Stéphanie de Boüard-Rivoal, nouvelle gardienne du domaine d’Angélus à Saint-Emilion

Depuis 2012, Stéphanie de Boüard-Rivoal a pris la suite de son père, Hubert de Boüard de Laforest, à la tête du domaine, l’un des cinq premiers grands crus classés de Saint-Émilion. L’occasion pour cette représentante de la huitième génération de se diversifier dans l’hôtellerie sans perdre de vue l’amour de la vigne.

Par Pauline Sommelet - 17 juillet 2022, 08h38

 Hubert de Boüard de Laforest, sa femme Emmanuelle, sa fille Stéphanie (assise) entourée par son mari Marc et ses fils Côme et Antoine.
Hubert de Boüard de Laforest, sa femme Emmanuelle, sa fille Stéphanie (assise) entourée par son mari Marc et ses fils Côme et Antoine. © Julio Piatti

Dans les rangées rectilignes d’où surgissent parfois quelques roses trémières, deux chevaux se fraient un passage entre chaque cep, lentement mais sûrement. Décavaillonner le plant sans brutaliser ses racines anciennes, renforcer sa vigueur et conserver la souplesse de la terre : autant de raisons de préférer les chevaux, réintroduits dans le vignoble depuis plusieurs années, au tracteur.

Chez Stéphanie de Boüard-Rivoal à Saint-Émilion.
Les deux chevaux qui sillonnent la vigne pour travailler la terre sans la brutaliser comme le ferait un engin à moteur. © Julio Piatti

"Leur emploi s’inscrit dans un projet plus vaste et une approche holistique de notre domaine, confirme Stéphanie de Boüard-Rivoal. Une colonie de chauves-souris pour chasser les nuisibles, des vaches tout juste arrivées du Gers pour brouter la jachère, et bientôt une ferme et des champignonnières dont les produits, acheminés par la Dordogne, iront fournir les cuisines de notre restaurant de Bordeaux sont autant de façons de nous inscrire dans une agriculture vertueuse et durable."

"Je me suis sentie très tôt appelée à jouer un rôle au sein du domaine"

En attendant c’est bien là, au milieu des vignes, que tout a commencé pour une famille implantée dans le Bordelais depuis 1544 qui compte même, dans les racines de son arbre généalogique, une certaine Aliénor d’Aquitaine. "C’est seulement au XVIIIe siècle que nos ancêtres s’installent dans le vignoble de Mazerat par une alliance avec les Souffrain de Lavergne", souligne Stéphanie. Le domaine s’agrandit jusqu’à l’acquisition de la fameuse parcelle circonscrite par trois églises – celle de Saint-Émilion, celle de Saint-Martin et la chapelle de Mazerat – dont la forme d’amphithéâtre naturel confère au tintement des cloches, qui résonnent trois fois par jour pour la prière de l’Angelus, une sonorité extraordinaire.

Les deux grandes cloches du carillon du domaine baptisées Émilion et Angélus.
Baptisées Émilion et Angélus, les deux grandes cloches du carillon du domaine – qui en compte 18 – accueillent les visiteurs de chaque pays au son de leur hymne national. © Julio Piatti

"Encore aujourd’hui, elles rythment les travaux de la vigne et répondent au carillon du domaine, auquel est adossée la maison familiale de mes grands-parents." C’est là que Stéphanie a donné rendez-vous à son père Hubert et à sa femme, pour un déjeuner sur l’herbe où la rejoignent son mari et ses deux fils, Côme et Antoine, tout juste sortis de l’école voisine de Saint-Émilion. Ils ne goûtent pas encore au "jus de vin" que les enfants du village ont coutume d’apporter à l’école. Mais les vignes qui entourent la maison sont un vaste terrain de jeux pour les deux garçons âgés de 5 et 6 ans.

Chez Stéphanie de Boüard-Rivoal à Saint-Émilion.
Du fumoir, propice à la dégustation, au chai à barriques, en passant par le nouveau chai semi-enterré, qui conserve naturellement la fraîcheur et produit une partie de son électricité grâce à des panneaux photovoltaïques, chaque étape de la production du vin mobilise les meilleurs des savoir-faire. © Julio Piatti

"Je me suis sentie très tôt appelée à jouer un rôle au sein du domaine, témoigne la jeune femme, qui a deux frères et une sœur. Sans doute grâce au rapport très fort que j’entretenais avec mon grand-père et mon père, qui chacun à leur manière m’ont transmis la passion du vin : mon grand-père en me faisant déguster nos propres millésimes avec une générosité unique, mon père en ouvrant mes horizons grâce à une cave née de ses voyages à travers le monde." Le temps de voler de ses propres ailes avec un passage par Londres et le monde de la finance, et la jeune femme revient prendre la relève de son père et de son oncle pour "une transition en douceur". "Elle a su prendre les bonnes décisions", reconnaît son père.

Stéphanie lance Tempo en 2015

Outre un nouveau chai 100% gravitaire pour préserver l’intégrité du fruit, très performant sur le plan environnemental, elle imagine une bouteille noire aux reflets d’or pour le millésime 2012, qui célèbre les 230 ans du domaine. Après le Logis de la Cadène, la plus ancienne auberge de Saint-Émilion, elle rachète en 2019 Le Gabriel, à Bordeaux, qui a depuis décroché sa première étoile, et fait rénover une immense maison d’hôtes au cœur de Saint-Émilion. "Nous sommes passés de 22 à 150 salariés", sourit-elle en reconnaissant les défis que cette diversification engendre.

Chez Stéphanie de Boüard-Rivoal à Saint-Émilion.
Depuis les vignes, le domaine d’Angélus est reconnaissable au carillon qui surplombe le campanile. © Julio Piatti

Une audace héritée des femmes de la famille, qui ont toujours eu une influence décisive sur la destinée d’Angélus. "C’est pour faire plaisir à sa femme que mon arrière-grand-père a augmenté la proportion de cabernet franc à 45 % aux dépens du merlot, dans les années 1920, raconte la jeune femme. C’est cette forte présence de cabernet franc qui donne aujourd’hui à notre vin cette alliance inédite de puissance et d’élégance." En mémoire de cette aïeule inspirée, Stéphanie a souhaité une cuvée 100% cabernet franc, "Hommage à Élisabeth Bouchet".

Chez Stéphanie de Boüard-Rivoal à Saint-Émilion.
Sous la coursive qui longe le domaine, le blason de la famille Boüard de Laforest. © Julio Piatti

Dans le sillage de son vin exceptionnel, la famille élabore aussi, depuis plusieurs décennies, différentes cuvées, du prestigieux Carillon, un grand cru Saint-Émilion, jusqu’à Tempo, le dernier-né lancé par Stéphanie en 2015 sous l’appellation Bordeaux grâce à l’acquisition de nouvelles parcelles choisies avec soin. "Notre souhait est de continuer à travailler uniquement notre vigne pour maîtriser toutes les étapes de la production", souligne la jeune femme.

Chez Stéphanie de Boüard-Rivoal à Saint-Émilion.
Une borne signale l’entrée du domaine, où résonne encore trois fois par jour le tintement des cloches des églises voisines. © Julio Piatti

Comme toute la profession, le domaine doit s’adapter à des aléas climatiques, de plus en plus erratiques, tout en relevant le défi de la conversion progressive au bio. Il en faudrait plus pour effrayer Stéphanie, qui confesse volontiers, comme Scarlett O’Hara, un attachement viscéral à la terre de Saint-Émilion qui la saisissait déjà enfant, quand elle contemplait les premières lueurs de l’aube caresser le vignoble, avant même que ne sonne l’angélus.

www.chateauangelus.com

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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