Un souverain d’Espagne ne pourrait-il pas échapper à l’exil à la fin de sa vie? Telle est la question. Tous, ou presque, depuis le début du XIXe siècle, sont morts au-delà des frontières de leur pays et principalement dans deux villes: Rome et Paris. Le roi Juan Carlos n’échappe pas à cette fâcheuse tradition. Né à Rome en 1938, le voilà qui, à 82 ans, quitte l’Espagne pour une durée indéterminée.
La liste des exilés royaux débute avec Charles IV et Marie-Louise, les souverains immortalisés par Goya. Tous deux sont princes de la maison de Bourbon, issus de branches cadettes. Lui naît à Naples en 1748; elle, à Parme en 1751. En 1759, Charles arrive en Espagne, pays dont son père est devenu roi. Il devient prince des Asturies. Six ans plus tard, il épouse Marie-Louise au palais de la Granja. Ils auront 14 enfants, dont la moitié meurent en bas âge et quelques-uns ne sont pas, si l’on en croit de méchantes rumeurs, les enfants du roi.
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La reine est nymphomane. Elle enchaîne les liaisons avec les gardes du corps. Non seulement Charles IV ne s’aperçoit de rien, mais l’un des amants de sa femme, Manuel Godoy, devient son meilleur ami et conseiller. Le trio va se révéler totalement incompétent devant les multiples crises que traverse l’Espagne à la fin du XVIIIe siècle. Crise économique, crise financière, crise diplomatique…
L'exil est une tradition chez les Bourbons
Godoy pille les caisses avec la complicité de la reine et la tolérance du roi. La catastrophe survient en 1808. Napoléon Ier met fin au règne des Bourbons. Avec l’accord des souverains qui abdiquent volontiers. D’abord installés à Marseille, ils finiront leurs jours à Rome, en 1819. Godoy, ruiné, exilé, disparaît à Paris en 1851.
Leur belle-fille, Marie-Christine, veuve de Ferdinand VII, sera, elle aussi forcée de quitter l’Espagne en 1840. Elle a été mariée en 1829, à l’âge de 23 ans, avec son oncle maternel Ferdinand VII, qui en comptait vingt-deux de plus. Ferdinand meurt en 1833. Leur fille aînée, Isabelle, est proclamée reine sous la régence de sa mère, qui va poursuivre la tradition inaugurée par sa belle-mère en prenant un amant chez les gardes du corps et en pillant les caisses du royaume.
Le comte Horace de Viel Castel, l’une des plus mauvaises langues du second Empire, la décrira ainsi dans son journal: "Cette femme est ignoble. Elle a pillé l’Espagne autant et plus que possible, elle a vendu à son profit les plus beaux tableaux des collections; elle a amassé millions sur millions, et elle entasse les sacs d’écus en vivant comme une bourgeoise."
De son amant, la reine régente a eu plusieurs enfants, et c’est pour eux qu’elle accumule cette fortune, pas toujours avec des moyens très légaux ou moraux. Elle place soigneusement ses fonds à l’étranger. Cette prudence lui permettra de vivre dans un grand confort, notamment au château de la Malmaison, lorsqu’elle sera exilée en France. Elle mourra au Havre en 1878.
Une malédiction de mère en fille
Dix ans avant sa mort, en 1868, Marie-Christine a été rejointe à Paris, par sa fille, la reine Isabelle II. Après 35 années d’un règne particulièrement agité, Isabelle a elle aussi été contrainte à l’exil. Traversé par des coups d’État, les guerres d’indépendance des colonies d’Amérique du Sud, de continuelles intrigues de palais, très souvent liées à ses amours tumultueuses, le règne d’Isabelle n’a pas été calme. Mais il a été à peu près honnête.
Lors de son arrivée en France, la reine ne dispose pas d’une grande fortune. Elle est très vite contrainte de vendre ses bijoux. Elle est remplacée en 1870 par un prince de la maison de Savoie qui ne régnera que trois ans, puis par son propre fils Alphonse XII. Ce dernier mourra en 1885, à l’âge de 27 ans, de tuberculose et de dysenterie. Lui et son grandpère, Ferdinand VII, sont les deux seuls souverains d’Espagne qui soient décédés dans leur pays depuis la mort du roi Charles III en 1788.
À son tour, Alphonse XII laisse une veuve enceinte qui donnera naissance à un bébé-roi, Alphonse XIII, le 17mai 1886, à Madrid. Le grand-père de Juan Carlos connaîtra lui aussi un règne agité. Le 12 avril 1931, les élections municipales donnent 40% des voix aux républicains et aux socialistes. Le lendemain, ces deux partis proclament la chute de la monarchie et l’avènement de la république. Dans la nuit du 14 au 15 avril, le roi Alphonse XIII quitte Madrid suivi par sa famille.
Le souverain rend son dernier souffle à Rome dix ans plus tard. Trois de ses fils, Alfonso, Jaime et Gonzalo ne reverront jamais leur terre natale. Seul Juan, comte de Barcelone, mourra à Pampelune, en Espagne, le 1er avril 1993. Il est enseveli au monastère royal de l’Escorial avec certains des honneurs dus aux souverains. Petit clin d’œil de l’histoire, il avait abdiqué ses droits à la couronne en faveur de son fils, Juan Carlos, en 1977.
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