Silhouette légère, panama sur la tête et robe de lin écrue, la princesse Rattana Devi Norodom semble sortie d’ un roman de Marguerite Duras. Elle arpente sa demeure ouverte sur le Mékong, traverse le jardin où s’emmêlent des branches d’acacias, de citrus et de poivriers, puis rejoint la route, les yeux rivés sur l’horizon. Comme happée par le fleuve, la petite-fille du défunt roi Sihanouk revit la promenade faite voici près de vingt ans. "C’est de là que j’arrivais quand je l’ai découverte en 2002. Elle était envahie par la jungle mais gardait une certaine majesté."
À l’époque, la jeune femme, en pleine campagne aux élections municipales, sillonne la province de Kratie, au nord-est de Phnom Penh. Candidate sous la houlette du parti royaliste cambodgien, elle a pourtant longtemps pensé que la politique n’était pas pour elle.
"J’ai étudié le droit et les sciences politiques, admiré l’action de mon grand-père pour son pays, celle de mon père, le prince Ranariddh, mais j’avais aussi le souvenir de discussions entre les gens de ma famille et Benazir Bhutto, par exemple. Tous racontaient leur bannissement ou leur emprisonnement. Je suis née en France du fait de l’exil des miens, mais être témoin de ces échanges faisait froid dans le dos ! Puis un jour, j’ai repris la direction des relations internationales du cabinet de mon père, lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale du Cambodge, entre 1998 et 2006."

Rattana Devi conseille notamment son père sur les questions liées à la lutte contre le sida. Au cours de sa campagne, on lui parle d’une résidence menaçant ruine dans la ville de Chhlong. "Il existe encore quelques anciennes villas coloniales ici. Tous ceux qui connaissaient cette maison étaient certains que je tomberais sous son charme. Ce qui s’est produit !"
Le Relais de Chhlong, une retraite paisible sur les bords du Mékong
S’il semble impossible de convaincre les propriétaires de vendre, Rattana Devi rachète ici et là des parcelles du terrain voisin. "Pendant la campagne, je venais sur le toit-terrasse pour admirer la vue." Datant de 1916, la maison, par ses volumes, ses colonnades et ses galeries, témoigne du temps où la ville de Chhlong prospère grâce au commerce du bois. "Sous le protectorat français, un responsable du bureau des douanes françaises a vécu dans cette maison. De ses fenêtres, il pouvait assister au spectacle insolite du flottage à bûches perdues."
Pendant des années encore, la jeune femme doit se contenter de rêver à la gloire passée du lieu. En 2006, un investisseur la coiffe au poteau et parvient à racheter la demeure. Agacée, elle l’entraîne dans une longue tirade sur l’expressivité des gargouilles qui s’échappent des murs. "Il ne s’agissait que de deux ou trois gouttières, mais cet homme ne pouvait pas voir de quoi je parlais. L’un de mes amis avait chipé les pièces en question !"
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Deux ans plus tard, son mari Ansiau La Planeta, ancien militaire aujourd’hui responsable en gestion de crises, lui offre en cadeau les actes de propriété pour ses 34 ans. "Il avait réussi à racheter la demeure en s’associant avec deux couples d’amis."
Peu à peu, Rattana, qui a mis entre parenthèses sa carrière politique, organise avec ses acolytes la restauration de ce qui deviendra Le Relais de Chhlong. "Un hôtel paisible que nous avons voulu replonger dans sa splendeur passée, espérant même exhumer de petits trésors." Comme ces fresques aux tons bleus et dorés découvertes dans la salle principale, une fois les plafonds décaissés.

Pour rester fidèles à l’esprit de la maison, les carrelages d’origine sont reproduits et déclinés en bordeaux, gris ou vert. Les gargouilles retrouvent leur place. "Ansiau a recréé leur moule et a peint les répliques avec nos trois enfants."
Pour la décoration, la bande d’amis ne marche qu’au coup de cœur et chine des meubles anciens. Cartes et photos sépia, lustres en fer forgé, salons Art déco épousent les espaces. Dix suites sont aménagées, chacune dotée d’une vaste salle de bains de style colonial et d’un salon années 1920. Certaines s’ouvrent sur une terrasse avec vue sur le Mékong. "Pour sortir des tons blanc cassé, mon mari a mis une option sur la décoration de la salle du bar en faisant jouer des aplats de peinture ocre et orangée."

Face au comptoir en bois exotique, un billard invite à faire sonner le silence qui est maître ici. Bientôt, il sera possible de disputer d’interminables parties en sirotant son cocktail maison… certainement un long drink pétillant.
Renseignements:
Merci à Phoenix Voyages, spécialiste des voyages en Asie du Sud-Est, circuits d’exception vers Phnom Penh et croisières autour du monde en avion privé (Ciels du Monde), www.phoenixvoyages.com
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