Exclusif. Notre entretien sans tabou avec Georg Friedrich de Prusse

Il est l’héritier des rois de Prusse et des empereurs d’Allemagne. Le prince de Prusse a reçu Point de Vue au château de Hohenzollern, berceau de sa famille. Pour la première fois, il se confie sur son enfance, son rôle et sur le bras de fer qui l’oppose aux pouvoirs publics pour la restitution d’une partie des biens familiaux.

Par Thomas Pernette - 30 juillet 2021, 07h00

 Le prince Georg Friedrich de Prusse, chef de la maison de Hohenzollern depuis 1994, pose dans les jardins du château de Hohenzollern.
Le prince Georg Friedrich de Prusse, chef de la maison de Hohenzollern depuis 1994, pose dans les jardins du château de Hohenzollern. © Julien de Rosa/Point de Vue

Merci de nous recevoir au château Hohenzollern. Que représente cet endroit pour vous ?

Georg Friedrich de Prusse : Tout d’abord, de nombreux souvenirs d’enfance. Petit garçon, l’ensemble du domaine était pour moi un immense terrain de jeux. Je venais souvent avec mes cousins pour des fêtes de famille, des anniversaires ou des concerts. Nous étions totalement libres ici, ce que j’adorais. Bien sûr, avec le temps j’ai réalisé que ce lieu était le berceau de notre famille et j’ai compris son importance historique. Aujourd’hui, être responsable d’un tel monument est un honneur et un réel plaisir. Peu de choses ont changé, même si deux cents personnes travaillent ici. C’est devenu une véritable PME, un château qui vit avec 350.000 visiteurs par an. Et grâce à notre fondation, nous invitons des enfants de toute l’Allemagne et aussi de l’étranger à venir passer leurs vacances à Hohenzollern.

Perché à 800 mètres d’altitude, aux portes du Jura souabe, le château de Hohenzollern domine le Bade-Wurtemberg. © Julien de Rosa
Perché à 800 mètres d’altitude, aux portes du Jura souabe, le château de Hohenzollern domine le Bade-Wurtemberg. © Julien de Rosa

Votre grand-mère est en effet à l’origine de la Fondation Princesse Kira de Prusse qui a permis à des générations d’enfants défavorisés de partir en vacances. Cet héritage est-il important pour vous ?

Pour moi, c’est primordial. J’avais 18 ans quand mon grand-père, alors à la tête de la fondation, est décédé. J’ai donc hérité très jeune d’un siège au comité de direction. Mes grands-parents eux-mêmes étaient des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont dû quitter leur maison de Cadinen, en Prusse-Orientale [aujourd’hui Kadyny, en Pologne, ndlr] pour s’installer en Allemagne de l’Ouest. Quand ils en ont eu les moyens, ils ont décidé d’aider les autres en créant cette fondation dédiée aux enfants de Berlin-Ouest. Beaucoup d’entre eux avaient également perdu leur maison. Le rideau de fer rendait la situation de ces familles encore plus précaire. Le premier groupe d’enfants est venu à Hohenzollern en avion en 1954. Depuis, nous invitons des enfants issus de milieux défavorisés de toute l’Allemagne à venir passer leurs vacances ici. Mais nous avons aussi des programmes spéciaux ; par exemple, nous réunissons des groupes de jeunes de Palestine, d’Israël, des États-Unis et d’Allemagne qui viennent écrire et jouer de la musique tous ensemble. En 67 ans, nous avons accueilli 14.000 enfants. Ma femme a pris la tête de la fondation. Avant que nous nous rencontrions, elle travaillait déjà dans le domaine de la philanthropie. Je me suis toujours dit : puisqu’il y a une Fondation Princesse Kira de Prusse, elle doit être dirigée par une princesse de Prusse ! C’est merveilleux de voir son implication.

Le prince Georg Friedrich de Prusse pose dans le château de Hohenzollern. © Julien de Rosa
Le prince Georg Friedrich de Prusse pose dans le château de Hohenzollern. © Julien de Rosa

Vous étiez très jeune quand votre père a disparu, et votre grand-père a joué un rôle important dans votre vie. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

C’était le meilleur grand-père qu’on puisse avoir. Il ne prétendait pas remplacer mon père, mais il était là. Jusqu’à mes 13 ans, il venait nous voir tous les jours, ma mère, ma sœur et moi. Nous faisions énormément de choses ensemble. Il était un musicien et compositeur ; nous jouions du piano tous les deux. Je dois dire d’ailleurs que je n’ai pas hérité du gène de mes ancêtres dans ce domaine… Frédéric le Grand, par exemple, était un musicien de talent et un compositeur reconnu. En grandissant, les conversations avec mon grand-père devinrent de plus en plus profondes. Un jour, il m’a regardé dans les yeux, fixement, et il m’a demandé : "As-tu conscience de ce qui t’attend, de ce que signifie être mon successeur ?" J’étais très jeune et un brin naïf et j’ai répondu : "Oui, je crois." Nous avons commencé à évoquer l’histoire de notre famille. Il avait conscience que ce ne serait pas tous les jours facile pour moi. Quand il s’est éteint, j’avais 18 ans, un très jeune âge pour être à la tête d’une famille comme la mienne, responsable de grands-oncles et de grands-tantes, de tant de cousins.

Le premier château est édifié par les comtes de Zollern au XIe siècle. Fortement endommagé au XVe siècle puis au XVIIIe siècle, il est complètement reconstruit par le futur roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, qui tombe amoureux du site et de ses ruines en 1819. © Julien de Rosa
Le premier château est édifié par les comtes de Zollern au XIe siècle. Fortement endommagé au XVe siècle puis au XVIIIe siècle, il est complètement reconstruit par le futur roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, qui tombe amoureux du site et de ses ruines en 1819. © Julien de Rosa

Les visiteurs viennent à Hohenzollern pour admirer le château, ses collections et, parmi elles, la couronne de l’empereur Guillaume II, votre arrière-arrière-grand-père…

Je suis très fier de représenter une famille qui fait partie de l’histoire de l’Allemagne. Mais je suis également très fier d’être un citoyen allemand comme les autres et de pouvoir savourer ma liberté. Je me sens responsable de ce lieu, j’aime partager avec les visiteurs, répondre à leurs questions. Nous menons actuellement un ambitieux projet de restauration des remparts qui court sur dix ans. Bien sûr, nous avons dû fermer le site pendant la pandémie, ce qui n’a pas été sans conséquences sur notre budget. Heureusement que nous pouvons accueillir à nouveau le public depuis juin. Mais je dois dire que je suis un optimiste de nature.

Le 27 août 2011, le prince de Prusse épouse la princesse Sophie d’Isembourg. © Walter/BESTIMAGE
Le 27 août 2011, le prince de Prusse épouse la princesse Sophie d’Isembourg. ©Walter/BESTIMAGE

Racontez-nous la vie quotidienne de l’héritier du dernier empereur d’Allemagne…

Ma vie a pris un nouveau tournant il y a trois ans. Auparavant, je travaillais pour un cabinet de conseil spécialisé dans les sciences et l’innovation. J’ai néanmoins décidé de me concentrer sur les affaires familiales. Je ne pouvais plus continuer à me diviser en deux. Je vis avec ma famille à Potsdam. Chaque matin, je vais à mon bureau à vélo. C’est là que je gère les affaires courantes, notamment les discussions en cours avec les pouvoirs publics…

Le prince Louis- Ferdinand de Prusse, grand-père du prince Georg Friedrich, lors de son mariage en 1938 avec la grande-duchesse Kira Kirillovna de Russie. © AKG-images
Le prince Louis- Ferdinand de Prusse, grand-père du prince Georg Friedrich, lors de son mariage en 1938...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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