Aujourd’hui, la ligne de succession au trône du Japon se résume à trois noms: le prince Akishino, frère cadet du nouvel empereur, 54 ans, le prince Hisahito, son fils, 13 ans, et le prince Hitachi, frère de l’empereur émérite Akihito, 84 ans, sans postérité. Autrement dit, l’avenir de la dynastie repose tout entier sur un unique enfant.
D’autant plus que, non seulement dans l’état actuel des choses les femmes ne peuvent régner, mais elles sont en outre condamnées à disparaître de la vie publique et à quitter leurs titres, devoirs et prérogatives aussitôt qu’elles épousent un roturier. C’est-à-dire aussitôt qu’elles se marient, l’aristocratie nippone ayant été abolie en 1947, en même temps qu’ont été déchues les dix branches cadettes de la famille impériale. Dire que la situation est critique relève de l’euphémisme.
Depuis plus de vingt ans, ce problème crucial resurgit comme un serpent de mer. En raison du nombre sans cesse plus restreint d’héritiers mâles au trône du Chrysanthème, les gouvernements japonais successifs s’interrogent régulièrement sur la transmission par les femmes.
La naissance du prince Hisahito avait stoppé les tentatives de réformes
En 2006, les dernières résistances du très conservateur parti libéral démocrate, au pouvoir quasi sans interruption depuis la dernière guerre, sont sur le point de céder lorsqu’un petit prince voit enfin le jour, Hisahito, fils d’Akishino et de Kiko, alors âgée de 40 ans. C’est la première naissance d’un garçon au sein de la famille impériale depuis son père, en 1965! La presse et la majorité crient au miracle et le gouvernement de Junichiro Koizumi, sous la pression des plus radicaux, enterre tout projet de réforme de la loi de succession impériale. Alors qu’au fond, rien n’est réglé.
Par l’expression publique de son souhait d’abdiquer, en 2016, l’empereur Akihito pense ouvrir la voie à une modification de cette loi d’airain qu’il faut de toute façon aménager pour lui permettre de se retirer. Il n’en est rien. Le Premier ministre Shinzo Abe, dont les relations avec le souverain sont loin d’être au beau fixe, ne veut pas donner l’impression de se faire forcer la main et se contente de dispositions a minima autorisant le seul Akihito à abdiquer.
Il faut attendre l’avènement de Naruhito sur le trône du Chrysanthème et l’automne 2019 pour que le débat renaisse. Via une intervention d’un poids lourd du parti, Akira Amari, président du comité de recherche sur les questions fiscales. "Nous devrions en priorité établir la ligne de succession parmi les descendants en ligne masculine, dit-il le 24 novembre, au cours d’une intervention télévisée. Cependant, en dernier recours, nous devrions considérer la ligne féminine comme une option."
Un pavé dans la mare, mais sans aucun caractère officiel. Jusqu’à ce 5 janvier 2020 et la confirmation d’une étude informelle sur les moyens d’assurer la survie de la famille impériale.
Établir une règle de primogéniture absolue qui laisse aux femmes la possibilité de régner
Cette fois, Shinzo Abe est à l’initiative de la démarche et même les plus conservateurs de ses partisans ont désormais conscience de l’urgence. Les auditions d’experts ont déjà débuté, sous la houlette de Kazuhiro Sugita, secrétaire en chef adjoint du cabinet du Premier ministre. Les débats officiels ne devraient pas s’ouvrir avant le 19 avril 2020 et la cérémonie du Rikkoshi no Rei ou proclamation par Akishino de son statut de prince héritier.
D’ores et déjà, cependant, les pistes de réflexion se dessinent et divisent au sein du parti au pouvoir. Les plus conservateurs veulent garder la règle actuelle de primogéniture masculine et encouragent le gouvernement à légiférer pour réintégrer au sein de la famille impériale les dix branches cadettes, déchues en 1947.
A contrario, le secrétaire général du parti libéral démocrate, Toshihiro Nikai, pencherait pour autoriser les membres de la famille impériale en ligne féminine à accéder au trône au nom de l’égalité de sexes. Un choix qui permettrait à tous les princes et princesses actuels d’être successibles et ajouterait à cette liste les sept anciennes princesses mariées en dehors de la famille impériale et les cinq enfants issus à ce jour de ces unions.
Le moyen terme de ces deux extrêmes serait de conserver la famille patrilinéaire actuelle, mais d’établir en son sein une règle de primogéniture absolue qui laisse aux femmes la possibilité de régner et leur conserve leur rang de succession et leurs titres même quand elles se marient hors de la maison impériale. Dans ces deux derniers cas, l’héritier du trône serait, non pas Akishino qui passerait au second rang dans la liste de succession, mais sa nièce, la princesse Aiko, 18 ans.
Il est probable que la solution du compromis ait la préférence du Premier ministre Shinzo Abe, à la fois pour des raisons de consensus au sein de son parti et pour des raisons électorales. Tout laisse, en effet, à penser qu’il va déclencher des élections législatives anticipées à l’automne, en s’appuyant sur le succès espéré des jeux Olympiques.
Il a besoin d’un nouveau mandat de quatre ans s’il veut parvenir à réformer en profondeur la constitution héritée de la guerre et retrouver la possibilité de doter son pays de forces armées offensives. Et il a besoin de rencontrer une large adhésion populaire, s’il veut conserver une majorité suffisante. Or, selon le dernier sondage effectué auprès de ses concitoyens, le 27 octobre 2019, 81,9% des Japonais souhaitent avoir une impératrice régnante. Cette fois, Shinzo Abe est au pied du mur.
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