La vente exceptionnelle des saphirs de Stéphanie de Beauharnais

La provenance est illustre puisque ces bijoux sont issus de l’héritage de Stéphanie de Beauharnais, fille adoptive de Napoléon Ier, grande-duchesse de Bade. Selon une tradition familiale, elle les aurait acquis auprès de sa cousine la reine Hortense. Deux siècles, presque jour pour jour, après la mort de l’Empereur à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821, ils seront vendus chez Christie’s, à Genève, le 12 mai 2021.

Par Vincent Meylan - 09 avril 2021, 08h40

 À l’origine la parure de saphirs et diamants de Stéphanie de Beauharnais, grande-duchesse de Bade, comprenait un collier, des pendants d’oreilles, des pendentifs et une ceinture.
À l’origine la parure de saphirs et diamants de Stéphanie de Beauharnais, grande-duchesse de Bade, comprenait un collier, des pendants d’oreilles, des pendentifs et une ceinture. © Christie’s

Dans le premier écrin sont conservés huit bijoux : un collier composé de neuf saphirs montés sur une chaîne de diamants en alternance avec des palmettes de diamants, un bracelet orné de huit saphirs, deux pendentifs, une broche ovale, une bague et, pour finir, deux pendants d’oreilles.

Dans un second écrin est disposé un bandeau en forme de diadème qui alterne neuf saphirs et les mêmes palmettes de diamants. Le style des bijoux est évidemment Empire. Dans les deux écrins, une note précise : "Bijoux d’Hortense", en référence à la reine Hortense, fille de l’impératrice Joséphine.

Le diadème de Stéphanie de Beauharnais. © Christie’s
Le diadème de Stéphanie de Beauharnais.© Christie’s

Cette parure qui sera vendue chez Christie’s à Genève, le 12 mai 2021, célèbre à sa manière l’année impériale. Deux cents ans, presque jour pour jour, après la mort de Napoléon Ier, des joyaux impériaux surgissent du passé. En plus, la provenance impériale est double !

La tradition évoque la reine Hortense, mais les documents en possession des vendeurs racontent l’histoire d’une autre princesse impériale. Revenons un peu en arrière…

Le destin romanesque de Stéphanie de Beauharnais 

En 1860 , S.A.I. la grande-duchesse Stéphanie de Bade meurt à Nice. La vie de cette princesse est un roman. Elle naît en 1789 à Versailles, quelques mois après la prise de la Bastille. Et la Révolution va broyer son enfance. Elle n’a que 2 ans lorsque sa mère, Adrienne de Lézay Marnézia, s’éteint. Son père, qui se nomme Claude de Beauharnais, émigre. Il ne reviendra en France que bien des années plus tard.

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Stéphanie est orpheline. Sa marraine irlandaise, lady Bath, la confie à deux religieuses expulsées de leur couvent. Toutes trois vont passer les années de la Terreur cachées dans de petites villes du sud-ouest de la France.

En 1803, Stéphanie a 14 ans et son destin bascule. Elle vit toujours en province, oubliée de tous, sauf de sa tante. Et cette tante se nomme Rose Tascher de La Pagerie. Elle est veuve du vicomte Alexandre de Beauharnais, un cousin de Claude. Surtout, elle est remariée au général Bonaparte qui est devenu Premier consul.

Stéphanie est rappelée à Paris. Installée au palais des Tuileries, elle fait la connaissance des deux enfants de Joséphine, Eugène et Hortense. Ils vont devenir ses amis pour toute la vie.

L’adolescente est un peu sauvage, aussi décide-t-on de l’envoyer passer quelque temps dans le pensionnat le plus chic de l’époque : l’école ouverte à Saint-Germain par Madame Campan, l’ancienne femme de chambre de Marie-Antoinette. Stéphanie en sort au mois de décembre 1804 afin d’assister au sacre de l’Empereur.

Stéphanie de Beauharnais. © Christie’s
Stéphanie de Beauharnais. © Christie’s

Après dix ans de république, le peuple parisien a un peu perdu les usages de l’ancienne Cour. Les badauds qui entourent Notre-Dame le jour de la cérémonie ignorent tout du souverain pontife et du protocole qui l’entoure. En voyant arriver la voiture dans laquelle ont pris place Stéphanie et une autre nièce de l’impératrice, l’un d’entre eux s’écrie : "Ah, voilà les femmes du pape." Dix mois plus tard, la jeune fille entre dans l’histoire.

Napoléon répartit les couronnes d’Europe entre les différents membres de sa famille. Deux princes allemands, les électeurs de Bade et de Bavière, souhaitent son alliance. Le petit-fils du premier, Charles de Bade, est fiancé à la fille du second, Auguste de Bavière. L’Empereur rompt cet accord.

Augusta de Bavière épouse le fils de Joséphine, Eugène de Beauharnais, promu vice-roi d’Italie. Le prince héritier de Bade échoit à Stéphanie, qui se marie le 8 avril 1806 au palais des Tuileries. Pour faire bonne mesure, Napoléon a adopté la jeune fille qui est devenue son Altesse Impériale la princesse Stéphanie Napoléon. Le mariage, un peu agité durant les premières années, finira par être heureux. Charles disparaît prématurément en 1818.

Le mystère de la provenance de ces bijoux

Lorsque Stéphanie meurt à son tour en 1860, ses biens et notamment ses bijoux sont répartis entre ses trois héritières : ses deux filles cadettes, la princesse de Hohenzollern-Sigmaringen et la duchesse de Hamilton, ainsi que sa petite-fille, Carola, future reine de Saxe.

Dans le lot de Joséphine est incluse une parure de saphirs et de diamants qui comprend un collier, un pendentif, des pendants d’oreilles, sept broches et une ceinture, un bijou très caractéristique de l’époque Empire et de ses robes à taille très haute. La ceinture a été transformée à la fin du XIXe siècle pour devenir le bandeau-diadème et le bracelet que l’on retrouve dans la parure d’aujourd’hui. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Derrière la provenance Stéphanie de Beauharnais s’en profile une seconde, encore plus illustre, celle de la reine Hortense, fille de l’impératrice Joséphine. Une tradition familiale rapporte, en effet, que les saphirs auraient été acquis par Stéphanie auprès de sa cousine, la reine Hortense. Et c’est à cette tradition que font référence les inscriptions à l’intérieur des écrins. Une fois encore un retour en arrière s’impose.

En 1815, après Waterloo, l’Empire s’effondre définitivement. Napoléon part pour Sainte-Hélène et ses derniers fidèles s’exilent. La reine Hortense quitte Paris pour la Suisse où elle compte s’installer. Elle emporte avec elle une fortune en bijoux qui compose le plus clair de son patrimoine.

Autre pièce maîtresse de la parure, ces magnifiques boucles d'oreilles. © Christie’s
Autre pièce maîtresse de la parure, ces magnifiques boucles d'oreilles. © Christie’s

De sa mère, Joséphine, décédée en 1814, elle a hérité près de deux millions de francs or de joyaux. À ce premier trésor vient s’ajouter un second : les bijoux personnels d’Hortense, estimés 500.000 francs, mais qui en fait valent beaucoup plus. Elle possède trois parures de diamants, deux parures de saphirs, une grande parure de rubis, une parure de turquoises, une autre d’émeraudes, sans compter les perles et les pierres fines.

De 1815 à 1830, Hortense, ex-reine de Hollande, devenue duchesse de Saint-Leu, va vendre chaque année de 100.000 à 400.000 francs de bijoux. Sagement, elle placera le produit des ventes pour se constituer une fortune confortable. En 1818, 348.000 francs de bijoux sont vendus à deux joailliers et un deuxième lot d’une valeur de 107.000 francs est négocié "directement par la reine".

À l’époque, Stéphanie est encore grande-duchesse de Bade, son mari est vivant et elle a les moyens d’aider financièrement sa cousine en lui achetant des bijoux. Ces 107.000 francs sont-ils le prix de la parure de saphirs et diamants ? Hélas, aucun document ne permet de l’affirmer, mais la thèse est plausible*.

Reste bien sûr la question de l’identité du joaillier qui a créé ces bijoux sous l’Empire. Le motif en palmettes évoque bien sûr l’univers stylistique de Nitot, joailliers de la Couronne, mais il peut également venir du joaillier de la famille de Beauharnais, auquel Joséphine fait constamment appel sous le Directoire, le Consulat et le début de l’Empire. Il se nomme Edmé-Marie Foncier. C’est lui qui a la garde des bijoux de l’impératrice. Il créera pour elle plusieurs parures fabuleuses, notamment son plus beau diadème, celui qu’elle porte le jour du sacre et qui est immortalisé sur le célèbre tableau de David.

*En 1821, Hortense vendra au futur Louis-Philippe une seconde parure de saphirs et diamants plus complète, pour 140.000 francs. Elle est désormais exposée au musée du Louvre.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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