Merci de nous recevoir au château Hohenzollern. Que représente cet endroit pour vous ?
Georg Friedrich de Prusse : Tout d’abord, de nombreux souvenirs d’enfance. Petit garçon, l’ensemble du domaine était pour moi un immense terrain de jeux. Je venais souvent avec mes cousins pour des fêtes de famille, des anniversaires ou des concerts. Nous étions totalement libres ici, ce que j’adorais. Bien sûr, avec le temps j’ai réalisé que ce lieu était le berceau de notre famille et j’ai compris son importance historique. Aujourd’hui, être responsable d’un tel monument est un honneur et un réel plaisir. Peu de choses ont changé, même si deux cents personnes travaillent ici. C’est devenu une véritable PME, un château qui vit avec 350.000 visiteurs par an. Et grâce à notre fondation, nous invitons des enfants de toute l’Allemagne et aussi de l’étranger à venir passer leurs vacances à Hohenzollern.

Votre grand-mère est en effet à l’origine de la Fondation Princesse Kira de Prusse qui a permis à des générations d’enfants défavorisés de partir en vacances. Cet héritage est-il important pour vous ?
Pour moi, c’est primordial. J’avais 18 ans quand mon grand-père, alors à la tête de la fondation, est décédé. J’ai donc hérité très jeune d’un siège au comité de direction. Mes grands-parents eux-mêmes étaient des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont dû quitter leur maison de Cadinen, en Prusse-Orientale [aujourd’hui Kadyny, en Pologne, ndlr] pour s’installer en Allemagne de l’Ouest. Quand ils en ont eu les moyens, ils ont décidé d’aider les autres en créant cette fondation dédiée aux enfants de Berlin-Ouest. Beaucoup d’entre eux avaient également perdu leur maison. Le rideau de fer rendait la situation de ces familles encore plus précaire. Le premier groupe d’enfants est venu à Hohenzollern en avion en 1954. Depuis, nous invitons des enfants issus de milieux défavorisés de toute l’Allemagne à venir passer leurs vacances ici. Mais nous avons aussi des programmes spéciaux ; par exemple, nous réunissons des groupes de jeunes de Palestine, d’Israël, des États-Unis et d’Allemagne qui viennent écrire et jouer de la musique tous ensemble. En 67 ans, nous avons accueilli 14.000 enfants. Ma femme a pris la tête de la fondation. Avant que nous nous rencontrions, elle travaillait déjà dans le domaine de la philanthropie. Je me suis toujours dit : puisqu’il y a une Fondation Princesse Kira de Prusse, elle doit être dirigée par une princesse de Prusse ! C’est merveilleux de voir son implication.

Vous étiez très jeune quand votre père a disparu, et votre grand-père a joué un rôle important dans votre vie. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?
C’était le meilleur grand-père qu’on puisse avoir. Il ne prétendait pas remplacer mon père, mais il était là. Jusqu’à mes 13 ans, il venait nous voir tous les jours, ma mère, ma sœur et moi. Nous faisions énormément de choses ensemble. Il était un musicien et compositeur ; nous jouions du piano tous les deux. Je dois dire d’ailleurs que je n’ai pas hérité du gène de mes ancêtres dans ce domaine… Frédéric le Grand, par exemple, était un musicien de talent et un compositeur reconnu. En grandissant, les conversations avec mon grand-père devinrent de plus en plus profondes. Un jour, il m’a regardé dans les yeux, fixement, et il m’a demandé : "As-tu conscience de ce qui t’attend, de ce que signifie être mon successeur ?" J’étais très jeune et un brin naïf et j’ai répondu : "Oui, je crois." Nous avons commencé à évoquer l’histoire de notre famille. Il avait conscience que ce ne serait pas tous les jours facile pour moi. Quand il s’est éteint, j’avais 18 ans, un très jeune âge pour être à la tête d’une famille comme la mienne, responsable de grands-oncles et de grands-tantes, de tant de cousins.

Les visiteurs viennent à Hohenzollern pour admirer le château, ses collections et, parmi elles, la couronne de l’empereur Guillaume II, votre arrière-arrière-grand-père…
Je suis très fier de représenter une famille qui fait partie de l’histoire de l’Allemagne. Mais je suis également très fier d’être un citoyen allemand comme les autres et de pouvoir savourer ma liberté. Je me sens responsable de ce lieu, j’aime partager avec les visiteurs, répondre à leurs questions. Nous menons actuellement un ambitieux projet de restauration des remparts qui court sur dix ans. Bien sûr, nous avons dû fermer le site pendant la pandémie, ce qui n’a pas été sans conséquences sur notre budget. Heureusement que nous pouvons accueillir à nouveau le public depuis juin. Mais je dois dire que je suis un optimiste de nature.

Racontez-nous la vie quotidienne de l’héritier du dernier empereur d’Allemagne…
Ma vie a pris un nouveau tournant il y a trois ans. Auparavant, je travaillais pour un cabinet de conseil spécialisé dans les sciences et l’innovation. J’ai néanmoins décidé de me concentrer sur les affaires familiales. Je ne pouvais plus continuer à me diviser en deux. Je vis avec ma famille à Potsdam. Chaque matin, je vais à mon bureau à vélo. C’est là que je gère les affaires courantes, notamment les discussions en cours avec les pouvoirs publics…

Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.