Dans les rues encore silencieuses de Phnom Penh, une longue procession se met en place. Ces hommes et femmes vêtus de blanc quittent lentement le quartier de Chaktomuk pour le crématorium de Preah Meru, faisant face à la pagode Butomvatey. Soldats, bonzes, membres du gouvernement marchent ensemble en l’honneur du prince Norodom Ranariddh, décédé le 28 novembre en France.
"La disparition du prince Ranariddh est un coup de massue"
Au milieu du cortège, précédant le char funéraire orné de roses immaculées, de fleurs de jasmin et de lotus, le prince Norodom Chakravuth, fils aîné du défunt, avance au rythme des prières destinées à libérer l’âme de son père. À son côté, son frère, le prince Norodom Sihariddh, a lui aussi revêtu les dolman et kben blancs du deuil. Plus loin derrière eux, leur sœur la princesse, Rattana Devi, et leur mère, la princesse Marie. "Deux ans après la mort de la princesse Boppha Devi, la disparition du prince Ranariddh est un coup de massue", confie le prince Tesso Sisowath, qui chemine aussi auprès des siens pour ces ultimes adieux. "Peu à peu, nous voici orphelins de ces grands princes qui nous quittent trop tôt."

À jamais, la figure du premier fils du roi Sihanouk restera liée au retour de la monarchie au Cambodge, en 1993. Dirigeant alors le Funcinpec (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif) créé par son père en 1981, le prince Ranariddh remporte les élections législatives, entérinant la fin d’une guerre civile sur fond d’occupation vietnamienne.

La paix ne s’installera toutefois véritablement qu’à la fin des années 1990. Ranariddh doit alors partager le poste de Premier ministre avec Hun Sen, héritier du régime communiste qui conteste le scrutin. Il fait les frais de cette coalition en 1997, lors du coup d’État mené par son rival. En 1998, Hun Sen endosse seul le rôle de Premier ministre, tandis que Ranariddh de Cambodge devient président de l’Assemblée nationale.
La France, sa terre d'exil
Les dissensions entre le Funcinpec et le Parti du peuple cambodgien, majoritaire, ne cessent pas pour autant. Contraint à la démission en 2006, puis à l’exil après des accusations de corruption, Ranariddh se réfugie en France, pays auquel il est profondément attaché et où il a enseigné le droit. Dix ans plus tard, il reprend les rênes du parti royaliste. Mais son retour ne dure pas. En 2018, il est victime d’un grave accident de la route, qui coûte la vie à sa seconde épouse, Ouk Phalla, avec laquelle il a eu deux enfants en 2003 et 2011.

Dès les premières heures de la disparition du prince Ranariddh, Hun Sen, toujours chef du gouvernement, a salué la mémoire de son ancien adversaire, "grande figure royale avec une conscience ferme et sage, qui aimait la nation, la religion, le roi", et décrété une journée de deuil national.
À l’arrivée du cercueil devant la pagode Butomvatey, le Premier ministre est déjà présent et dépose des offrandes en l’honneur du défunt. Le roi Sihamoni, demi-frère du prince Ranariddh, et sa mère, la reine Monineath, viennent de rejoindre le cortège. Depuis la tribune royale, ils assistent aux derniers mantras prononcés pour le repos du prince disparu.

Quand le silence succède à la psalmodie des bonzes, le roi Sihamoni se lève et s’empare du boutefeu funéraire. La flamme qu’il porte vers le bûcher mettra plusieurs heures avant d’accomplir son œuvre. Au milieu des cendres ne demeurera que la pièce d’or déposée dans la bouche de Ranariddh avant la crémation. Le prince Chakravuth la recueillera le soir tombé, signe de la dernière bénédiction de son père, parti vers sa nouvelle vie.
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