Marie-Thérèse d'Autriche, tendre mère de famille

Élisabeth Badinter, dans Les Conflits d’une mère*, sorti le 4 novembre 2020, nous entraîne à nouveau dans le sillage de l’impératrice Marie-Thérèse. Après Le Pouvoir au féminin, paru en 2016, la philosophe s’est interrogée, et nous répond, sur l’éducation dispensée à seize enfants, dont deux empereurs, une reine de Naples et une reine de France, par cette mère dont la "tendresse" étonna nombre de ses contemporains.

Par François Billaut - 22 novembre 2020, 08h30

 L’impératrice Marie-Thérèse, l’empereur François-Étienne et onze de leurs premiers enfants, dont les futurs Joseph II et Léopold II, peints par Martin van Meytens dans le grand hall du palais de Schönbrunn.
L’impératrice Marie-Thérèse, l’empereur François-Étienne et onze de leurs premiers enfants, dont les futurs Joseph II et Léopold II, peints par Martin van Meytens dans le grand hall du palais de Schönbrunn. © Imagno/Getty Images

Un nouvel ouvrage sur Marie-Thérèse, l’impératrice vous passionne?

Le premier volume traitait de la femme la plus puissante d’Europe. Tous ceux qui l’ont approchée ont célébré son charme, son art de la diplomatie et sa puissance de travail. Mais comment a-t-elle fait pour gouverner pleinement un empire et prendre en charge seize enfants? J’ai découvert une mère bien différente de ses pairs, reines et aristocrates, qui tranche avec la sensibilité maternelle de l’époque et inaugure une nouvelle étape de l’histoire de la maternité, mais aussi une éducatrice qui ignore toute diplomatie avec ses enfants. Ce livre est donc un nouveau portrait de Marie-Thérèse d’Autriche.

Chef d'État autoritaire, épouse amoureuse et mère de 16 enfants, l'impératrice a gouverné d'une main de fer pendant près de 40 ans sans jamais sacrifier sa vie personnelle à sa tâche. © De Agostini/Getty Images
Chef d'État autoritaire, épouse amoureuse et mère de 16 enfants, l'impératrice a gouverné d'une main de fer pendant près de 40 ans sans jamais sacrifier sa vie personnelle à sa tâche.© De Agostini/Getty Images

Dans L’Infant de Parme, paru en 2008, vous traitiez déjà de l’éducation des princes... 

C’est moins la formation des élites politiques qui m’intéresse que les mystères d’une éducation réussie. On sait bien qu’une même pédagogie peut réussir avec un enfant et pas avec un autre.

Marie-Thérèse et François-Étienne sont des parents "modernes" pour le XVIIIe siècle?

Incontestablement. Il y a chez la mère comme le père de l’amour, des soins, des attentions, mais aussi des rudesses, de l’incompréhension et des injustices. Comme aujourd’hui. Sauf qu’à cette époque, on ignore encore tout de la psychologie des enfants. L’obéissance est le premier principe.

Vous parlez de rôles inversés. Mais l’empereur n’est-il pas tout simplement plus affectueux que l’impératrice?

Dans ce couple, le père est peut-être plus tendre que la mère, mais il n’assume ni les responsabilités politiques, ni celles de l’éducation. Il n’a pas à sévir. En revanche, ses relations avec les garçons, notamment avec l’héritier Joseph, furent plus distantes.

Les filles, en tout cas, lui semblent plus attachées...

C’est exact. À l’époque, on ignore le concept de complexe d’Œdipe... Les fils admirent davantage leur mère qui détient tous les pouvoirs. C’est elle le modèle de la virilité.

François Ier Étienne, futur empereur romain germanique, par Martin van Meytens en 1740. © DeAgostini/Getty Images
François IerÉtienne, futur empereur romain germanique, par Martin van Meytens en 1740.©DeAgostini/Getty Images

L’impératrice est souvent qualifiée de "tendre mère", ne témoigne-t-elle pas de plus d’intérêt que de réelle affection? 

Cela dépend de quels enfants on parle. En ce qui concerne les trois filles mortes en bas âge, elle les gardera jusqu’au bout dans son esprit et son cœur. Sentiment bien rare à l’époque où l’on dit volontiers qu’un enfant disparu peut aisément être remplacé par bien d’autres. Ce n’est pas un drame en ce temps où la mortalité infantile est si importante, et les naissances nombreuses. Mais pas pour Marie-Thérèse qui a pleuré chaque enfant disparu.

Elle se montre réellement soucieuse de ses talents d’éducatrice? 

Marie-Thérèse est tellement peu sûre d’elle qu’elle demande des conseils à nombre de ses proches et moins proches. Elle est taraudée par une question qui obsède tant de femmes aujourd’hui: "Suis-je une bonne mère?" Élever un enfant est une tâche difficile car on n’a jamais l’entière maîtrise de soi-même. Quand on travaille comme elle parfois quinze heures par jour, qu’on soutient deux guerres de Sept Ans, et qu’on élève treize enfants (trois étant morts dans leur petite enfance), il ne reste plus beaucoup de temps pour être la mère parfaite de chacun.

LIRE AUSSI >> Marie-Thérèse d’Autriche, une femme au pouvoir

La présence des enfants en public ne sert-elle pas surtout la propagande? 

Elle montre ainsi que la souveraine est aussi proche de son peuple que de sa progéniture, autrement dit: "la bonne mère du peuple." Mais il faut reconnaître que c’était aussi le moyen d’apprendre à ses enfants leurs tâches futures de représentation en public, à ses yeux si importantes.

En tant que mère, elle a des préférences marquées, et mal vécues. Sur quoi se fondent-elles?

Les différences de sentiments qu’une mère peut éprouver pour ses enfants relèvent de tant de facteurs que cela reste pour la plupart un mystère. Seule la psychanalyse peut en dévoiler les causes. Marie-Thérèse qui détestait que l’on conteste son autorité préférait Marie-Christine à toute autre, car celle-ci était intelligente, fine psychologue, pleine de charme et faisait tout pour plaire à ses parents. Amélie était l’inverse de son aînée, avec un caractère bien trempé. Elle ne se gênait pas pour dire ce qu’elle pensait à tout le monde. Sans charme, rigide et dure, elle se brouillera quasiment avec toute sa famille.

Marie-Thérèse avec trois de ses fils et ses trois filles: l’empereur Joseph II, le futur Léopold II, Ferdinand, le duc de Modène, Marie-Amélie, Marie-Caroline et Marie-Antoinette. © Ali Meyer/Corbis/VCG via Getty Images
Marie-Thérèse avec trois de ses fils et ses trois filles: l’empereur Joseph II, le futur Léopold II, Ferdinand, le duc de Modène, Marie-Amélie, Marie-Caroline et Marie-Antoinette. ©Ali Meyer/Corbis/VCG via Getty Images

"Elles sont nées pour obéir..." Pour une femme de pouvoir, elle se montre finalement très misogyne dans son rapport à l’éducation des filles...

On ne peut pas parler de "misogynie" à l’époque. Le statut des femmes n’avait guère changé depuis des siècles. Il peut paraître étrange que Marie-Thérèse tienne un tel propos, mais elle est elle-même une exception à la règle. Ses filles sont faites pour être mariées à des souverains auxquels elles devront obéir. La mère considère qu’elle doit les préparer à ce rôle. Surtout qu’elles ne se mêlent pas de politique ni d’exercer la moindre autorité sur leur époux! En réalité, elles feront tout le contraire!

Les jeunes archiducs sont-ils mieux préparés, par leur programme éducatif, que les autres princes contemporains?

À ma connaissance, les examens publics des jeunes enfants mâles de la maison de Habsbourg sont une innovation dans la droite ligne de la politique de Marie-Thérèse. Il s’agit ici d’être à l’aise dans le monde, une qualité cruciale pour elle. Contrairement à son mari, Marie-Thérèse n’en manquait aucun et se disait fière de leurs performances en histoire, géographie, philosophie et droit.

L’impératrice parle de "redresser ce qui n’est pas droit", n’est-ce pas un concept terrible en matière d’éducation?

Depuis le XVIe siècle, tous les pédagogues s’accordaient sur ce thème que l’on doit à la doctrine du péché originel. L’enfant devait être purgé de ses fautes. Cette doctrine opposée à celle de l’innocence enfantine, qui est la nôtre, prit fin au XVIIIe siècle, notamment avec Rousseau, mais auparavant punir l’enfant était un service à lui rendre.

Élisabeth Badinter fait revivre dans son dernier livre la mère de la reine Marie-Antoinette, l'impératrice Marie-Thérèse. © Arnaud Baumann
Élisabeth Badinter fait revivre dans son dernier livre la mère de la reine Marie-Antoinette, l'impératrice Marie-Thérèse. ©Arnaud Baumann

Marie-Caroline, la plus "politique", n’est-elle pas celle des filles qui lui ressemble le plus finalement?

Moins par son physique que par son caractère. Avant d’être la puissante reine de Naples qui se substitue à Ferdinand de Bourbon, un mari indolent, ignorant et paresseux, elle fut une enfant joyeuse et agréable. Mais on sait peu de choses des relations de l’enfant avec sa mère. Seulement que lorsqu’elle quitta Marie-Thérèse pour se marier, elle pleura tant qu’elle faillit se trouver mal.

Et comment justifier la non-préparation de Marie-Antoinette, pourtant destinée dès le berceau au trône de France?

Une coupable négligence que je m’explique mal. Sinon que cette quinzième enfant, non désirée, est contemporaine de la seconde guerre de Sept Ans qui mobilisait toute son énergie. En outre, après la mort de François-Étienne, son mari adoré, en 1765, elle est sans force et plonge dans la dépression. Marie-Antoinette n’a alors que 10 ans. Quatre ans et demi plus tard, quand la future reine de France quitte Vienne pour Versailles, les larmes de celle-ci sont, dit-on, un peu convenues et sa mère n’a qu’une idée: que sa fille prenne du plomb dans la tête.

Aujourd’hui, elle serait traitée de mère abusive. Sa fille est espionnée, sermonnée et elle en fait un agent au service de l’Autriche...

N’oublions pas que l’on juge aussi la mère par sa fille. Marie-Antoinette est le gage de l’alliance de la France avec l’empire. Sa légèreté porte ombrage à l’impératrice. D’une certaine façon, elle est le contraire de sa mère, peu appliquée à ses devoirs et n’aimant que le divertissement. Marie-Thérèse le lui reproche sans cesse et en particulier, de façon injuste, de ne pas faire ce...

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Reines Marie-Antoinette

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement