Azmet Jah, le "nouveau nizam" de Hyderabad

Il était jusqu’à présent le prince de Berar. Avec la disparition de son père, le 14 janvier 2023, il devient Asaf Jah IX et peut prétendre au titre, désormais de courtoisie, de 9e nizam de Hyderabad. Il aura la lourde tâche de poursuivre, en tant que chef de famille, l’œuvre de sa mère, la princesse Esra Jah, qui depuis bientôt quarante ans s’emploie à restaurer la gloire et la fortune de cette prestigieuse dynastie indienne.

Par Raphaël Morata - 26 janvier 2023, 07h30

 Azmet Jah pose devant le trône de la dynastie, dans le Durar Hall du palais de Chowmahalla.
Azmet Jah pose devant le trône de la dynastie, dans le Durar Hall du palais de Chowmahalla. © Antonio Martinelli

Sa famille ne règne plus sur Hyderabad depuis 1948. Et pourtant, en accompagnant la dépouille de son père vers son ultime demeure, le mausolée des nizams dans la mosquée Makkah Masjid, Azmet Jah, prince de Berar, peut mesurer la ferveur populaire toujours intacte et l’attachement envers sa dynastie. Deux jours de deuil ont été décrétés par les autorités indiennes et des funérailles d’État organisées ce 18 janvier 2023 pour rendre hommage au prince Mukarram Jah, petit-fils du dernier nizam de Hyderabad, qui s’est éteint à 89 ans à Istanbul. Au pied du trône en marbre, dans le Durbar Hall investi par des milliers de personnes, le nouveau chef de famille pourrait presque se croire revenu aux riches heures du palais Chowmahalla, l’un des symboles de la magnificence des nizams où, dit-on, plus de 11.000 domestiques œuvraient au quotidien. Et dire que sur les 180.000 mètres carrés que couvrait autrefois cette demeure royale, il n’en subsiste plus qu’un quart. 

Puissance et gloire des nizams

Si l’on peut encore admirer les vestiges somptueux de cette cour indienne de confession musulmane sunnite, on le doit à l’intelligence et l’opiniâtreté de la princesse Esra Jah, première épouse de Mukarram Jah, ainsi qu’au soutien sans faille de ses enfants et tout particulièrement de son fils aîné Azmet Jah. Après des décennies de gabegie, de procès et autres pierres précieuses disparues, ils ont su, tous ensemble, gérer avec discernement l’héritage familial. Une fortune qui n’a certes plus rien à voir avec celle d’Asaf Jah VII qui avait été élu par le Times, en 1937, homme le plus riche au monde !

L’une des dernières apparitions publiques de Mukarram Jah entouré des princes Alexander Azam Jah et Azmet Jah ainsi que de son ex-épouse, la princesse Esra Jah.
L’une des dernières apparitions publiques de Mukarram Jah entouré des princes Alexander Azam Jah et Azmet Jah ainsi que de son ex-épouse, la princesse Esra Jah. © Antonio Martinelli

Les historiens estiment que ce nizam – qui ne portait jamais deux fois le même vêtement, possédait le diamant Jacob, une pierre de 185 carats de la taille d’un œuf d’autruche, fit construire son propre réseau de chemin de fer et son aéro-club –, aurait été la 7e fortune de tous les temps avec 230 milliards de dollars. Parmi les 2583 cadeaux reçus par Élisabeth et Philip à leur mariage, il y avait deux magnifiques bijoux Cartier : un collier en diamants et un diadème. Ces journées de deuil rappellent à tous la gloire passée d’une dynastie originaire de la lointaine Samarkand.

Asaf VII, ici vers 1908 avec Sahebzada Azam Jah et Moazzam Jah Bahadur, deux de ses 34 enfants, est considéré comme la 7e fortune mondiale de tous les temps.
Asaf VII, ici vers 1908 avec Sahebzada Azam Jah et Moazzam Jah Bahadur, deux de ses 34 enfants, est considéré comme la 7e fortune mondiale de tous les temps. © Antonio Martinelli

S’affranchissant peu à peu des Moghols de Delhi, les Asaf Jah, plus connus sous le titre de nizams — administrateurs du royaume —, ont régné de 1724 à 1948 sur un pays prospère et gigantesque. Il recouvrait trois des actuels États indiens du Sud : l’Andhra Pradesh, le Karnataka et le Maharashtra. Les nizams firent de leur capitale, Hyderabad, une vitrine de leur puissance et de leur richesse en bâtissant plus d’une vingtaine de palais somptueux, dont certains sont désormais restaurés à l’initiative de la princesse Esra Jah et de son fils. Comme le Falaknuma, résidence des hôtes royaux du dernier nizam, donné en gérance au groupe hôtelier Taj, ou encore le palais royal Chowmahalla. 

Un prince chez Spielberg  

D’ailleurs, pour redorer le blason de sa prestigieuse dynastie d’"altesses exaltées" qui avaient le droit d’être saluées de 21 coups de canon, Azmet Jah, né en 1960 dans le quartier londonien de Paddington, a mis de côté sa carrière dans le cinéma. "J’ai étudié d’abord la photographie, qui était ma véritable passion, à New York. J’étais sur le point de rejoindre le Brooks Institute of Photography en Californie quand j’ai été pris à l’USC…"

Le petit-fils d'Asaf VII, Mukarram Jah épouse, en 1959, la princesse Esra Jah. Le couple divorce en 1974. À partir du mariage d’Azmet Jah, Esra Jah gère, mandatée par son ex-époux, le trust familial.
Le petit-fils d'Asaf VII, Mukarram Jah épouse, en 1959, la princesse Esra Jah. Le couple divorce en 1974. À partir du mariage d’Azmet Jah, Esra Jah gère, mandatée par son ex-époux, le trust familial. © Antonio Martinelli

Diplômé, en 1984, de l’University of Southern California, ce jeune photographe et assistant caméraman va travailler sur de nombreux films comme Indiana Jones et la dernière croisade, de Steven Spielberg, ou le Chaplin, de sir Richard Attenborough. Mais également avec les réalisateurs Nicolas Roeg et Paul Verhoeven, ou encore avec des directeurs de la photographie comme Douglas Slocombe et John A. Alonzo. S’il a vécu plus à l’étranger qu’en Inde, le prince a toujours été très attaché à Hyderabad où, enfant, il passait traditionnellement les fêtes de Noël. C’est là qu’il a appris à conduire et à tirer avec son père, pris des leçons de religion et d’ourdou. Mukarram Jah lui a même transmis sa passion pour l’image et la vidéo en 16 mm… 

De retour d'exil 

Après le divorce de ses parents, en 1974, et le remariage de Mukarram Jah, le jeune Azmet Jah et sa sœur, la princesse Shekhya, seront persona non grata à Hyderabad. Il faudra attendre vingt ans pour que leur père accepte enfin qu’ils retrouvent la terre de leurs ancêtres. Et 2002, pour qu’Azmet Jah soit fait prince de Berar, titre réservé à l’héritier du nizam. Malgré cette cassure, "le lien avec Hyderabad n’a jamais été rompu", affirme-t-il.

Au palais de Chowmahalla, le prince Alexander Azam Jah, issu du second mariage de Mukarram Jah, la princesse Ersa Jah et ses deux enfants, la princesse Shekhya et le prince Azmet Jah.
Au palais de Chowmahalla, le prince Alexander Azam Jah, issu du second mariage de Mukarram Jah, la princesse Ersa Jah et ses deux enfants, la princesse Shekhya et le prince Azmet Jah. © Antonio Martinelli

Avec son "retour d’exil", il commence à prendre de plus en plus de responsabilités, secondant sa mère, à l’énergie débordante. Il fait de la conservation des archives familiales une priorité, réalisant même un documentaire sur son célèbre arrière-grand-père. Dans cette démarche, il associe bien évidemment son épouse, Nawab Naz Begum, d’origine turque comme la princesse Esra Jah. "Nous étions des amis d’enfance à Istanbul au début des années 1960, confiait-il au magazine indien You & I. Puis nous nous sommes perdus de vue, et retrouvés par hasard trente ans plus tard. Nous sommes tombés amoureux et avons décidé de nous marier quelques jours après."

Mukarram Jah entouré de ses fils, les princes Azmet Jah et Alexander Azam Jah.
Mukarram Jah entouré de ses fils, les princes Azmet Jah et Alexander Azam Jah. © Antonio Martinelli

Un fils naîtra de cette romance stambouliote au long cours : Murad, désormais prince de Berar. "Il a grandi à Londres, confie sa grand-mère, la princesse Esra Jah. Il vient de terminer ses études en sciences et droit de l’environnement à l’université de Californie du Sud." "Il a fait partie de l’équipe de rugby de l’USC, ajoute avec fierté son père. Murad est également passionné de plongée et de photographie sous-marine !" À cette génération de poursuivre l’œuvre d’Esra Jah, pour « tout remettre à l’équerre". "Une mission d’héritage moral et historique, nous confie la princesse, âgée de 87 ans. Plus jamais, à Hyderabad, nous ne voulons nous retrouver devant des bâtiments historiques délabrés comme si un tsunami les avait frappés."

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement