Chez Constance et Lawrence Slaughter à Apt

Ce domaine du Luberon produit du vin depuis l’Antiquité. Grâce à la vision du cabinet Lafourcade de Saint-Rémy-de-Provence, son château biscornu, dont les plus anciens éléments datent du XIIIe siècle, vient de trouver cohérence et harmonie, afin d’accueillir un couple franco-américain plein d’enthousiasme.

Par Marie-Eudes Lauriot Prévost - 06 octobre 2022, 07h04

 Lawrence et Constance Slaughter devant la façade sud ombrée par le micocoulier, dans le jardin créé par la paysagiste Cécile Mangeot.
Lawrence et Constance Slaughter devant la façade sud ombrée par le micocoulier, dans le jardin créé par la paysagiste Cécile Mangeot. © Julio Piatti

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la rencontre entre les Slaughter et le château de Mille n’a pas été de tout repos. "J’ai dit : absolument jamais !", sourit Constance. "Et moi : peut-être", relève Lawrence. Mariés depuis trente ans, parents de trois garçons qui ont grandi à Londres, où elle, française, est artiste, et lui, américain, travaille dans la finance, ils cherchent le domaine viticole qui abritera leur nouvelle aventure professionnelle et humaine. La région des côtes-de-provence n’a rien donné, et les voilà plus à l’est dans le Luberon, guidés par Alexandre Lafourcade. L’entrepreneur de Saint-Rémy sait comme personne repérer le potentiel d’une bâtisse, aussi compliquée soit-elle.

Dix-huit mois d'intenses travaux

Aux abords d’Apt, posé dans les collines de terre rouge, le château de Mille n’a pas vraiment fière allure avec son dédale de constructions ajoutées au fil du temps et d’éléments creusés à même la pierre calcaire il y a plus de huit siècles. Une forteresse initiale percée de fenêtres à meneaux, des façades du XVIIIe siècle, un terrain en pente et, une fois à l’intérieur, un labyrinthe inextricable. "Ignorez l’existant. Voilà ce que vous pouvez obtenir", promet le bâtisseur, croquis en main. Son sens de la persuasion, ajouté à l’excellente réputation du terroir vinicole des lieux, finissent de convaincre les Slaughter.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
Aux Slaughter de faire vivre cette maison, dont l’histoire remonte au-delà de l’Antiquité, à l’image des éléments creusés dans la roche calcaire se mêlant aux constructions du XIIIe. © Julio Piatti

Quatre ans plus tard, on les retrouve plus sereins à l’entrée du château qui a conservé son éclectisme et sa patine héritée d’une si longue histoire, mais nettoyée avec soin. Une porte, aussi petite que la clé qui sert à l’ouvrir est grande, dévoile la nouvelle entrée, point de départ d’une spectaculaire cage d’escalier.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
Avant les travaux, le château de Mille est desservi par un escadrin étriqué. Alexandre Lafourcade a commencé par excaver 12m3 de roche pour créer cette spectaculaire cage d’escalier. © Julio Piatti

"Il faut imaginer que douze mètres cubes de roche ont été excavés pour créer cet espace !", indique Constance en descendant vers l’entresol, où sont situées la cuisine et la salle à manger d’hiver, ainsi qu’une grande terrasse plein sud où tout se passe l’été. Et là, surprise, aux antipodes de la façade nord, Mille prend des airs de bastide avec sa haute façade aux fenêtres régulières qui ouvrent sur un jardin tout en symétrie dessiné par la paysagiste d’Apt Cécile Mangeot.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
Une partie de la collection d’art contemporain de Constance a trouvé sa place dans le petit salon d’hiver, comme ce tableau de Chantal Joffe. © Julio Piatti / ADAGP, PARIS, 2022

Un étage plus haut, deux salons plus feutrés se succèdent, tandis que les chambres lumineuses se répartissent sur les deux derniers niveaux. Cette redistribution des lieux a nécessité dix-huit mois de travaux intenses, jusqu’à la dépose de toutes les fenêtres et des toits. "Même les ouvriers avaient du mal à s’y retrouver ! note Alexandre Lafourcade. Mais j’étais sûr de moi."

"Nous avons été séduits par la richesse artisanale et humaine de la région"

De Londres où ils vivent alors, Constance et Lawrence Slaughter multiplient les allers-retours afin de préparer leur reconversion. Un nouveau chai (le troisième) sort de terre, notamment équipé d’œufs en béton pour le blanc et d’amphores en terre cuite pour le rouge, respectueuses du goût du vin. La salle de dégustation est réaménagée et la vinification retravaillée avec l’aide du Cabinet d’Agronomie provençale. Il y a un an, une partie du déménagement est arrivée, dont la collection d’art contemporain de Constance, elle-même artiste.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
En août, Lawrence Slaughter a quitté son poste de vice-président exécutif de la Bank of America, à Londres, pour embrasser sa nouvelle vie de vigneron, aux côtés de son épouse. © Julio Piatti

Le décorateur Dominique Jean-Lavabre s’est mis de la partie pour installer dans les salons les grandes toiles de Chantal Joffe, Sarah Lee ou Ryan Mosley. Un lustre monumental de la firme anglaise Cox London fait entrer la nature dans la cage d’escalier, réplique de branches de chênes en acier et laiton. Les étoffes qui habilleront les chambres sont choisies dans le catalogue des Olivades, l’éditeur de tissus provençaux de Saint-Étienne-du-Grès, tout comme les tomettes et les dalles chez Chabaud, à Apt. "Nous avons été séduits par la richesse artisanale et humaine de la région", note Constance, installée avec son mari près de l’aiguier, ce bassin creusé à même la roche, destiné à l’irrigation, dont l’origine remonterait bien avant l’époque romaine – peut-être 2.000 ans avant Jésus-Christ, d’après les historiens.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
Dans les chambres, meubles chinés et tissus des Olivades composent un décor sobre et joyeux. © Julio Piatti

Cet été, Lawrence Slaughter a quitté son poste de vice-président exécutif de la Bank of America, à Londres, et rejoint Constance venue en éclaireur, pour devenir, comme l’indique son compte LinkedIn, "vigneron en Provence". Dans un français et un calme parfaits, il évoque leur volonté de bien traiter la terre et la vigne qui vient d’être vendangée, dont la certification bio entamée en 2018 est désormais effective. Des vingt-trois hectares cultivés aujourd’hui, le château de Mille peut monter à cinquante hectares pour produire des blancs, des rosés et des rouges en AOC Luberon.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
L’ancienne salle à manger voûtée et sa cheminée du XIIIe siècle ont été restaurées avec soin. © Julio Piatti

Deux de ces cuvées ont été baptisées Célestine et Saint Lucide, hommage aux deux statues de bois polychromes retrouvées lors des travaux. "Nous les avons vues comme un signe de protection", relève Constance. Leurs enfants les prennent un peu pour des fous, ils en sourient et se réjouissent à l’idée de les rassembler bientôt pour fêter leurs trente ans de mariage.

Chez Constance et Lawrence Slaughter au château de Mille à Apt.
La petite chapelle a retrouvé son autel baroque restauré par Gilles Tournillon, ainsi que les bustes des deux protecteurs du domaine, saint Lucide et sainte Célestine. © Julio Piatti

Château de Mille, route de Bonnieux, à Apt (Vaucluse). Tél.: 0488852215.

www.chateau-de-mille.com

Le château propose aussi à la location deux gîtes, pour 4 et 6 personnes, attenant à la propriété.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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