Leur cher "appartement d’égoïstes", ils l’ont au cœur du vieux Paris. Dans un ancien hôtel particulier Grand siècle dont l’orgueileuse beauté défie le temps. Moins une résidence parisienne qu’un cocon précieux, où se marient leurs collections d’art d’un goût infini. Didier Ludot, physique de menhir breton mais le regard fin, encore aiguisé par l’amour de l’objet et une immense culture, avoue une prédilection pour les bronzes de toute époque et les sièges, surtout anciens. Félix Farrington, aussi méditerranéen que son compagnon est marmoréen, aussi prolixe que Didier est taiseux, n’a d’yeux que pour la porcelaine et ces pastels "qui sont un moment volé de la vie, la photo de l’époque, qu’il s’agisse du XVIIe ou du XVIIIe siècle".
Didier et Félix, des "collectionneurs de collections"
Il y en a plein les murs, yeux de reine, de ministre, de dauphin, sur trois niveaux, qui vous regardent comme d’un théâtre dont le salon serait la scène. Dame de qualité de la fin XVIIe, portraits de Necker, de Louis XVII, de Marie-Antoinette par Dagoty, une huile cette fois... tous disent le raffinement de la Cour et de l’Ancien Régime. Ils alternent avec des vitrines, niches, consoles d’appliques débordantes de Bacchus en biscuit de Sèvres, de Malabars ou de Vénus en porcelaine de Meissen, de pots à oignons de la manufacture de Locré, de surtouts Empire en porcelaine de Paris.

Çà et là, un vase-totem ou une coupe en céramique émaillée d’Ettore Sottsass apportent une touche contemporaine et colorée. "Quand nous nous sommes rencontrés, en 1990, sourit Didier Ludot, nous avions justement des appartements contemporains, assez vides. Chacun a fait le tri dans l’appartement de l’autre." Pour créer ensemble cet univers foisonnant. Tout autre encore que celui où a grandi Didier, en Bretagne, dans les années 1950.

Dès l’âge de 4 ans, il accompagne sa mère chez la couturière où cette amoureuse de la mode fait copier des modèles de créateurs. "À l’époque, on gardait les vêtements, la garde-robe de mamère prenait un étage entier." Arrivé à Paris, il fréquente l’École supérieure des arts modernes, travaille comme étalagiste à la Compagnie française de l’Orient et de la Chine puis, en 1974, à 20 ans, ouvre sa première boutique au Palais-Royal. Il y vend les bijoux, accessoires et bientôt robes haute couture rétros, chinés en salle de vente ou que lui apportent les habitantes du quartier. Il vient d’inventer un concept et son succès perdure quarante-huit ans plus tard.

Félix, lui est né au Maroc, d’un père décorateur du prince Moulay Abdellah, le frère du roi Hassan II. Il suivra les cours de l’École des arts décoratifs, à Paris, avant de rejoindre Dior et lesdessinateurs de Marc Bohan. Il crée ensuite ses propres collections avant de devenir directeur artistique pour le Printemps. C’est là, en 1996, qu’il imagine l’exposition La Petite Robe Noire, dédiée à la collection de robes rétro de Didier Ludot. "Cela allait des années 1930 à 1970 et j’ai créé pour l’occasion deux robes par décennie, inspirées par l’époque. Trois ans plus tard, nous ouvrions la boutique La Petite Robe Noire au Palais-Royal. J’ai sorti, jusqu’en 2015, deux collections par an de robes dans l’esprit rétro. Maintenant, j’ai davantage de temps pour me consacrer à l’art du jardin, à Saint-Rémy."

Le beau, toujours et partout, et cet amour à la folie des collections qui réunit Didier et Félix. Quête délicieuse de ces deux "collectionneurs de collections", tels qu’ils se définissent eux-mêmes. Dans leur pied-à-terre parisien acheté voici vingt ans, se mêlent encore avec une audacieuse harmonie ces chers "objets qui ont appartenu à des gens". Dessins de Saint Laurent pour les dîners d’Alexis de Redé, études de Christian Bérard issues des collections du divin baron et de l’hôtel Lambert, paire de repose-pieds Regency provenant de la vente historique Saint Laurent, service du déjeuner de mariage du duc et de la duchesse de Windsor au château de Candé, en 1937...

La liste est inouïe de ces mille deux cents pièces qui ont chacune une histoire et qu’ils ont décidé de vendre pour mieux ouvrir un nouveau chapitre de leur vie, continuer de chiner avec le même art et la même gourmandise qu’ils mettent à donner pour leurs amis des dîners d’une élégance que l’on croyait à tout jamais perdue. "Nous ne sommes pas vraiment attachés aux choses, assure Didier Ludot. Quand j’ai eu un objet un moment, je l’ai pour la vie." La vente aux enchères, le 17 novembre, de la collection Ludot-Farrington n’est pas une fin mais une fête, un instant de rêve offert à tous ceux qui veulent bien le partager.

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