"La reine et moi vous remercions bien sincèrement, Monsieur le Président, pour l’obligeante expression de votre sympathie et de celle du peuple de France, qui nous a profondément touchés". Le télégramme, adressé par Buckingham au président de la République française Albert Lebrun, est signé "George Rex Imperator". Par ces quelques mots, George VI remercie la France pour les condoléances exprimées : son épouse vient de perdre sa mère, Lady Strathmore, quelques semaines avant leur voyage officiel à Paris. Le Palais va-t-il tout annuler ? De chaque côté de la Manche, les chancelleries s’agitent. Alors que la paix en Europe est de plus en plus menacée, l’alliance franco-britannique paraît plus précieuse que jamais. Et la France compte bien mettre les petits plats dans les grands pour recevoir, comme il se doit, le couple souverain. Le 24 juin, la décision est prise : le roi et la reine se rendront bien à Paris en juillet.

Mais un problème de taille se pose immédiatement : celui des tenues de la reine. "Pouvait-elle visiter la joyeuse ville de Paris en plein milieu de l’été et pour une occasion si festive, vêtue en grand deuil ?", s’interroge le couturier de la cour Normal Hartnell. "En matière de mode, les Français ont peut-être le goût du noir, mais l’apprécieraient-ils alors que ce voyage doit être une preuve d’entente heureuse, dans une Europe fort troublée ?" Pour sortir de ce potentiel faux pas, Norman Hartnell a une idée de génie : il ressuscite la tradition médiévale qui voulait qu’une reine, en deuil, ne s’habillait que de blanc. Il ne lui reste plus qu’à créer d’incroyables robes à crinoline blanches, à l’opposé de la mode de l’époque, mais qui flattent la silhouette d'Elizabeth. Les Françaises – et les Français – sont sous le charme.
Paris ne regrette qu'une chose : l'absence des petites princesses
Le succès de la visite déborde largement des rubriques mode. La presse, unanime, salue ce jeune couple, profondément épris l’un de l’autre et attaché à la France. Les journalistes ne regrettent qu’une chose : que les petites princesses Élisabeth et Margaret ne soient pas du voyage. Mais dans cette débauche de garden-parties, dîners, représentations, et commémorations en tous genres, les enfants n’ont certainement pas leur place. Parmi les réceptions les plus brillantes, celle donnée par la ville de Paris le 20 juillet. "Le Palais municipal avait revêtu sa parure des grands jours", peut-on lire dans le bulletin municipal.

À 10h57 précises, George et Elizabeth parviennent au niveau de l’hôtel de ville dans une "flottille royale" qui les a conduits, sur la Seine, depuis le Quai d’Orsay où il logent. Devant un parterre d’officiels, le roi prononce une vibrante déclaration d’amitié franco-britannique, largement applaudie : "Mon grand-père est venu ici en 1903 et y a jeté, en quelque sorte, les bases de l’Entente entre la France et la Grande-Bretagne ; mon père y est venu en avril 1914, pour consacrer cette Entente, laquelle, bientôt après, reçut son baptême du feu. Aujourd’hui, j’y viens à mon tour, et je dois constater qu’elle n’a rien perdu de sa force ni de sa vitalité."

Après le temps des discours, vient celui des cadeaux. La reine reçoit un superbe service de verrerie signé Lalique, le roi "un étui à cigarettes en or où se trouve enchâssé un saphir". Leurs filles ne sont pas oubliées. George VI et Elizabeth repartiront avec une collection de livres pour la princesse héritière : Fables de La Fontaine, Lettres de mon Moulin d’Alphonse Daudet, Les Malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur… Quant à Margaret, Paris a fait réaliser pour elle "une petite boutique de fleuriste à sa taille, garnie toute de roses et de fleurs de France". Le temps du devoir n’est pas encore venu.