En cette aube du 15 décembre, il fait un froid glacial à Bruxelles mais le coeur de la population bat à l’unisson d’une même joie. La foule se masse devant les grilles du palais royal. À 30 ans, leur souverain se marie, enfin. Les sujets de Baudouin n’ont appris sa félicité que trois mois auparavant, le 16 septembre, par un message radiodiffusé du Premier ministre, Gaston Eyskens. "J’ai la joie profonde de pouvoir annoncer au pays l’heureuse nouvelle des fiançailles de Sa Majesté le roi avec Fabiola Mora y Aragon, fille de feu don Gonzalo Mora y Fernandez, comte de Mora et marquis de Casa Riera, et de doña Blanca de Aragon y Carrillo de Albornoz..." Une jeune femme bien née, de 32 ans, Espagnole.
Pour son mariage, Fabiola a choisi le diadème de la reine Astrid
Peu avant 9 h, une limousine franchit les grilles du palais royal. En descend le roi Baudouin, en uniforme de lieutenant-général. Les invités pénètrent dans la salle du Trône. Où va se dérouler le mariage civil, retransmis par les télévisions. Sont présents le prince Axel de Danemark, le roi Umberto d’Italie, le prince Bertil de Suède, la grande-duchesse de Luxembourg... À 9h56, l’assistance salue la famille royale.
Les regards convergent vers les futurs mariés. Le front ceint du diadème de la reine Astrid dont les diamants représentent les neuf provinces belges, Fabiola s’avance au bras de Baudouin dans la robe créée par Balenciaga. Le styliste espagnol s’est surpassé, travaillant une soie mate tissée à Rocafort, en Catalogne. Le décolleté bordé d’hermine met en valeur les épaules et le cou de Fabiola, sa traîne confère plus de majesté à sa démarche. Les futurs époux une fois installés sur l’estrade, le ministre de la Justice, Albert Lilar, atteste "l’assentiment unanime des ministres réunis en conseil au mariage de Sa Majesté Baudouin, roi des Belges, et de doña Fabiola Mora y Aragon."
Le roi n’a nul besoin de l’aval de son gouvernement pour convoler. C’est une façon pour les politiques de manifester leur soutien au roi. Albert Lilar cède la place au bourgmestre de Bruxelles. Lucien Cooremans pose la question solennelle : "Sire, Votre Majesté déclare-t-elle prendre pour épouse doña Fabiola Fernanda Maria-de-las-Victorias Antonia Adelaïda Mora y Aragon ?" Baudouin se tourne vers Léopold III, qui incline la tête en signe d’accord. Le roi répond alors par un oui ferme. "Madame, déclarez-vous prendre pour époux Sa Majesté le roi Baudouin Albert Charles Axel Marie Gustave, prince de Belgique ?" Même réponse volontaire. "Au nom de la loi, je vous déclare unis par le mariage." Très émus, les époux se prennent par la main.
Le bourgmestre se lance dans un discours qui sera traduit en flamand : "Vous arrivez, Madame, précédée de l’éloge que faisaient vos compatriotes de vos qualités de coeur et d’esprit, mais ce fut plus encore la perception immédiate de votre simplicité, de votre grâce et de votre bonté qui le conquirent dès le premier contact. Ce peuple, auquel son souverain, par son choix, vous avait donnée, s’est donné à vous à son tour, spontanément, de toute son âme." Il est 10h35, le mariage civil s’achève. Le couple royal quitte la salle du Trône.
Baudouin et Fabiola unissent leurs destins devant 7.000 invités
"Devant le palais royal, écrivent les biographes de Fabiola*, un régiment d’infanterie de la Garde. De l’autre côté de la place des Palais, plusieurs escadrons de la Garde à cheval, lance à l’étrier et bonnet à poils sur la tête." Le retard pris sur le programme est considérable. À 12h15, retentissent cent un coups de canons. La sonnerie de la "Brabançonne" éclate. Voici la Cadillac au toit de verre qui va conduire le couple à la cathédrale. Les vivats fusent. Les six mille cinq cents hommes du service des Forces armées peinent à contenir cet enthousiasme. Descendus de voiture devant la cathédrale, Baudouin et Fabiola gravissent sous un dais de velours une quarantaine de marches. L’une après l’autre, les limousines déposent devant Saints-Michel-et-Gudule les invités royaux.
Il est 12h30. Le couple remonte la nef noyée sous les oeillets et les roses. Tout le Gotha est présent, ainsi que les dignitaires du royaume, membres du gouvernement, parlementaires et hauts fonctionnaires. Au total, sept mille personnes. Contrairement aux usages, Baudouin conduit lui-même à l’autel celle sur qui sont braqués tous les regards. À mi-chemin, Mgr Suenens, évêque coadjuteur de Malines et confident du roi, accueille le couple en ces termes : "Que Dieu répande sur vous la rosée de Sa Grâce." Le cardinal Van Roey, archevêque de Malines, préside la cérémonie. Trente-quatre ans auparavant, c’est lui qui avait marié le futur Léopold III et Astrid.
Mgr Forni, nonce apostolique, donne lecture du message envoyé par Jean XXIII au cardinal Van Roey, auquel le Saint-Père confie le soin de bénir une union dont il se félicite. Le cardinal archevêque de Malines prend la parole. S’adressant à Baudouin, il salue en sa personne "le digne successeur d’une prestigieuse lignée de souverains" et évoque "l’héritage glorieux que Votre Majesté a dû porter sur ses jeunes épaules dans des circonstances extrêmement pénibles". "Madame, déclare ensuite monseigneur Van Roey à Fabiola, vous prendrez rang avec honneur dans la galerie historique des épouses et des mères de nos rois."
L’instant des consentements est arrivé. Les fiancés ont décidé de modifier la formule en substituant au "vous" un "tu" appuyé. "Moi, Baudouin, je me donne à toi, que je tiens ici par la main, ma foi de mariage, et je te prends pour ma légitime épouse devant Dieu et sa sainte Église." Fabiola reprend, dans les mêmes termes, l’accent ibérique en plus : "Moi, Fabiola, je me donne à toi..." Chacun des époux passe au doigt de l’autre l’anneau béni. Troublés, ils en oublient de dire Amen. Il est 13 heures, Fabiola est devenue la cinquième reine des Belges, succédant à Louise-Marie, Marie-Henriette, Élisabeth et Astrid.
La messe est célébrée par Mgr Suenens. Après la communion, les témoins signent les registres. Un honneur qui échoit, pour Baudouin, à son frère Albert et à son demi-frère Alexandre, et pour Fabiola à ses deux frères, le comte Alejandro de Mora et le marquis de Casa Riera.
"Mon coeur et ma vie appartiennent non seulement à mon époux mais à vous tous"
Accompagnés par la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach, Baudouin et son épouse sortent de la cathédrale sous une voûte d’acier formée des sabres tendus par soixante officiers des trois armées belges. Le bourdon de Saints-Michel-et-Gudule se met à sonner, relayé par toutes les cloches de la capitale. Les canons tirent des salves d’honneur et cinq mille pigeons sont lâchés, porteurs de bagues enfermant des portraits des mariés. "Vive le roi ! Vive la reine ! Vive Fabiola !" Les souverains saluent la foule. Enfin, ils prennent place dans la Cadillac.
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