "bleu-blanc-rouge" adoptées par Henri, Comte de Paris (1908-1999), timbrées par la couronne fermée "à l’impériale" par le roi François Ier. © Point de Vue

Aux prémices de l’héraldique, le tournant des XIIe et XIIIe siècles, alors que les autres monarques européens se parent de motifs agressifs et guerriers, fauves, rapaces, chaînes, créneaux et autres armes, le souverain français se singularise par un motif végétal, le lis, pacifique et biblique. En fait, probablement l’image stylisée d’un iris jaune des marais, plante abondante entre Rhin et Meuse, aux sources de la dynastie.

Une fleur qui retrace l'histoire de France

La fleur est présente, avant même l’avènement des Capétiens, dans la symbolique royale. Mais c’est probablement Suger, abbé de Saint-Denis et conseiller du roi, qui va convaincre Louis VII d’adopter ce symbole chrétien. Une cire sigillaire conservée aux Archives nationales montre le roi trônant et qui pince, entre pouce et index, une fleur de lis.

À l’avènement de son fils Philippe II Auguste, en 1180, la fleur est institutionnalisée. Toutes les nouvelles branches de l’arbre capétien, Artois, Anjou ou Évreux, arboreront des lis. Dix ans plus tard, en 1190, la bannière liliacée de Philippe Auguste flotte sous les murs de Saint-Jean-d’Acre, pour la troisième croisade. Tout au long de la septième et de la huitième, au cours de laquelle il trouvera la mort sous les murs de Tunis, son petit-fils Louis IX arbore aussi les lis.

Le sire de Joinville, sénéchal de Champagne, compagnon d’armes et biographe du saint roi, nous livre la symbolique médiévale de la fleur: "Foi, sapience et chevalerie sont par la provision et la grâce de Dieu plus abondamment en notre royaume qu’en les autres." Le pétale central représente la foi, défendue par les pétales latéraux qui sont sapience (sagesse) et chevalerie.

Le "mot" (courte sentence) des rois de France "espérance", l’une des vertus théologales, comme la devise "Lilia non laborant neque nent" –les lis ne travaillent ni ne filent–, témoignent aussi de la nature religieuse du blason.

Biblique même, puisque c’est dans les Évangiles selon saint Matthieu 6-28 ou selon saint Luc 12-27, que se trouvent les versions de ce verset fleuri. "Considérez comme croissent les lis dans les champs; ils ne travaillent ni ne filent, cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu revêt ainsi l’herbe qui est là aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien d’avantage pour vous, hommes de peu de foi." 

Il faut bien y voir une invitation à s’en remettre à la divine Providence, et pas l’expression d’une quelconque loi salique, excluant à jamais les femmes du trône. L’opportune "redécouverte" de cette règle, en 1358, va permettre aux premiers rois Valois, Jean II le Bon et Charles V le Sage, de s’imposer sur le trône au détriment des droits de leurs cousines Jeanne II, reine de Navarre, fille de Louis X, et Isabelle, reine consort d’Angleterre, fille de Philippe le Bel.

Le blason, une arme politique 

Dès l’aube du règne de Charles V, le "d’azur semé de fleurs de lis d’or" des Capétiens direct cède le champ au "d’azur à trois fleurs de lis d’or". Là encore, pour honorer la sainte Trinité... Et renforcer l’indépendance du monarque français, comme en témoigne un clerc contemporain, dans la charte de Limay: "L’indivisible Trinité manifeste une si grande volonté qu’elle a accepté de consacrer [au roi] sa propre image et de ce fait, le royaume n’est soumis à l’autorité d’aucun prince sur terre..."

Détail amusant, en pleine guerre de Cent Ans, les rois d’Angleterre, qui écartèlent le semé "France ancien" aux trois "lions léopardés" anglais pour asseoir leur revendication au trône de France, vont aussi adopter la réforme héraldique du cousin français "usurpateur"!

Un manifeste de pleine souveraineté du Roi Très-Chrétien que l’arrière-arrière- petit-fils de Charles V, François Ier, grave à son tour dans les armoiries royales. Jusqu’à son règne, le roi de France timbrait ses armoiries d’une couronne ouverte. En résistance aux visées hégémoniques de la maison d’Autriche, François I er ferme sa couronne fleurdelisée "à l’impériale", manière de signifier à ses cousins Habsbourg que "le roi de France est empereur en son royaume".

LIRE AUSSI >> Blasons, lexique et mode d'emploi 

Après l’avènement, en 1589, d’Henri IV, déjà roi de Navarre, les lis de France sont associés à l’écu "de gueules aux chaînes d’or" du royaume pyrénéen. Si Louis XIII use encore de cette composition paternelle, Louis XIV en restreint l’usage qui ne survivra pas à la Révolution.

Les grandes armes, telles que nous les connaissons, datent du règne de Charles X, dernier roi de France sacré à Reims, et aïeul à la septième génération du prince Jean, comme d’ailleurs son cousin et rival Louis-Philippe Ier, dernier roi des Français.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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