La reine Sophie d'Espagne, la dignité malgré l’affront

Alors que son époux le souverain émérite vient de s’envoler pour les Émirats arabes unis, tout en restant à disposition de la justice dans le cadre d’une enquête sur d’éventuelles activités corruptives, la mère de Felipe VI poursuit ses vacances à Palma, comme chaque été. La tête haute, elle reste fidèle à son destin malgré  les scandales et leurs échos douloureux.

Par Fanny del Volta - 26 août 2020, 15h13

 La monarchie en pleine tourmente, la reine Sophie entend bien soutenir son fils le roi Felipe VI, même si les affaires concernant son époux Juan Carlos Ier font encore une fois d’elle une femme bafouée.
La monarchie en pleine tourmente, la reine Sophie entend bien soutenir son fils le roi Felipe VI, même si les affaires concernant son époux Juan Carlos Ier font encore une fois d’elle une femme bafouée. © Carlos R. Alvarez/WireImage

Cette année, à Palma de Majorque, Sophie d’Espagne ne posera pas devant les journalistes en famille, avec ses petits-enfants et son fils, le roi Felipe VI. Le souverain et son épouse Letizia ont consacré leur été à un tour des communautés autonomes pour les soutenir dans la crise liée à la pandémie de Covid-19, impliquant même leurs filles Leonor et Sofia dans certaines de leurs visites. L’infante Cristina et ses enfants ont choisi des vacances sur la côte basque française. Et Juan Carlos Ier, qui depuis plusieurs années ne se montrait plus au palais de Marivent au côté de son épouse, a quitté le pays pour les Émirats arabes unis.

Malgré le vent d’indignation qui déferle sur le pays, la reine émérite garde ses habitudes. L’île de Majorque est chère à son cœur et lui a toujours rappelé sa Grèce natale. Chaque été jusqu’en septembre, elle participe aux festivals de musique en plein air qui y sont organisés, profite de soirées douces dans les restaurants du port ou se promène simplement dans les rues, accompagnée de sa sœur, Irène de Grèce, et de sa cousine Tatiana Fruchaud Radziwill.

LIRE AUSSI >> Juan Carlos, retour en exil

En ce mois d’août, rien ne vient perturber ce programme. L’Espagne vient pourtant de se lancer dans un procès contre son ancien roi Juan Carlos. Qui reste le père de la transition démocratique pour les uns tandis que pour d’autres il est "Juan Carlos du Bostwana" ou "d’Arabie saoudite". Deux semaines après que le souverain émérite a quitté le pays, la Zarzuela vient enfin de confirmer la destination qu’il a choisie. La presse espagnole enchaîne en révélant que le voyage en jet aurait coûté 140.000 euros. Le roi serait en outre hébergé dans une suite à 11.000 euros la nuit de l’hôtel Emirates Palace d’Abu Dhabi. Pire encore, il se trouverait avec Marta Gayá. Ce nom étalé en une a de quoi rappeler de douloureux souvenirs. Surtout à la reine Sophie… 

Juan Carlos Ier serait parti retrouver son ancienne maîtresse à Abu Dhabi

Marta Gayá, décoratrice à la retraite, a été, selon des proches de Juan Carlos, "le grand amour" du roi. Pour elle, il aurait voulu divorcer dans les années 1980. L’existence de cette maîtresse a été révélée au grand public lors d’un malencontreux hasard. En juin 1992, le roi Juan Carlos est introuvable alors qu’une crise s’annonce au gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères, Francisco Fernández Ordóñez, souffrant d’un cancer avancé, demande à être relevé de ses fonctions. Le président du gouvernement Felipe González accède à sa demande mais ne peut assurer la relève sans l’aval du roi. La presse ne tarde pas à découvrir que le souverain se trouve en Suisse, où il a rejoint une "amie"… Marta Gayá.

Marta Gayá a été le grand amour de Juan Carlos et alimente aujourd’hui encore la rumeur dans le cadre de l’affaire du compte en Suisse du roi. © GTRES/BESTIMAGEMarta Gayá a été le grand amour de Juan Carlos et alimente aujourd’hui encore la rumeur dans le cadre de l’affaire du compte en Suisse du roi.©GTRES/BESTIMAGE

Lors de leur rencontre au Club de Mar de Marbella, Juan Carlos, alors âgé de 50 ans, est immédiatement tombé sous son charme. Marta est une femme moderne, indépendante, que la haute société apprécie. Le souverain et elle se donnent régulièrement rendez-vous à Gstaad, à Palma ou à Paris. Afin de lancer la procédure de remplacement du ministre Ordóñez, Juan Carlos finit par rentrer en Espagne après cinq jours d’absence. Puis il retourne en Suisse pour trois jours encore. 

Depuis les révélations de l’argent suisse de Juan Carlos, le nom de Marta Gayá est réapparu plusieurs fois. Les rapports du parquet de Genève la citent en effet parmi les destinataires –au même titre que Corinna Larsen– d’une donation de deux millions d’euros de la part de Juan Carlos. Comme pour faire taire la rumeur de sa présence auprès du roi, cette femme plutôt discrète est apparue en public, la semaine dernière, dans un grand restaurant de Palma, où elle aussi a l’habitude de passer ses vacances. Cette excursion ne suffira pas à la faire oublier du public.

Dans une interview diffusée par la BBC, Corinna Larsen affirme avoir reçu une donation de 65 millions de dollars de Juan Carlos. Le roi lui aurait fait ce "cadeau extraordinairement généreux" en reconnaissance pour son amitié, pour assurer son avenir, et parce qu’il s’était pris d’affection pour son fils. © Rindoff/Le Segretain/French Select via Getty ImagesDans une interview diffusée par la BBC, Corinna Larsen affirme avoir reçu une donation de 65 millions de dollars de Juan Carlos. Le roi lui aurait fait ce "cadeau extraordinairement généreux" en reconnaissance pour son amitié, pour assurer son avenir, et parce qu’il s’était pris d’affection pour son fils.© Rindoff/Le Segretain/French Select via Getty Images

Outre-Manche, Corinna Larsen, ex-maîtresse du roi Juan Carlos, vient d’accorder un entretien à la BBC pour revenir sur son histoire avec l’ancien monarque. Elle y révèle qu’en 2009, le souverain lui annonçait avoir une autre relation. La presse croit savoir que Marta Gayá est toujours restée proche de Juan Carlos. Tous deux ont été vus ensemble en 2017 en Irlande, au château de Killua, chez leur ami commun, Allen de Jesús Sanginés-Krause. Dans son entretien, Corinna Larsen explique également que le roi "avait un arrangement avec la reine Sophie. Ils vivaient séparés". 

Le mariage de Juan Carlos avec Sophie de Grèce, un espoir pour les monarchies déchues

L’histoire des souverains émérites n’a qu’un nom: Espagne. Quand ils se rencontrent, au début des années 1960, Juan Carlos n’ignore pas les projets de son père, le comte de Barcelone, pour le retour des Bourbons sur le trône. "Je dois marcher dans les pas de mon père sans le trahir et je me dois à l’Espagne", confie-t-il à son amour de jeunesse Olga de Robilant, pour lui signifier qu’elle ne doit nourrir aucun rêve d’avenir avec lui.

Le mariage, en 1962, de Juan Carlos avec la jeune Sophie de Grèce représente un espoir pour les monarchies déchues. Tous deux ont connu l’exil. Leurs familles ont traversé les affres de l’Histoire. Mais ensemble, ils conquièrent l’Espagne. Sous la tutelle de Franco, Juan Carlos saisit l’importance du contact avec le peuple. Lui qui n’a découvert sa patrie qu’à l’âge de 10 ans, entreprend alors un tour du pays.

Sophie a toujours été un pilier pour sa famille. Son destin: servir les siens et la Couronne. © Bachrach/Getty ImagesSophie a toujours été un pilier pour sa famille. Son destin: servir les siens et la Couronne.©Bachrach/Getty Images

À ses côtés, la jeune Sophie d’Espagne témoigne déjà d’une volonté de servir cette nation qu’elle apprend chaque jour à connaître un peu mieux. Les Espagnols sont principalement des anti-monarchistes. Dans les provinces les plus reculées, si la plupart ne leur sont pas hostiles, ils ignorent tout simplement qui ils sont. Avec le Caudillo, le jeune couple est également mis à l’épreuve. 

Carmen Franco, l’épouse du dictateur, rêve de voir sa petite-fille et son gendre, Alphonse de Bourbon, coiffer la couronne. À aucun moment Sophie ne s’avoue vaincue. Douce et affable, elle n’en est pas moins fille de roi et possède un grand sens politique. Avec Carmen Franco et son époux, elle entretient les liens en veillant à ce que son clan incarne la famille parfaite, respectueuse des valeurs édictées par le Caudillo. 

LIRE AUSSI >> Sophie d’Espagne: dans la crise, le devoir avant tout

Dès le couronnement de Juan Carlos, Sophie tient son rôle de reine consort à la perfection. Plus espagnole que jamais. Elle se consacre aux plus vulnérables via plusieurs associations et nourrit de vastes espoirs pour transmettre au plus grand nombre son goût pour la musique classique, à travers le mécénat et la création de conservatoires. Si, grâce à l’action du roi, l’Espagne se hisse au rang des autres pays occidentaux, les initiatives philanthropiques et caritatives de la reine Sophie demeurent une priorité de chaque instant. 

Sophie est le membre le plus plébiscité de la famille royale

Les scandales semblent aujourd’hui avoir relégué au rang de mythologie ce miracle démocratique incarné par Juan Carlos d’Espagne. Plus que jamais, le roi fait figure de fantôme dans son propre pays et au sein de sa propre famille. Son avocat, Javier Sánchez-Junco Mans, précise qu’il n’est pas mis en examen et reste à la disposition de la justice.

Tant que le Tribunal suprême n’a pas tranché sur la question de commissions illégales pour l’attribution à des entreprises espagnoles d’un énorme chantier ferroviaire entre La Mecque et Médine, le père de Felipe VI bénéficie de la présomption d’innocence. Le 8 septembre 2020, son ex-maîtresse, Corinna Larsen, devrait témoigner dans le cadre des enregistrements dont découle toute cette affaire, procédure à laquelle elle tente cependant d’échapper par voie légale. 

Partout dans le pays éclatent des manifestations réclamant le retour de la république et la prison pour Juan Carlos d’Espagne, comme ici à Madrid. © Marcos del Mazo/LightRocket via Getty ImagesPartout dans le pays éclatent des manifestations réclamant le retour de la république et la prison pour Juan Carlos d’Espagne, comme ici à Madrid.©Marcos del Mazo/LightRocket via Getty Images

Dans la haute administration espagnole, plus de soixante-dix ambassadeurs, ministres et autres présidents de communautés autonomes viennent de signer une pétition en faveur de l’ancien souverain, rappelant son rôle primordial dans la transformation du pays. Et un sondage tout juste réalisé par GAD3 pour le quotidien espagnol ABC indique que 57% des plus de 45 ans estiment positif son héritage pour le pays. Le chiffre tombe à 33% chez les moins de 29 ans.

La même enquête révèle aussi des valeurs en hausse pour chacun des membres de la famille royale, si l’on compare avec les sondages réalisés voici deux ans. La cote de popularité de la reine Letizia grimpe d’un point pour s’établir à 5,8 sur 10. Felipe VI obtient un 6,9 et même Juan Carlos gagne un 5,2 contre 4,9 en 2018. Mais la mieux notée reste sans surprise Sophie d’Espagne, à 7,2. 

En 2018, la reine Sophie accompagne Felipe VI et la reine Letizia à la remise des prix Princesse des Asturies qui verra sa petite-fille Leonor faire ses premiers pas. Sophie reste fidèle à son destin: servir les siens et la Couronne. © Europa Press/Getty ImagesEn 2018, la reine Sophie accompagne Felipe VI et la reine Letizia à la remise des prix Princesse des Asturies qui verra sa petite-fille Leonor faire ses premiers...

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Approfondir le sujet

Reines

Personnalités liées

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement