C’est une histoire commencée il y a plus de 200 ans, un rêve formulé en 1780 et qui se réalise enfin au XXIe siècle. À l’extrémité de la Saline royale d’Arc-et-Senans, conçue selon le plan en demi-cercle de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, de nouveaux jardins se succèdent, donnant l’impression d’un monde sans frontière. Prairies fleuries, conservatoire de blés anciens, bassins se faisant le miroir du ciel et saulaie destinée à fournir du matériel de vannerie, ces espaces verts imaginés par le paysagiste Gilles Clément s’inscrivent dans un parfait demi-cercle de cinq hectares.

Cet hémicycle végétal complète ainsi l’arc mitoyen formé par les anciennes manufactures de sel de Ledoux commandées par Louis XV et construites sous Louis XVI. Comme pour boucler la boucle, le concept de jardin planétaire formulé par un jardinier des années 2000 répond à l’utopie d’un architecte du XVIIIe siècle.
Les salines, premier établissement industriel inscrit à l’Unesco
Si, à sa création, la saline royale est destinée à rationaliser la production du sel franc-comtois, elle révèle dès les premiers plans de Claude-Nicolas Ledoux le fantasme d’une cité idéale, pensée pour accueillir 250 habitants parmi lesquels un instituteur et un médecin. Une entrée presque théâtrale est réservée au visiteur. Après être passé sous d’imposantes colonnes doriques derrière lesquelles se dessine un péristyle en forme de grotte, il découvre un lieu organisé autour de l’ancienne maison du directeur de la saline et représentant du roi.

D’inspiration néo-classique, la demeure est reconnaissable à ses monumentales colonnes dites "à bossage cubique un-sur-deux", qui lui confèrent une allure futuriste. À l’époque, elle comporte un tribunal et une chapelle. De part et d’autre, des bernes, une tonnellerie, une maréchalerie puis des logements ouvriers assortis de jardinets où la nature est aujourd’hui à peine contenue, illustrant les préceptes du jardin en mouvement selon Gilles Clément.

Différents espaces questionnent ainsi la nature autour de plusieurs concepts : le temps, le recyclage, l’équilibre en biodiversité ou encore la méditation. Sur chaque façade sont sculptées des urnes figurant du sel coulant à flots. L’activité de la saline ne durera guère plus de 120 ans. La manufacture s’avère très vite un échec mais doit son salut à la splendeur de ses bâtiments et à l’audace de ses plans fondés sur une géométrie sublimée à 180°.

En 1982, elle est le premier établissement industriel inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Ses bâtiments sont transformés en salles d’expositions et de concerts. L’ancienne tonnellerie devient le musée Claude-Nicolas Ledoux, où plusieurs maquettes témoignent de la pensée humaniste de l’architecte. On y découvre non seulement des modèles réduits de l’hôtel Thellusson, situé jadis rue de Provence, à Paris ; des anciennes barrières d’octroi qui s’érigeaient tout autour de la capitale, des projets de bourse ou de palais de justice mais aussi les diverses ébauches de la saline. La plus spectaculaire révèle la véritable ambition de Ledoux. Baptisée cité idéale de Chaux, du nom de la forêt voisine, cette saline rêvée est dotée de temples, de bains publics, de fontaines... une vie à 360° pensée pour le bien-être des ouvriers du sel.
Des jardins pédagogiques pour découvrir la permaculture
En 2019, grâce à l’aménagement paysager mené notamment par Gilles Clément, le département du Doubs recrée le "cercle immense" imaginé par Claude-Nicolas Ledoux et répond à son utopie à travers des réflexions actuelles liées à l’environnement et à l’écologie. Le second demi-cercle, qui vient tout juste d’être inauguré, accueille des jardins pédagogiques, où sont enseignés les principes de la permaculture. Lorsque la nature aura fait son œuvre, il offrira aussi une promenade comestible autour des fruitiers, un parterre de plantes aromatiques et médicinales ou encore un labyrinthe.

C’est aussi dans ce nouvel arc que se tient désormais le festival des jardins, organisé par la saline depuis plus de vingt ans. L’événement invite de jeunes paysagistes à concevoir des espaces verts selon un thème proposé.

Cette année, à l’invitation de Gilles Clément, les participants ont réfléchi à la façon dont la nature exprime sa résilience face aux bouleversements climatiques. Au cœur de la promenade, des sculptures d’'oursons métis", qui seraient nés de la rencontre des grizzlis avec les ours polaires, symbolisent ces changements.

Plus loin, une parcelle de nature ensauvagée met en scène les conséquences d’une catastrophe naturelle. Comme un écho à la saline originelle, qui exprime à travers la pierre toute la puissance d’une philosophie sur le bonheur des hommes, le deuxième demi-cercle se veut un véritable laboratoire végétal où s’invitent toutes les forces de la nature dont l’œuvre unique serait de faire vivre l’espoir.
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