En surplomb du lac Saimaa, une digue héritée de l’ère glaciaire serpente sur sept kilomètres. Le plus naturellement du monde, elle monte, descend, s’élargit et joue avec les reflets d’une eau si pure qu’aujourd’hui encore, on peut volontiers la boire. L’histoire raconte d’ailleurs qu’il y a un peu plus de deux siècles, en voyage dans ses nouvelles terres du grand-duché de Finlande, le tsar Alexandre Ier soit tombé en arrêt devant ce fascinant paysage, au lieu-dit de Punkaharju.

Par la signature du traité de Fredrikshamn, l’Empire russe vient tout juste de prendre la Finlande au royaume de Suède. Pour en assurer la protection, Nicolas Ier, successeur d’Alexandre, ordonne en 1845 l’édification d’une maison forestière. Il en confie les plans à Ernst Bernhard Lohrmann, l’architecte qui construira sept ans plus tard la cathédrale d’Helsinki.

Derrière ses murs bardés de bois, on trouve le logement des gardes, une tour de guet ainsi que trois chambres pour les voyageurs de passage. Devant la porte d’entrée, un escalier raide descend jusqu’au lac et à l’embarcadère où s’arrêtent alors les bateaux à vapeur, seul moyen de transport de l’époque. Le train n’arrivera qu’en 1906, peu de temps avant que la Finlande ne prenne son indépendance face à la Russie révolutionnaire, en 1917.
Les champignons ont tant à nous apprendre sur nous-mêmes
Précédée d’un grand chien gris répondant au nom de Walti, Saimi Hoyer vient de rentrer de sa cueillette quotidienne. Elle reprend des forces devant un thé au citron, dans le salon de l’hôtel Punkaharju, derrière ces mêmes murs bardés de bois érigés en 1845. "Tout est inutile dans la vie, à part ramasser les champignons", lance-telle d’une voix grave, un peu fêlée. En 2016, cette ancienne mannequin à la crinière rousse est devenue la propriétaire des lieux, presque par hasard.

"Dans l’esprit des Finlandais, cet hôtel fait partie de l’histoire commune. Lorsque j’étais enfant, nous passions deux mois et demi dans cette région des lacs d’où est originaire mon père. Une fois dans l’été, nous venions dîner ici, comme un rituel, même si ce n’était pas terrible", raconte cette fille de comédiens du Théâtre national d’Helsinki.

Il y a huit ans, l’hôtel qui appartient alors à l’État, menace de faire faillite. En régionale de l’étape, Saimi est missionnée pour trouver un repreneur, lorsque germe l’idée de se lancer elle-même dans l’aventure. À presque 40 ans, mère de deux garçons, elle se relève d’une maladie génétique qui l’a tenue isolée du monde pendant deux ans. Cette longue et terrible retraite l’a convaincue qu’Helsinki n’était plus pour elle, et que sa vie serait désormais au plus près de la forêt qu’elle aime tant. Une série d’agrandissements et de travaux de structure menés au fil du temps ont donné fière allure à l’hôtel Punkaharju, mais à l’intérieur, tout est à refaire.

Dans une vie antérieure, Saimi a été mannequin, a fait la couverture du magazine Elle, défilé pour Sonia Rykiel, a vécu à Florence, Paris, New York et Tokyo. Un jour, un photographe lui a demandé de s’épiler les sourcils pour les besoins d’un shooting. Ils n’ont jamais repoussé, ce qui lui confère un visage particulier, lunaire, toujours auréolé de boucles rousses. Cette carrière internationale lui a offert nombre de rencontres et le goût de l’art contemporain et du design. La Finlande se débrouille si bien en la matière que Saimi Hoyer, épaulée par l’architecte Iiro Mikkola et l’artiste Paavo Halonen, peut choisir parmi les catalogues de Marimekko, Klaus Haapaniemi & Co., Artek et Vallila Interior.

Une belle et douce harmonie composée de vert d’eau, de crème, de bleu gris s’accorde avec la nature déployée à travers les nombreuses fenêtres. Deux à trois fois par an, l’hôtel s’égaye d’expositions temporaires de photos ou de peintures et plus souvent encore par des concerts de jazz. "Lorsque je me suis lancée, on m’a conseillé de ne surtout pas organiser d’événements autour de la musique et des champignons !", sourit Saimi.

Autant dire qu’elle n’a écouté personne et que bolets et autres chanterelles sont ici en leur royaume. En un menu dix plats, en conférences, en croisières qui permettent des chasses miraculeuses sur les petites îles alentour, peints ou brodés sur une série de blousons qu’elle enfile selon l’humeur… "Ils ont tant à nous apprendre sur nous-mêmes. Je suis fascinée par leur capacité à se construire des réseaux souterrains, à se connecter aux arbres, à s’endormir pour mieux se réveiller. Sans eux, nous ne sommes rien", conclut-elle en nettoyant, du petit couteau qui ne la quitte jamais, le pied d’un cèpe cueilli sous un pin d’Écosse.
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